dimanche 28 juillet 2013

Rôle des intellectuels africains dans la démocratie en Afrique ?

dimanche 21 juillet 2013



Quel est le rôle des intellectuels africains dans la démocratie en Afrique ?

Une réponse précise à cette question est d’autant plus urgente que la démocratie libère la parole, appelle le débat d’idées, requiert la construction de projets de société et que les nouveaux régimes démocratiques sollicitent de plus en plus les intellectuels, pour penser la démocratie afin d’en déployer toute l’efficience dans le sens de l’émancipation des peuples.

Bien souvent, par le passé, beaucoup d’intellectuels africains s’étaient, par affinité ethnique et pour des raisons pécuniaires, mis au service des dictatures. Nombre d’entre eux se sont fait conseillers des tyrans et ont été les intellectuels organiques des régimes despotiques du continent.

Et lorsque, comme Laurent Gbagbo, ils eurent à exercer directement le pouvoir, ils installèrent des régimes liberticides et corrompus et se révélèrent pire que les régimes autoritaires et les despotes qu’ils avaient combattus.

Historiens, avocats, philosophes et hommes de lettres cédèrent à l’ivresse du pouvoir et à la séduction de l’argent qui les transforma en prédateurs et en oppresseurs des peuples.

Le peuple africain est donc désabusé parce que les intellectuels africains se sont discrédités. Ils ont trahi les idéaux qu’ils étaient censés servir et sont tombés largement dans l’hétéronomie.

Confusion de l’Etat avec la société politique

Aujourd’hui, l’enjeu de l’engagement des intellectuels dans le service de la démocratie est donc de redorer ce blason sali. Contre les intellectuels organiques des dictatures africaines, qui incarnèrent à leur manière la faillite de l’intelligence dans le service de l’oppression sous le mode de « la trahison des clercs », dénoncée naguère par Julien Benda, ils doivent réhabiliter et incarner, en effet, l’autonomie de l’intelligence dans le service de la liberté.

L’engagement démocratique de l’intellectuel doit se fonder dans l’éthos de la distance critique et de l’autonomie de la pensée qui correspond à l’autonomie du système politique en démocratie, car la démocratie se distingue du régime politique non-démocratique, au sens où en démocratie le système politique est autonome par rapport à l’Etat et à la société civile.

En effet, « la démocratie n’est pas un mode d’existence de la société toute entière, mais de la société politique » . C’est la société politique dont l’institution centrale est le parlement qui est le lieu de la démocratie, qui se définit par l’autonomie du système politique et par son rôle de médiation entre l’Etat et la société civile.

Distinct de ces deux dimensions de la société, le système politique « a pour charge de faire fonctionner la société dans son ensemble, en combinant la pluralité des intérêts avec l’unité de la loi » . Par ce travail de médiation, l’autonomie dans le corps social est préservée à travers le service et la défense des droits et des libertés !

La confusion de l’Etat avec la société politique conduit à subordonner la multiplicité des intérêts sociaux à l’action unificatrice de l’Etat. Une dérive despotique de l’Etat peut procéder de cette confusion. Inversement, une confusion de la société politique avec la société civile conduit à créer un ordre politique et juridique qui reproduit les intérêts économiquement dominants.

L’intellectuel doit lutter contre le populisme

Cette autonomie fondamentale de la démocratie, qui ne se trouve ni dans l’Etat ni dans la société civile, mais dans la société politique, assigne à l’intellectuel un rôle d’autonomisation du corps social et de médiation entre l’universel et le particulier.

Le rôle de l’intelligentsia dans la démocratie doit être le reflet intellectuel de l’autonomie du système politique, dans la mesure où l’activité de l’intellectuel se décline nécessairement sous les trois dimensions de la critique idéologique morale ou technique.

De même que le système politique préserve son efficience démocratique, en évitant de se confondre avec l’Etat et la société civile, l’intellectuel doit lutter à la fois contre le populisme et défendre les libertés et les droits contre le Pouvoir.

Son engagement pour la défense des libertés et des droits personnels et collectifs doit être accompagné par une conduite d’exemplarité !

La démocratie se maintient par cette synergie de l’autonomie du système politique avec le caractère autonome de la participation démocratique des intellectuels, car « le système politique n’est pas seulement défini par un ensemble d’institutions démocratiques, de mécanismes de prises de décisions reconnues comme légitimes ; il correspond à l’ensemble de l’espace public, en particulier à l’influence des médias et aux initiatives des intellectuels » .

La synergie des initiatives critiques des intellectuels et de l’autonomie du système politique préserve la société de la dérive oligarchique et de la dérive populiste. Elle est requise pour que les institutions démocratiques parviennent à se transformer en institutions représentatives et pour que le projet de développement endogène, qui est le télos de la démocratie en Afrique, puisse être poursuivi avec efficience.

Le rôle des intellectuels est spécifiquement, en ce sens, de « combiner la mise en œuvre du développement endogène, en particulier les conflits sociaux dont l’enjeu est l’utilisation sociale de la rationalisation avec la mobilisation des forces de libération » .

Tomber dans l’égoïsme moral en ramenant toutes les fins à soi

Lorsque, cédant à l’ivresse de l’opium de la parole et de la critique facile, l’intellectuel tombe dans la rhétorique creuse et dans les sophismes qui le conduisent à combiner des mots vides dans la démagogie, au lieu de combiner la liberté et les forces de libération qui permettent d’élargir les espaces politiques de la démocratie et de poursuivre le développement endogène ; Lorsque, saisi par une pathologie de la réflexion, il tombe dans l’égoïsme moral en ramenant toutes les fins à soi, en ne voyant d’utilité qu’en ce qui lui est utile ; lorsque, par eudémonisme, il ne fonde la destination suprême de son vouloir que sur son utilité et son bonheur personnel, et non sur la représentation de son devoir et s’abime dans l’hétéronomie ; quand il abdique du service exigeant de l’autonomie, de la subjectivation démocratique, et de l’exemplarité qui permet d’établir les libertés publiques, de construire et d’affermir la conscience de la citoyenneté , il réédite la faillite des clercs jadis dénoncée par Julien Benda et il creuse la tombe de la démocratie !

Alexis Dieth

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