Déjà, 2 mois d’arriérés des salaires. Alors que l’année scolaire 2012-2013 tend vers sa fin, des milliers d’enseignants et principaux animateurs de l’éducation nationale, broient du noir.
Leur seul tort peut-être est d’avoir accepté de travailler dans des territoires où des structures bancaires n’existent pas encore pendant que le Gouvernement a décrété l’opération de bancarisation tous azimuts.
Et, pourtant, la bancarisation en soi, n’est pas une mauvaise chose. Mais, la procédure adoptée fait aujourd’hui de ces milliers d’enseignants victimes des « effets collatéraux » d’une opération qui aurait dû normalement se poursuivre par étapes, en tenant compte de la réalité du contexte socio-économique, géographique et des infrastructures d’accueil de la RD. Congo.
Cinq millions de dollars ont été, certes, économisés. Mais, de nombreux territoires du pays demeurent encore paradoxalement non couverts !
Amorcée depuis 2012 dans la capitale, la bancarisation des salaires des enseignants, fonctionnaires et agents de l’Etat, policiers et militaires permet la maîtrise des effectifs. Elle réduit également les manœuvres des réseaux maffieux qui, depuis des années, étaient habitués à faire main basse sur des fonds destinés à la paie.
Ce qui a fait dire d’ailleurs, au Premier Ministre Augustin Matata Ponyo, en début mai dernier, que la bancarisation de la paie des fonctionnaires de l’Etat a permis à l’Etat congolais d’économiser 5 millions de dollars américains et de déceler 3.500 fonctionnaires fictifs.
Fini donc les pratiques éhontées et inciviques des ponctions appliquées, parfois jusqu’à l’ordre de 25 %, sur le salaire des enseignants. Mais, une fois de plus, pour les seuls enseignants et fonctionnaires de grands centres urbains, pourvus des structures bancaires et où le système de « mobile banking » est opérationnel.
Le Président de l’Assemblée Congolaise des Banques (ACB), Michel Losembe, avait déclaré le 14 mai 2013 que plus de 240.000 fonctionnaires allaient recevoir leur premier salaire par voie bancaire au mois de mai dernier. C’était à l’issue d’une réunion avec le Vice-Premier Ministre et ministre du Budget, Daniel Mukoko Samba, et le Président du Comité de suivi de la paie des agents et fonctionnaires de l’Etat.
M. Losembe avait indiqué, sur Radio Okapi, que cette opération concernerait essentiellement les fonctionnaires qui vivent à l’intérieur du pays, « dans des localités en dehors des grands centres urbains ». Il était déjà conscient que cette paie des fonctionnaires dans les provinces et les villes secondaires du pays va demander « un très gros travail logistique ».
Après Kinshasa, les banques devraient poursuivre l’opération dans les villes où elles ont des agences, avant de toucher les milieux ruraux. Des banques ont alors sous-traité avec des opérateurs téléphoniques mobiles, utilisant le « mobile banking », pour payer les fonctionnaires dans les milieux où elles ne disposent pas d’agences, mais qui sont couverts par les réseaux téléphoniques, avait précisé le président de l’Association congolaise des banques.
Des enseignants obligés à parcourir jusqu’à 300 km et plus dans des conditions précaires
Tel est le vrai problème. « Le gros travail de logistique » n’a pas totalement accompagné cette décision politique. Conséquence : des enseignants sont obligés aujourd’hui à parcourir une distance allant de 200 à 300 km pour toucher leurs salaires, abandonnant, derrière eux, les élèves à leur triste sort, à l’aube de cette fin d’année scolaire.
Pis encore, ces longs voyages (à pieds, vélo, moto, baleinière ou rarement par véhicule) dans des conditions précaires, réveillent des maladies et mettent en danger des personnes censées toucher leurs salaires.
A cause de cette impréparation, les enseignants des milieux non bancarisés, environ 136 Territoires, accusent aujourd’hui, pour la plupart, deux mois d’arriérés de salaire (mai et juin 2013). Des cris d’indignation montent ainsi de toutes les Provinces de la République Démocratique du Congo (RDC).
A titre illustratif, la Cité de Bulungu, à la fois chef-lieu de District de Kwilu et du Territoire de Bulungu, dans le Bandundu, n’a ni banque, ni coopérative de haute capacité financière. Il est composé de 10 Secteurs : Dwe, Imbongo, Kilunda, Kipuka, Kwenge, Kwilu-Kimbata, Lumiungu, Mwiki, Nkara et Nko.
