11/07/2013
Un thriller réalisé par KAYUMBA et KAREGEYA
En exil en Afrique du Sud, deux anciens proches du président rwandais, Paul Kagame, ont décidé de délier leurs langues pour dénoncer tout le mal que ce dernier cause non seulement au Rwanda mais aussi à toute la région des Grands Lacs.
Patrick Karegeya, alors chef de service de renseignements extérieurs, et Faustin Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état major de l’Armée rwandaise, disent détenir les preuves de l’implication directe de l’homme fort de Kigali dans la déstabilisation de la région. Ils n’attendent plus que la justice se mette en branle pour déballer l’homme fort de Kigali.
Désormais, il est prouvé que le problème dans la région des Grands Lacs, c’est Kagame.
Le chercher ailleurs, reviendrait à se tromper de cible. Deux anciens proches du président rwandais en exil en Afrique du Sud, ont juré de rompre le silence face au drame de la région des Grands Lacs.
La position qu’ils ont occupée dans la hiérarchie du système de défense et de sécurité du Rwanda donne de bonnes raisons de prendre au sérieux leur déclaration. C’est au micro de Radio France internationale (RFI) qu’ils ont décidé de se défouler d’un mal qui les ronge depuis que Paul Kagamé les avait forcés à l’exil en les menaçant de mort.
Le premier, Faustin Kayumba Nyamwasa, a exercé comme chef d’Etat-major de l’armée rwandaise de 1994 à 2002. Le second, Patrick Karegeya, fut le chef de service de renseignements extérieurs du Rwanda avant son divorce avec l’homme fort de Kigali.
Leur témoignage est à la fois poignant et révélateur de grandes manœuvres du président rwandais pour régner en maître dans la région des Grands Lacs.
En effet, depuis le génocide de 1994, précédé par la mort de l’ex-président rwandais Habyarimana, Paul Kagame a toujours nourri, affirme Patrick Karegeya, d’avoir le contrôle de la partie Est de la RDC qui a hébergé les ex-militaires Interahamwe.
Lorsque RFI lui pose la question de savoir s’il y a eu de bonnes raisons de mener la première guerre du Congo, déclenchée en 1996 avec l’AFDL, Patrick Karegeya répond dans des termes clairs :
« Il y avait des raisons parfaitement légitimes de la mener. A cause de ce qui se passait de l’autre côté de la frontière, dans les camps, la réorganisation (Ndlr : des ex-FAR-Interahamwe) ; soit on réglait le problème, soit ils allaient s’occuper de nous.
Celle-là était légitime. Mobutu les soutenait ».
Quant à la deuxième guerre du Congo, menée en 1998 avec le RCD, Patrick Karegeya rappelle son opposition à cette initiative qui, selon lui, n’a résolu aucun problème. Le divorce est parti de là.
« En ce qui concerne la deuxième guerre, il nous suffisait de parler, nous n’avions pas nécessairement besoin de nous battre », révèle-t-il.
L’ancien chef des renseignements rwandais ne s’arrête pas là. Au contraire, il enfonce le clou.
Il rapporte que toutes les rebellions qui ont défilé dans l’Est de la RDC, depuis l’AFDL jusqu’à la toute récente, en l’occurrence le M23, ont été l’œuvre de Kagame.
Toutes ces créations tenaient, souligne-t-il, à un seul objectif : la déstabilisation des Grands Lacs pour avoir le contrôle de la partie Est de la RDC. « Et comme vous le voyez, nous n’avons obtenu aucun résultat.
Nous en sommes toujours au même point. RCD, CNDP, M23. Il y aura probablement aussi un M27… Ça n’aide pas le Congo. Ça n’aide pas le Rwanda. Ça n’apporte que des souffrances dans la région ».
Nkunda, Ntaganda, … : des créatures de Kigali
Ayant été choisi par des puissances politico-financières occidentales comme gendarme des Grands Lacs, Paul Kagame n’a pas tardé à entretenir un vaste réseau criminel dans la région. Avec comme prétexte apparent la présence des Interahamwe et autres FDLR.
Les guerres tribales de l’Ituri, les tensions récurrentes dans la province du Nord-Kivu, tout a été planifié par le nouveau régime de Kigali après la chute d’Habyarimana. Pendant ce temps, des discours ont été développés et des attitudes fabriquées pour justifier l’œuvre macabre de Paul Kagame.
