dimanche 21 juillet 2013

Assassinat de Chebeya & Bazana : Un ex-garde du corps de John Numbi témoigne…


Le policier en fuite "Fabrice", ex-garde du corps du "général" John Numbi Banza Tambo. Image Congomikili

Saura-t-on la vérité sur ce qui s’est réellement passé le mardi 1er juin 2010 au «QG» de la police nationale congolaise? Trois années après l’assassinat du défenseur des droits de l’Homme Floribert Chebeya Bahizire, un ancien garde du corps de l’ex-patron (?) de la police nationale, refugié à Pretoria, en Afrique du Sud, vient de livrer sa «part de vérité» sur les circonstances de la mort du regretté directeur exécutif de l’association de défense des droits humains «La Voix des Sans Voix pour les droits de l’Homme» (VSV) et de son chauffeur et compagnon d’infortune, Fidèle Bazana Edadi. 

C’est le troisième flic à tenter de soulager sa conscience après Jacques Mugabo, alias Amisi Mugangu, et Paul Mwilambwe. C’est le site www.congomikili.com qui a obtenu une interview en lingala. Au moment des faits, Fabrice assumait, selon ses propres dires, les fonctions de chauffeur de Numbi. 

Il confirme que «Floribert» a été exécuté par étouffement. Il confirme également que le mobile découle de la résolution de la VSV de faire déférer, devant la Cour pénale internationale (CPI), les policiers impliqués dans le double massacre des adeptes de Bundu dia Kongo en 2007 et 2008. 

Pour le reste, «Fabrice» est resté évasif tout en chargeant «John». Selon lui, ce dernier aurait ordonné l’élimination physique de «Floribert» à l’insu du «pauvre bougre» que serait «Joseph Kabila».

Casquette basque, blouson en cuir, bras croisés, regard fuyant. C’est ainsi qu’est apparu l’adjudant en chef de la police nationale congolaise, prénommé «Fabrice». Celui-ci tait sciemment son patronyme. 

L’intervieweur reste muet à ce sujet. Au lendemain de la découverte du corps sans vie de Chebeya, ce jeune policier, âgé d’une quarantaine d’années, a été arrêté avec d’autres collègues. C’était le 4 juin 2010, dans le cadre de l’enquête ad hoc ouverte par le Conseil national de sécurité dirigé par Pierre Lumbi. 

Il avait bénéficié d’une «libération conditionnelle». Aussi a-t-il profité pour s’enfuir en Afrique du Sud où il vit «sans-papiers». «Il est temps de crever l’abcès. Le général Numbi qui me suit doit faire éclater la vérité...», dit-il sur un ton de lamentations.

Le témoignage de «Fabrice»

Les déclarations de cet ex-garde de Numbi pourraient se résumer comme suit: Qui a ordonné l’exécution de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana ? «L’ordre a été donné par le général John Numbi Banza». 

Qui a exécuté matériellement cet ordre ? 

«C’est le major Christian Ngoy qui a étouffé Chebeya avec un sac en plastique de marque Viva. Il a accompli cette opération avec quelques policiers swahilophones appartenant au bataillon Simba». 

Quel en était le mobile ? 

«La VSV avait déposé une plainte contre le général John Numbi devant la CPI au sujet du dossier Bundu dia Kongo. Numbi avait reçu une convocation à se présenter à La Haye». 

Qu’en est-il de Fidèle Bazana ? 

«Fidèle Bazana attendait dans la voiture, dans la rue. Il a été attiré de force dans l’enceinte du quartier général par des agents chargés du protocole. Comme il était costaud et opposait une vive résistance, Bazana a été abattu dans la cave du QG et son corps a été livré aux chiens de la Brigade canine de la police». 

Inspecteur chargé de la sécurité au siège de la police, Paul Mwilambwe suivaient ce double crime via les cameras installés à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment.

Selon le policier Fabrice, Floribert devait être reçu par Numbi, ce mardi 1er juin 2010, à 9h30. Le rendez-vous a été repoussé à 16 heures.

A en croire ce flic, «Joseph Kabila» avait instruit «John» de passer un "deal" avec Chebeya. Ce mardi 1er juin 2010, le «général» avait chargé Fabrice d’aller rechercher ses enfants à l’école. Après l’accomplissement de cette mission, le policier est rentré chez lui à l’ex-camp Mobutu à Lemba. 

«Quelques heures plus tard, raconte Fabrice, le général Numbi m’informa, via le talkie-walkie, qu’un crime venait de se commettre au quartier Mitendi sur la route de Matadi. Et que je devais descendre sur lieu». Arrivé à Mitendi avec un collègue, un policier leur dira qu’il n’aurait rien constaté de suspect. 

«Nous avons rebroussé le chemin, poursuit-il. En arrivant au «Triangle», nous avons croisé deux Jeeps de la police escortant la voiture de Floribert Chebeya de marque Mazda. Le véhicule était conduit par un policier qui porte le surnom de «Boa». Nous nous sommes salués en faisant le jeu des phares». 

Au cours de la journée, Fabrice apprendra la découverte à Mitendi du corps sans vie du défenseur des droits humains. Selon lui, Numbi a agi de son propre chef. Il n’avait pas reçu l’ordre de tuer Chebeya. 

