samedi 4 mai 2013

RD CONGO : Les missiles rwandais et le Yalta sur le Kivu

Le déploiement, par le Rwanda, de trois missiles sol-air dans l’Est de la République démocratique du Congo, change radicalement la lecture des évènements en cours.

Il apparaît d’emblée que Kigali tient fermement à consolider sa mainmise sur cette région du Congo avant le déploiement de la brigade offensive de l’ONU chargée de neutraliser les groupes armés qui y sèment la désolation (Résolution 2098 du Conseil de Sécurité de l’ONU).



On savait que le Rwanda approvisionne en hommes et en armes les « rebelles » du M23 depuis plusieurs semaines. Mais le déploiement des missiles, comme dans tout conflit, change les choses de tout en tout dans ce qui désormais apparaît comme la bataille en perspective pour le contrôle de la riche région congolaise du Kivu (80% des réserves mondiales de coltan, minerai indispensable à la fabrication des téléphones portables). 

Dans les mois qui vont suivre, le sort de cette région et celui de ses habitants devraient se jouer entre deux pays du Continent : le Rwanda de Paul Kagamé et l’Afrique du Sud de Jacob Zuma. Deux hommes et deux pays très ambitieux qui semblent avoir trouvé sur le sol congolais le terrain d’un affrontement dont l’issue reste incertaine.

Tutelle rwandaise

La brigade de l’ONU, au sein de laquelle Pretoria entend jouer un rôle central, devient, au fond, un « camouflage » qui dissimule à peine un affrontement stratégique en perspective. L’Afrique du Sud est déjà massivement présente au Congo. 

Elle compte 1.202 soldats engagés sous la bannière des casques bleus, un des plus gros contingents onusien. Elle a une autre présence militaire dont on ne parle pas, celle des « contractors ». Il n’est pas rare, dans les zones minières du Kivu, de rencontrer des dizaines des « soldats privés » sud-africains, un peu comme les contractors américains en Irak et en Afghanistan.

Le Rwanda a lui aussi une forte présence militaire « camouflée » au Kivu. 

Depuis la Première Guerre du Congo (1996), Kigali n’a jamais retiré son armée du Congo. AFDL, RCD, CNDP, M23, Opération Amani, brassage des rebelles dans l’armée congolaise, retour des réfugiés rwandophones, polémiques sur les« Tutsis congolais »,… toutes les manœuvres sont bonnes à Kigali pour perpétuer la présence militaire rwandaise dans l’Est du Congo. Mais avec le déploiement des missiles, on bascule dans un scenario tout à fait inattendu.

La question de savoir si le Rwanda peut utiliser des missiles contre une force, même sud-africaine, sous mandat de l’ONU, se pose avec gravité, le Pays des Mille Collines entretenant une-histoire-qui-fait-froid-dans-le-dos en rapport avec les « missiles ».

Le Rwanda et les missiles

On a toujours en mémoire les débris du Falcon 50 du Président Habyarimana abattu au-dessus de la capitale Kigali. Le 06 avril 1994, un avion, avec à bord les Présidents Juvénal Habyarimana (Rwanda), Cyprien Ntaryamira (Burundi) et trois Français, membres de l’équipage, est abattu par des missiles sol-air au-dessus de Kigali, un attentat terroriste rarissime qui a pour effet immédiat de déclencher l’effroyable génocide rwandais.

On ne saura probablement jamais l’identité des commanditaires de cet attentat, la « communauté internationale », rechignant toujours à initier la moindre enquête crédible pour élucider le mystère d’un acte terroriste d’une telle gravité (deux chef d’Etat tués d’un coup).

Du coup, de nombreux chercheurs indépendants[1] ont abouti à la conclusion selon laquelle l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana fut l’œuvre de l’élite politico-militaire actuellement au pouvoir à Kigali, qui, alors, opérait au sein de la rébellion du FPR (Front Patriotique Rwandais). Une version contestée, évidemment, par le régime de Kigali et ses alliés.

Si la vérité sur l’attentat, au missile, contre l’avion du Président Habyarimana est encore à élucider, il y a au moins un autre attentat, au missile, que les dirigeants rwandais n’ont pas pu nier. 