Ce que rappellent les ex-acolytes du président rwandais c’est que Paul Kagame aura été au centre de tout, dictateur né et formé à l’école de la violence et de la manipulation.
Ntaganda, Nkunda et autres, affirme Karegeya, n’ont été que des marionnettes créées par l’homme fort de Kigali pour exécuter son plan machiavélique. Aussi a-t-il fait passer tous ces chefs de guerre de nationalité rwandaise pour des officiers congolais et ont travaillé sous le drapeau congolais.
Patrick Karegeya ne porte pas de gants quant à la vraie nationalité de Bosco Ntaganda :
« Oui, bien sûr qu’il est rwandais. Il était dans l’armée rwandaise, on l’a choisi, envoyé auprès de Lubanga et on l’a approvisionné en armes ».
Il estime que la personne la mieux placée pour répondre des crimes commis par Ntaganda dans l’Est est bel et bien le président Paul Kagame. « Donc, quand il (Ndlr : Ntaganda) cause tous ces problèmes, le coupable, ça ne devrait pas être Ntaganda, mais Kagame. Ntaganda a juste été déployé.
Donc, ces événements sont de la responsabilité de son commandant. (…) Parce que c’est lui qui l’a choisi au Rwanda et l’a envoyé dans l’Est du Congo. Alors pourquoi s’occuper des symptômes et pas de la maladie ? ».
Bien plus, Patrick Karegeya révèle que « la plupart de ceux qui ont dirigé la rébellion en RDC venaient du Rwanda de toute façon. Ntaganda n’est pas un cas particulier. Nkunda, Ntaganda, ils ont été formés au Rwanda, mais ne se sont pas battus là. Ils étaient déployés, c’est tout ».
Si les déclarations de Patrick Karegeya font tomber le voile sur la nette implication du régime de Kigali dans le drame qui ronge depuis plus d’une décennie la partie Est de la RDC, elles jettent cependant l’opprobre sur tout un pays et son peuple.
Comment en RDC des langues pouvaient se taire face à tout ce que Kagame fomentait comme plans dans l’Est de la RDC ?
Par naïveté, malheureusement, des Congolais de souche ont, depuis l’AFDL jusqu’à tout récemment avec le M23, accompagné Kagame dans son entreprise destructrice de l’Etat et de la nation congolaise. Ils ont aidé le conquistador new look à mettre à feu et à sang l’Est de la RDC.
Bilan : 8 millions de Congolais morts sans compter les pillages systématiques, les dégâts matériels et environnementaux inestimables.
Aujourd’hui que deux de ses proches témoignent, y a-t-il encore des raisons pour les Congolais et la communauté internationale de garder silence, un silence qui serait coupable ? D’autant que les dénonciateurs réclament d’être entendus par un tribunal.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union européenne, notamment ont du pain sur la planche.
Ils ont là l’occasion de montrer leur amitié envers la RDC et le peuple congolais en se saisissant d’office de ces « allégations » pour que justice soit faite.
Surtout que dans l’opinion congolaise, il est retenu qu’ils avaient volontairement fermé les yeux sur les crimes que ne cesse de commettre Paul Kagame dans l’Est de la RDC.
INTERVIEW DE FAUSTIN KAYUMBA NYAMWASA
L'ancien chef d’état-major rwandais Kayumba Nyamwasa réitère ses accusations envers Paul Kagame. Il se dit prêt à répondre aux questions de la justice française sur l’attentat contre l’avion de l’ancien président Juvénal Habyarimana. Il avait été inculpé dans le cadre de cette affaire par la justice française en 2006, suite au rapport du juge Jean-Louis Brugière.
Le général Kayumba vit aujourd’hui en exil en Afrique du Sud. Il avait fui le pays en février 2010 et il est accusé par les autorités rwandaises d’être responsable d’attaques à la grenade à Kigali à quelques mois de l’élection présidentielle.
En juin 2010, il avait échappé à une tentative d’assassinat. Et lors d’une des audiences dans le procès des présumés responsables de cette tentative d’assassinat, il avait accusé le président Paul Kagame d’être responsable de l’attentat contre l’avion de l’ancien président rwandais en avril 1994.
RFI: Général Kayumba Nyamwasa, vous avez accusé le président Kagame d’être responsable de l’attaque qui a coûté la vie à Juvénal Habyarimana. De quel type de preuves disposez-vous ?