Plus de 9.000 enseignants venus de ces différents Secteurs sur invitation, parcourant pour certains plus de 250 km (500km aller-retour) comme ceux de Tshimbane, traversant forêts, savanes et rivières, se sont retrouvés à Bulungu pour toucher leurs salaires. Parmi eux, des personnes âgées, avec handicap, des femmes enceintes ou portant des enfants.
Regroupés devant une première salle polyvalente, ces enseignants ont été chassés vers un autre lieu, par crainte de débordement. Deux guichets, puis quatre, seront mis à leur disposition pour être servis par quatre agents payeurs d’une agence de transfert de fonds, sous-traitant d’un opérateur téléphonique.
Ne comprenant pas grand-chose du système de paie des enseignants, ces agents payeurs ont évité tout contact avec les autorités scolaires de la place et se sont mis à payer selon les normes de leur agence de transfert de fonds : présence physique individuelle exigée (y compris les malades) sans aucune dérogation, carte d’électeur ou de service à l’appui, devant la liste alphabétique, seul tableau de bord.
Les commissions d’affectation n’étant pas prises en compte, des déserteurs et exclus, ont profité de la brèche pour toucher les salaires au détriment des agents qui les ont remplacés, mais dont les noms traînent à apparaître sur des listings, à cause de la lenteur administrative.
Déçus par cet acte inattendu, fatigués par de longs voyages, affamés, exposés aux intempéries, des enseignants devraient résoudre un vrai dilemme : regagner l’école pour finaliser les travaux de fin d’année (rattrapage des cours de dernière minute, suivi de la composition des examens) ou continuer à attendre ce salaire hypothétique.
Entretemps, bousculades, étouffement, coup de matraque des policiers, suivis de la réplique des pierres des enseignants ont donné un bilan de plusieurs blessés, voire la mort par étouffement d’un bébé. Tout cela pour toucher pas plus de l’équivalent de 80 dollars américains.
Finalement, trois réunions du Conseil de Sécurité présidées par le Commissaire de District décideront de retourner poliment les enseignants dans leurs Sous-divisions respectives. Trois sites de paie seront créés sur proposition des gestionnaires et retouchés par les agents payeurs en tenant compte de leurs effectifs.
« Après un mois de travail, ces agents payeurs n’ont payé que 4.000 enseignants et, cela difficilement. 5.000 autres sont rentrés sans être payés, malgré des longues distances parcourues », précise une source locale.
Les enseignants de Bulungu ne sont pas seuls à connaître ces déboires, en marge de la bancarisation.
Dans la même Province, la paie par voie bancaire perturbe les activités scolaires dans les cinq sous-divisions de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel (EPSP) du territoire d’Idiofa (Bandundu).
Le président de l’Association des parents d’élèves catholiques d’Idiofa (APC), Anicet Ngwamashi, qui a déploré cette situation, le mardi 4 juin sur Radio Okapi, indique que plus de 900 enseignants de ces sous-divisions attendent leurs salaires à Idiofa-centre.
Au Kasaï Oriental, les élèves n’ont pas passé, vendredi 31 mai et samedi, quelques examens de fin de l’année à cause du déplacement de leurs enseignants vers Miabi-centre où ils sont partis percevoir leurs salaires, a-t-on appris de source sûre.
Environ 500 enseignants des écoles de Miabi devraient parcourir plus de 90 km pour toucher leurs salaires au chef-lieu du territoire du même nom. D’autres cas sont légion à travers le pays.
Que faire ?
En définitive, tout en félicitant le Gouvernement pour cette opération de bancarisation, il serait souhaitable qu’il pense résolument à des modalités pratiques, pour garantir la paie régulière et décente des enseignants des milieux non encore pourvus des structures bancaires qui enregistrent à ce jour deux mois d’arriérés de salaire.
Des voix s’élèvent dans les milieux des syndicats des enseignants pour que le Gouvernement concrétise sa promesse annoncée récemment par l’entremise du Président du Comité de suivi de la paie des agents et fonctionnaires de l’Etat, de confier, sans atermoiement, à Caritas, l’un des plus importants réseaux catholiques qui dispose d’un éventail de structures, la paie des salaires pour des milieux non bancarisés.
[La Pros.]
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