Le 10 octobre 1998, un Boeing 727 de la compagnie Congo Airlines est abattu dans l’Est du Congo par un commando de l’armée rwandaise sous couvert de la « rébellion » du RCD, l’ancêtre du M23. L’aéronef est abattu au-dessus de la ville de Kindu par des missiles Sam 7, le même type de missiles utilisés dans l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana[2]. Quarante civils congolais à bord sont tués.

Un acte terroriste, perpétré par un Etat membre de l’ONU, en violation de plusieurs lois internationales, dont la Convention relative à l’aviation civile internationale[3] et la convention de Montréal pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile[4].

« Petit » mais redoutable


C’est une configuration qui risque d’en effrayer plus d’un du côté de Johannesburg et amener les Sud-africains, une fois dans le Kivu, à arborer le profil bas face à un « ennemi » au passé extrêmement meurtrier et qui, dans la violence, ne recule devant aucun excès de l’horreur[5] (mort de six millions de Congolais, plus de 400 mille réfugiés hutus exterminés dans les forêts du Congo). 

Un « minuscule ennemi » dont on aurait imaginé qu’on n’en ferait qu’une bouchée. Mais mine de rien. De grands pays s’y sont cassé la figure.

La France ne s’est jamais remise de sa« défaite médiatique » dans l’affaire du génocide rwandais, défaite matérialisée par l’interminable propagande sur le fameux « rôle de la France ». 

Les Congolais quant à eux continuent de mourir par millions dans la lutte pour la survie de leur pays menacé debalkanisation par le « petit Rwanda ». Même l’Ouganda, pourtant allié de Kigali, a vu son armée mise en déroute durant la mémorable Guerre de six jours à Kisangani en juin 2000.

Le Yalta[6]

Les Sud-africains, face à des « Rwandais »extrêmement motivés et discrètement armés par Londres et Washington, peuvent choisir d’éviter l’affrontement, du moins dans un premier temps. 

Le péril pour le Congo serait que l’Afrique du Sud et le Rwanda, évitant de s’affronter, négocient, dans le dos des Congolais, un accord secret consacrant la poursuite en commun du pillage du Kivu au mépris du sort de la population congolaise. 

Les opérations de la brigade onusienne deviendraient, dès lors, une sorte de « mascarade », comme le « tourisme militaire »actuel de la Monusco. On déploie des blindés juste pour les apparences, la réalité sur terrain étant celle des femmes congolaises qui continuent de se faire violer tous les jours, juste à côté, et des civils congolais victimes de massacres sous la barbe des casques bleus.

Et le peuple congolais dans tout ça ?

Civils congolais

Pour le moment, les Congolais ne pèsent pas lourd, défaite militaire oblige. Le régime de Joseph Kabila est à peine visible sur le plan international. La faute, sûrement, à un « péché originel ». 

Le chef de l’Etat congolais et de nombreux politiciens de Kinshasa sont issus d’anciennes « rébellions » créées, soutenues et portées au pouvoir à Kinshasa par le Rwanda et l’Ouganda. 

Ainsi les dirigeants occidentaux, pour se rendre au Congo, passent systématiquement par Kigali. Une façon diplomatique d’insinuer que le Congo serait sous une forme de tutelle orchestrée par le régime de Paul Kagamé au profit des capitales occidentales, ce qui risque de compliquer la tâche aux Sud-africains.

Boniface MUSAVULI


[1] Pierre PEAN, Charles ONANA, Bernard LUGAN,…

[2] Pierre Péan, Carnage - Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard novembre 2010, p. 393.

[3] Convention du 7 décembre 1944 signée à Chicago.

[4] Convention du 23 septembre 1971.

[5] http://www.ohchr.org/Documents/Coun...

[6] Yalta est une ville de la République autonome de Crimée, en Ukraine (ancienne URSS). La ville est connue pour avoir abrité la célèbre Conférence de Yalta du 4 au 11 février 1945, conférence au cours de laquelle les « grandes puissances » (Etats-Unis, URSS, Royaume-Uni) se partagèrent (officieusement) le monde en zones d’influence. Par analogie, un Yalta sur le Congo suppose des accords secrets entre puissances étrangères pour se partager le territoire congolais en zones d’influence.

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