Kayumba Nyamwasa : J’étais en position de savoir qui est responsable de l’attaque. Je ne me cache pas. Le rapport sur l’attentat (ndlr : le rapport Bruguière) a été publié quand j’étais en Inde. Je n’ai pas fui et suis resté à mon poste.
Et les Français, s’ils le souhaitaient, auraient pu venir me parler. Et même maintenant, je suis toujours prêt à leur parler. Ce que je sais sera une affaire entre la justice et moi. Je suis prêt à leur apporter toutes les preuves dont je dispose.
A l’époque, j’étais responsable des renseignements militaires. C’est impossible que je ne sois pas au courant de qui a mené l’attaque et de ce qui s’est passé.
Mais étiez-vous vous-même impliqué dans cette attaque ?
Cela, je vais en parler avec le juge. Mais quand j’ai dit ce que j’ai dit, c’est simplement parce que je savais qu’un jour, j’aurai la possibilité de dire toute la vérité.
Donc vous êtes prêt à témoigner en France, par exemple ?
Sans aucun doute, évidemment, oui. Je serai amené à le faire un jour.
Même si vous êtes accusé d’y avoir participé ? Vous irez répondre à ces accusations ?
Être accusé, ce n’est pas la même chose que d’être coupable. Je suis accusé, mais pas coupable. J’ai la conscience tranquille.
En 2008, un juge espagnol a lancé des mandats d’arrêt contre quarante officiers supérieurs rwandais pour des crimes commis après 1994 et en particulier pour l’assassinat de religieux et de travailleurs humanitaires qui travaillaient au Rwanda à l’époque. Et vous en faites partie. Etes-vous prêt à répondre également de ses accusations ?
Oui, bien sûr. Mais d’abord, vous devrez lire le rapport du juge espagnol. Si vous regardez la liste de ses officiers, Kagame ne fait pas partie des quarante, mais son nom est cité dans le rapport. Il est simplement protégé par son immunité.
Ce que je peux vous dire sur cette liste, c’est que la majorité d’entre eux ne sont pas coupables. Et je pense que quand le régime de Kagame ne sera plus en place, toute la vérité sera dite. Mais en ce qui me concerne, oui, je suis prêt à rencontrer le juge espagnol. Je lui donnerais les preuves dont je dispose et je laverai mon nom.
Vous et le président Kagame, vous avez lutté côte à côte, vous avez été proches, quand est-ce que vos relations ont commencé à devenir difficiles ?
Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, ça a pris peut-être cinq ou six ans. Parce que j’ai peu à peu réalisé que tout ce pourquoi nous nous étions battus était en train d’être détourné. Au lieu de construire une démocratie, de travailler à la réconciliation, nous n’étions en train de travailler que pour le bénéfice d’un seul.
Et je lui en ai un peu parlé, lui ai fait part de mon mécontentement. Et je n’étais pas le seul. Certains de mes collègues ont fait pareil. Mais ça n’a jamais marché. Ces remarques étaient perçues comme une remise en cause du régime. On a fini par être considérés comme des rebelles, des ennemis du pays. On a été traité de tous les noms. C’est la raison pour laquelle je vis en exil aujourd'hui.
Est-ce qu’à un moment, au sein du Front patriotique rwandais (FPR), la prise de décision était collégiale ou est-ce qu’elle a toujours été le fait d’un seul ?
A l’origine, pendant la lutte, nous parlions ouvertement. On pouvait être d’accord, pas d’accord. Pas seulement d’ailleurs le président Kagame et moi. Nous avions un comité exécutif au FPR. J’ai été membre de ce comité, j’étais aussi membre du haut commandant et puis j’ai fini par devenir chef d’état-major.
Je peux vous dire comment ça se passait parce que j’ai participé à presque toutes les réunions. Mais dans les années 1998, 1999 ou même 2000, tout a changé. Il n’était plus permis de discuter les décisions. Ne pas être d’accord revenait à faire dissension. Ce qui s’est passé, ce que ce qui était une organisation est devenu un one-man show. Et je me suis dit que je n’étais plus à ma place.
Donc quand vous avez été nommé ambassadeur en Inde en 2004, ce n’était pas le début de vos ennuis avec le président Kagame ?
Non c’était plutôt l’un des pics de tension. Parce que quand j’ai été envoyé en Inde, notre relation de travail s’était complètement dégradée. Depuis 2000, j’ai fait savoir que j’étais mécontent de la situation et particulièrement concernant la mise à l’écart du président Pasteur Bizimungu et puis finalement son emprisonnement.