«Il devait s’entretenir avec le militant des droits de l’Homme pour le soudoyer, soutient-il. Il était trop tard quand le bourrique de Joseph Kabila a appris le décès de Chebeya. Il ne pouvait autrement que de protéger Numbi qui fait partie de ceux qui l’ont fait roi. Plusieurs généraux ne font d’ailleurs qu’à leur tête».

L’unique "révélation" faite par ce policier est que le fameux «major Christian» se trouverait au Gabon. Commandant du bataillon Simba, Christian Ngoy avait quitté le pays sur la pointe des pieds en même temps que son collègue et ami Mwilambwe. Il n’est pas sans intérêt de «confronter» le témoignage de Fabrice à ceux du sous-commissaire Jacques Mugabo, alias Amisi Mugangu, et de l’inspecteur Mwilambwe.

Le témoignage de Jacques Mugabo alias "Amisi Mugangu"

Le sous-commissaire Jacques Mugabo, alias Amisi Mugangu, confiait, le 17 juin 2010, à l’auteur de ces lignes – depuis son refuge en Ouganda – que Chebeya a été tué par «étouffement». «Lundi 31 mai 2010, vers 10 heures, relatait-il, l’Inspecteur général (IG) lui-même, le général John Numbi, a appelé le colonel Daniel dans son bureau. 

Le service du protocole de l’IG peut en témoigner. Au retour du bureau de l’IG, le colonel nous a réunis, nous les proches. Il nous a dit ceci : sur ordre du général John Numbi et de la hiérarchie vous devez en finir avec le fameux Floribert Chebeya de La Voix des Sans Voix. Sans laisser des traces ». 

Qui a exécuté matériellement cette instruction? «Nous étions au nombre de cinq, le jour de l’assassinat. Le colonel Daniel notre chef direct, un inspecteur adjoint, une commissaire principale et deux autres sous-commissaires.» Qui a commandité ce crime? 

«Comme je l’ai dit, l’ordre a été donné par la haute hiérarchie». Quel en est le mobile? «Pour le Pouvoir et pour l’IG y compris mon chef «colonel Daniel», «Floribert» était un élément dangereux qui faisait voir au monde les «points négatifs» du régime. 

Floribert est mort à cause des rapports qu’il a remis aux organisations de défense des Droits de l’homme impliquant le Pouvoir». Qu’en est-il du corps du chauffeur Fidèle Bazana ? 

«Le corps de Bazana a été jeté dans le fleuve vers Kinsuka. Nous avions attaché le corps du chauffeur avec une corde et un gros caillou pour qu’il ne remonte pas».

Depuis le 26 novembre 2010, le sous-commissaire Jacques Mugabo, alias «Amisi Mugangu», alias «Maïkekilo», n’a plus été revu en vie. La dernière fois qu’il a été aperçu, il se trouvait à Kampala. Il devait, disait-il, rejoindre son «chef», le major Christian Ngoy, «quelque part».

Le témoignage de l’inspecteur Paul Mwilambwe

Contrairement aux dénégations acharnées du colonel Daniel Mukalay et ses co –accusés selon lesquelles ils n’ont jamais «vu» Chebeya et Bazana au Quartier général de la Police ce 1er juin 2010, Paul Mwilambwe avait tout vu à partir de son poste. 

Dans une interview accordée au cinéaste belge Thierry Michel en juillet 2012, il confirme quelques éléments essentiels. 

Primo : Chebeya avait effectivement rendez-vous, le 1er juin 2010, avec l’Inspecteur divisionnaire en chef de la police nationale congolaise, John Numbi. 

Secundo : Le directeur exécutif de la «VSV» était accompagné de son chauffeur Fidèle Bazana. Il attendait dans le bureau de Mwilambwe. 

Tertio : Le major Christian et 8 de ses hommes sont entrés dans le bureau de Mwilambwe pour chercher Floribert. «Ils l’ont cagoulé à partir de la réception», assure Mwilambwe. «J’ai dit au major Christian que Chebeya devait être reçu par le général Numbi, poursuit-il. On m’a répondu qu’il devait être tué. C’est un ordre militaire venant de la haute hiérarchie». 

Quarto : les exécutions ont été accomplies au plan matériel par une équipe dirigée par le major Christian Ngoy Kenga Kenga, qui était le commandant du «bataillon Simba», une unité spéciale de la police nationale. 

Quinto : Pourquoi avoir tué Bazana ? Mwilambwe d’expliquer : «L’ordre a été donné de faire subir le même sort à toute personne qui accompagnera Chebeya». 

Sexto : Selon Mwilambwe, les deux corps devaient être ensevelis ensemble, conformément aux «ordres». C’est le colonel Mukalay qui a finalement décidé «d’enterrer seulement Bazana».

Dans le film-documentaire «Affaire Chebeya, crime d’Etat ?» réalisé par le cinéaste Thierry Michel, le «colonel Daniel» ne cesse de clamer : «On veut me faire porter le chapeau d’une affaire dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants …». 

Dans l’interview accordée au site congomikili, le policier Fabrice ne dit pas autre chose : «Nous sommes les victimes expiatoires d’une affaire dont nous ne connaissons ni les tenants ni les aboutissants…». Qui dit vrai ? Qui fabule ? 

Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant

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