Donc quand ils m’ont envoyé en Inde, c’est simplement parce que le président Kagame voulait me mettre hors jeu, peut-être qu’il ne supportait même plus de me voir. Je me suis dit que c’était un mal pour un bien. J’ai pris ces cinq années en Inde comme un moyen de disparaître de sa vue et même peut-être de lui sortir de la tête.
Mais il y avait beaucoup de personnes envoyées en prison à l’époque. Pourquoi avoir choisi de plaider la cause de Pasteur Bizimungu auprès du président Kagame ?
Pasteur Bizimungu n’a jamais commis aucun crime. Il était en désaccord avec Kagame. Il a été forcé de démissionner. Il a essayé de créer un parti politique d’opposition, ce n’est pas un crime, ça. Je pensais que Pasteur Bizimungu devrait avoir le droit de créer son parti, de devenir le ténor de l’opposition et que s’il gagnait l’élection et bien, qu’il en soit ainsi.
Mais vu le contexte de l’époque, il n’avait aucune chance de gagner l’élection, donc il n’y avait aucune raison pour eux de le jeter en prison. Mais ils ont monté un dossier contre lui avec des accusations fantasques : avoir créé une milice, avoir l’idéologie génocidaire, des choses comme ça. Mais moi, je savais que tout ça avait été monté de toutes pièces. Et je m’y suis opposé.
Ce n’est pas parce que quelqu’un crée un parti politique, qu’il n’est pas d’accord avec nous, qu’il faut le jeter en prison. Ce n’est pas la bonne manière de faire. Nous nous sommes battus pour ramener la liberté dans le pays, la liberté d’expression, la liberté de réunion et si Bizimungu voulait exercer cette liberté, pourquoi l’emprisonner ?
Alors pourquoi ne pas avoir protesté publiquement ?
Vous savez, j’étais membre de ce gouvernement et j’étais dans l’armée. Je ne vois pas vraiment comment j’aurais pu manifester ouvertement mon mécontentement. Je pense que la loi et les réglementations voulaient que ces choses soient discutées à huis clos avec les autorités et c’est ce que j’ai fait.
Pourquoi avez-vous quitté le Rwanda en février 2010 ?
J’ai quitté le Rwanda parce que la situation a empiré. J’ai reçu des informations indiquant que ma sécurité était menacée. Je savais que par le passé, il y avait eu des tentatives de m’éliminer. Ceux qui avaient été mandatés pour le faire avaient refusé. En 2010, on m’a convoqué pour une réunion d’explication.
L’objectif était de m’accuser de plusieurs choses concernant mon comportement. On m’a demandé de présenter mes excuses à Paul Kagame. J’ai répondu que je n’avais commis aucun crime. Que tout ce dont on m’accusait était faux. Et j’ai refusé de le faire.
Beaucoup de gens l’ont fait par le passé et le font encore aujourd’hui au Rwanda, que ce soit dans le cas de mon ami, le général Karenzi, qui a été mis en prison pour une affaire qui n’a jamais été jugée. On lui a demandé de présenter ses excuses. D’après ce que j’ai compris, il a écrit une lettre. Je peux aussi vous citer aussi le cas du général Muhire.
Lui aussi a fait de la prison, n’est jamais passé devant la justice et a dû écrire une lettre pour demander pardon. Je pourrais vous en citer plein d’autres. Pour moi, c’était inconcevable de demander pardon pour un crime que je n’avais pas commis.
Et je savais aussi que le président Kagame voulait que j’écrive cette lettre pour pouvoir m’incriminer par la suite. Qu’il allait l’utiliser au sein du FPR, peut-être la transmettre à des diplomates et même peut-être la rendre publique. Ces lettres sont utilisées pour prendre les gens en otage. Et je ne voulais pas devenir l’otage du régime.
En février 2010, il y a eu des attaques à la grenade sur le sol rwandais. Et vous avez été accusé par Kigali d’être responsable de ces attaques…
Si j’avais été mêlé à ces attaques, j’aurais été arrêté à Kigali. Mais je n’ai été accusé que plus tard, quand j’étais déjà ici en Afrique du Sud. C’est bien la preuve que je ne suis pas impliqué. Et puis les gens qui ont été arrêtés au Rwanda pour avoir lancé ces grenades ne m’ont jamais accusé.
Je n’aurais pas transporté des grenades depuis l’Inde pour les lancer à Kigali. C’est un mensonge. Et Kagame le sait.
En fait, il y a des informations qui circulent comme quoi ce sont les services de renseignement militaires qui ont lancé des grenades à cette époque-là, avec l’intention d’arrêter Victoire Ingabire en l’accusant elle de les avoir lancés. Mais quand je suis parti, ils ont préféré m’accuser moi.
Donc vous êtes parti en exil. Vous êtes arrivé ici en Afrique du Sud. Et en juin 2010, on a attenté à votre vie. Connaissez-vous les responsables ?
Je n’ai aucun doute sur celui qui est derrière cette attaque. C’est le président Kagame, parce que, avant même qu’il ne le fasse, il l’a dit au Parlement. S’il doit utiliser un marteau pour tuer une mouche, il va le faire.
Et il faisait référence à Patrick Karegeya (ndrl : ancien chef des renseignements extérieurs aujourd’hui en exil en Afrique du Sud) et moi. Il a dit ça en mai, et en juin, on m’a tiré dessus.
Quand il s’est rendu en Ouganda par la suite, il a dit ouvertement que je méritais ce qui m'était arrivé. Cette affaire est devant la justice. Je ne veux pas spéculer. Mais toutes les preuves qui ont été présentées à la cour indiquent que ces gens ont été mandatés par d’autres pour me tuer.
Et ceux qui ont attenté à ma vie n’ont jamais eu de travail ici et pourtant ils ont les meilleurs avocats du pays. Qui paie la note ? Voilà, c’est mon point de vue et il est partagé par beaucoup de monde. Le président Kagamé ne l’a d’ailleurs jamais démenti.
Beaucoup disent : ces gens-là parlent parce qu’ils sont en exil, mais quand ils faisaient partie du gouvernement, ils ne critiquaient pas le président Kagame.
Vous pouvez tolérer certaines choses parce que vous espérez un changement. Mais maintenant, au Rwanda, il n’y aura pas de changement. Il n’y a plus d’espace pour ça. Cette dictature ne s’est pas développée en un jour. Cela a pris deux décennies.
Il est temps que l’on parle pour qu’on puisse y mettre un terme. Parce que sinon, il y aura de nouvelles violences pour changer le régime. C’est pourquoi nous utilisons des moyens pacifiques, et je dis bien pacifiques, pour mobiliser les gens et pour les appeler à résister à la dictature pacifiquement.
Donc vous n’êtes pas en train de comploter pour renverser le régime du président Kagame ?
Non, nous ne faisons que mobiliser les gens pour qu’ils rejettent cette dictature, qu’ils résistent. C’est pour cela que nous parlons ouvertement, que je parle avec vous aujourd’hui.
Pendant la guerre, pourquoi ne pas avoir essayé de prendre Kigali, pourquoi avoir tourné autour ?
C’était un choix stratégique et tactique. Quand vous affrontez un ennemi, vous devez regarder ses points faibles pour remporter la victoire sans avoir trop de casse et sans épuiser vos ressources.
Et à cette époque, encercler Kigali était le meilleur moyen de démoraliser l’ennemi, de couper ses lignes de ravitaillement, Parce que les troupes gouvernementales étaient mieux armées que nous. Si on les avait attaquées frontalement, on aurait eu plus de pertes.
Donc ce n’était pas pour une question de communication ? Laisser le génocide se dérouler à Kigali où il y avait des caméras de télévision, ça ne faisait pas partie de votre plan ?
Le génocide a eu lieu partout. Pas seulement à Kigali. Et il y a eu apparemment plus de victimes dans les villages que dans les villes. Dans les villes, certains ont pu se réfugier auprès de l’ONU. Même si l’ONU en a abandonné certains. Certains ont pu se cacher dans les hôtels. D’autres ont ralliés les positions des unités du FPR. Mais dans les villages, les gens étaient sans défense.
[Interview - Sonia Rolley, RFI]
L’INTERVIEW DE PATRICK KAREGEYA
Ancien chef des services de renseignement extérieur du Rwanda, Patrick Karegeya a fui le pays en 2007 et vit aujourd’hui en exil en Afrique du Sud. Comme le général Faustin Kayumba Nyamwasa, il accuse le président Kagame d’être responsable de l’attentat qui en avril 1994 a coûté la vie à Juvénal Kabyarimana.
Tous deux se disent prêts à rencontrer le juge français en charge de l’enquête, Marc Trévidic.
Depuis quand connaissez-vous le président Kagame ?
Cela fait très longtemps. On était ensemble à l’école. Il devait être deux classes au-dessus de moi. Donc cela fait plus de trente ans.
Et vous avez travaillé ensemble dans l’armée ougandaise…
Oui, nous avons travaillé dans le même département, celui des renseignements militaires.
Quand avez-vous décidé de prendre les armes ?
Je crois que tout a commencé en 1987. Fred Rwigyema était toujours vivant et il y avait aussi d’autres officiers plus âgés que nous. Ils organisaient les réunions, décidaient qui parmi les officiers devaient y participer. Donc oui, nous participions aux réunions, puis nous retournions sur le terrain pour voir ce qui se passait. Et nous leur faisions notre rapport.
Quand est-ce que le président Kagame a pris le contrôle des opérations ? Et pourquoi lui ?
Pourquoi lui ? Parce que tous ceux qui étaient au-dessus de lui sont morts. Donc ça lui revenait de commander. Quand tout a commencé, il n’était pas là.
Mais quand il est revenu, Fred est mort et les autres aussi, donc c’est lui qui a pris le commandement parce qu’il était en tête de liste. On a tous pensé qu’il était souhaitable qu’il prenne la tête des opérations et c’est ce qu’il a fait.
Donc il n’y avait aucune contestation à l’époque ?
Non, aucune. Ce serait compliqué pour des militaires de contester ce type de décision, ce n’est pas comme en politique. Et n’oubliez pas que nous étions en guerre, il n’y avait pas de place pour la politique ou des considérations démocratiques. Et puis ce n’est pas comme s’il prenait la tête du mouvement. Il y avait le Front patriotique rwandais et l’Armée patriotique rwandaise.
Il a pris le contrôle de l’APR et du reste plus tard. Mais ça, ça s’est fait petit à petit, au fil des années, pendant la rébellion. Puis on a pris le pouvoir. Et ce n’est qu’en 1998 qu’il a pris la tête du FPR. Il a réussi à se défaire de tout le monde et même de son patron de l’époque, Bizimungu, qui était président.
Et on doit tous plaider coupable parce que ça s’est passé sous nos yeux. Mais comme on était en guerre, personne n’a eu le courage de dire quoi que ce soit ou de convoquer une réunion pour ça. Donc les civils ont été pratiquement tous éjectés du mouvement. C’est devenu une institution militaire qui n’a conservé du FPR que le nom.
Mais on a toujours l’impression qu’il était en charge de tout, même à l’époque où Pasteur Bizimungu était président. Est-ce que tout ça n’était pas du décorum ?
Non, pas exactement. Il était à la tête de l’armée et tout dépendait de l’armée. Evidemment, tous ceux qui venaient avec un problème politique, ils étaient accusés d’abord de mettre en péril les efforts de guerre, puis de ne pas être suffisamment patriotes.
Et très peu de gens finalement avait le courage de dire « il y a l’action militaire et il y a la politique ». Donc il a véritablement pris le contrôle de tout sans que personne n’ose dire quoi que ce soit ou même n’ose contredire ce qu’il disait. Il est devenu l’homme fort comme on dit.
Pourquoi ne contestiez-vous pas ces décisions ? Est-ce que vous ne considériez pas qu’il était le meilleur pour faire ce travail ?
Meilleur ou non, il était déjà en place. Donc on se contentait d’essayer d’arranger les choses, de le convaincre de ne pas faire certaines des choses terribles qu’il avait en tête. C’est pour ça qu’on a fait partie des dégâts collatéraux.
On a essayé de lui dire que ce n’était pas bien, que ce n’était pas la bonne manière de faire les choses. Mais parce qu’il avait tous les pouvoirs, il a commencé à voir toutes les critiques ou même simplement les suggestions comme une remise en cause personnelle.
C’est devenu évident qu’à un moment, il n’y avait plus de différence entre lui et l’Etat. Comme vous dites en France : « l’Etat, c’est moi ». Et maintenant qu’il a tous les pouvoirs, il se comporte en monarque absolu. Et personne ne peut contester ses décisions.
Vous accusez aujourd’hui le président Kagame d’être derrière l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana. Avez-vous des preuves de son implication ?
Si nous n’en avions pas, nous ne dirions pas ça. Evidemment, nous en avons. Nous ne spéculons pas. Nous ne sommes pas comme ceux qui essaient d’enquêter, qui disent que le missile venait de Kanombé (ndlr : camp militaire des FAR, l’armée rwandais de l’époque).
Nous savons d’où les missiles sont partis, qui les a acheminés, qui a tiré. Nous ne spéculons pas. On parle de quelque chose que l’on connait.
Mais pourquoi ne le rendez-vous pas public ? Pourquoi les garder pour vous ?
Nous ne les gardons pas pour nous. Il n’y a pas eu d’enquête digne de ce nom. On ne veut pas livrer tout cela aux médias. Souvenez-vous que tout ceci aura des conséquences pour des gens. Les gens qui ont perdu leurs vies avaient une famille, des amis.
Si je vous le dis, évidemment, vous allez le publier et ça ne va pas aider les victimes. Donc, on s’est toujours dit que ça devait se faire dans le cadre d’une enquête judiciaire, qu’on puisse dire dans ce cadre-là ce que l’on sait.
Le juge Trévidic ne vous a jamais contacté ?
Non, ces juges ne sont jamais venus vers nous. S’ils le font, nous le dirons ce que nous savons. Mais on ne peut pas leur forcer la main. S’ils souhaitent nous entendre, ils viendront. Et puis n’oubliez pas que ce sont des Français et que les victimes sont rwandaises.
Donc on estime aussi que ce serait mieux si des Rwandais faisaient aussi ce travail… Mais ça, évidemment, ça ne pourra se faire qu’après le départ de Kagame. Nous n’espérons pas qu’il y ait une enquête judiciaire rwandaise pour le moment. Les Français ont pris la liberté de le faire, mais aucun d’eux n’est venu nous voir.
Est-ce que vous êtes impliqué dans cette attaque ?
Non, mais ça ne veut pas dire que je ne sais pas ce qui s’est passé.
Et vous n’occupiez pas un poste qui vous permettait d’empêcher cet attentat ?
L’empêcher ? Non, je ne m’y serais pas opposé. Il l’a décidé. Et je n’aurais jamais pu dire : ne le faites pas. Il était sûr de sa décision. Mais savoir, ça, oui, on sait.
Mais pourquoi abattre cet avion ?
Il croit que tous les opposants doivent mourir… Et à cette époque, parce que c’était Habyarimana, c’était un moyen de prendre le pouvoir. Habyarimana venait de signer un accord de partage du pouvoir, même s’il essayait de gagner du temps, ce n’était pas une raison pour le tuer.
Il fallait suivre le processus et s’assurer qu’il aille jusqu’au bout. Beaucoup de gens disaient qu’il essayait de gagner du temps, je ne cherche pas à le défendre. Mais même s’il a commis des erreurs, il ne méritait pas de mourir.
Vous avez été chef des renseignements extérieurs pendant dix ans et, en 2004, vous avez été démis de vos fonctions. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
C’est le résultat d’une série de désaccords avec le président Kagame sur sa lecture du pays en termes de gouvernance, de droits de l’homme, à propos également de la situation au Congo… Ça a duré assez longtemps.
A un moment, j’ai réalisé qu’on n’allait nulle part. Je lui ai demandé de me laisser faire ma vie, il a refusé. Trois ans après, il a fini par me jeter en prison. Pas une, mais deux fois. Donc il s’agissait de désaccords politiques, rien de personnel.
Rien de personnel ? Mais vous étiez amis…
Bien sûr que nous étions amis, mais je faisais partie du gouvernement. Je n’étais pas là pour l’encenser. En tant que chef des renseignements, je pense que ce que je pouvais faire de mieux, c’était de lui dire la vérité, que la vérité soit amère ou non. Mais le fait qu’il ne puisse pas l’accepter et qu’il le retienne contre moi, je crois que ce qui se passe aujourd’hui me donne raison.
Quelles abominables vérités lui disiez-vous par exemple ?
Les habituelles, je lui disais que ce que nous faisions n’était pas bien en terme de justice, de démocratie, de liberté de la presse. Il y avait la seconde guerre du Congo. On a parlé de tout ça et on ne tombait jamais d’accord. Mais parce que ça n’avait pas lieu en public, personne ne réalisait qu’il y avait une sorte de guerre froide entre lui et moi.
Donc il y a eu pendant des années des dissensions au sein du Front Patriotique Rwandais ?
Oui, mais cela se passait entre les militaires. Les civils n’en savaient rien. Et il n’y avait pas que moi. D’autres aussi étaient mécontents. Certains en ont fait les frais. D’autres ont décidé de se taire pour toujours. C’est une question de choix.
Si vous en parliez publiquement, ils vous pendaient haut et court. Certains sont morts, d’autres ont été jetés en prison, d’autres comme nous se sont retrouvés en exil. Et ça va continuer tant qu’il reste sur cette ligne.
Vous disiez que vous vous êtes opposés à la seconde guerre du Congo. Donc vous étiez favorable à la première ?
Oui, définitivement. Il y avait des raisons parfaitement légitimes de la mener. A cause de ce qui se passait de l’autre côté de la frontière, dans les camps, la réorganisation (ndlr : des ex-FAR-Interahamwe), soit on réglait le problème, soit ils allaient s’occuper de nous. Celle-là était légitime. Mobutu les soutenait.
En ce qui concerne la deuxième guerre, il nous suffisait de parler, nous n’avions pas nécessairement besoin de nous battre. Et comme vous le voyez, nous n’avons obtenu aucun résultat.
Nous en sommes toujours au même point. RCD, CNDP, M23. Il y aura probablement aussi un M27… Ca n’aide pas le Congo. Ca n’aide pas le Rwanda. Ca n’apporte que des souffrances dans la région.
Bosco Ntaganda qui était l’un des chefs du CNDP est devant la Cour pénale internationale. Est-ce que vous allez témoigner devant la cour ?
Je ne sais pas pourquoi je devrais le faire. Mais si la cour estime qu’elle peut apprendre quelque chose de moi, je coopérerai avec elle. Mais je crois que la CPI ne juge pas la bonne personne. Elle devrait traduire en justice Kagame et pas Ntaganda.
Pourquoi ?
Parce que c’est lui qui l’a choisi au Rwanda et l’a envoyé dans l’est du Congo. Alors pourquoi s’occuper des symptômes et pas de la maladie ?
Donc vous affirmez que Bosco Ntaganda est rwandais et pas congolais ?
Oui, bien sûr qu’il est rwandais. Il était dans l’armée rwandaise, on l’a choisi, envoyé auprès de Lubanga et on l’a approvisionné en armes. Donc quand il cause tous ces problèmes, le coupable, ça ne devrait pas être Ntaganda, mais Kagame. Ntaganda a juste été déployé. Donc ces événements sont de la responsabilité de son commandant.
De quel corps d’armée était-il issue ? Où était-il basé ?
Ce n’est pas comme si on en avait plusieurs. Il était des forces de défense rwandaise. Il était sous-officier. La plupart de ceux qui ont dirigé la rébellion venaient du Rwanda de toute façon. Ntaganda n’est pas un cas particulier. Nkunda, Ntaganda, ils ont été formés au Rwanda, mais ne se sont pas battus là. C’est pourquoi je dis qu’ils ne s’occupent pas des bonnes personnes. Ils étaient déployés, c’est tout
Bosco Ntaganda s’est enfui au Rwanda et a trouvé refuge à l’ambassade des Etats-Unis. Est-ce que c’était avec l’aide du gouvernement rwandais ?
Non, il voulait sauver sa peau. S’il s’était rendu au gouvernement rwandais, ça aurait été une toute autre histoire. Je ne pense pas qu’ils l’auraient remis à la Cour pénale internationale.
Pourquoi avez-vous fui le pays en 2007 ?
J’avais déjà testé la prison deux fois. Et j’ai été maintenu à l’isolement. Deux fois en deux ans. Quand je suis sorti, j’ai été amené au ministère de la Défense, j’ai été malmené par des officiers, or certains sont en prison aujourd’hui, d’autres ont des problèmes. Mais bon, le fait important, c’est qu’ils m’ont dit que Kagame allait s’occuper de moi définitivement. Ça en inquiétait tout de même certains.
Ils m’ont dit que si je tenais à la vie, il fallait que je parte. Je n’avais pas de raison d’en douter. Donc je suis parti. Et en fait, c’était bien vrai. C’est qu’il a essayé de faire ici. C’est pour ça qu’on a tiré sur mon collègue (ndlr : le général Faustin Kayumba Nyamwasa). J’ai eu de la chance de m’en sortir sans aucune égratignure.
[Interview - Sonia Rolley, RFI]
© KongoTimes
Un thriller réalisé par KAYUMBA et KAREGEYA
En exil en Afrique du Sud, deux anciens proches du président rwandais, Paul Kagame, ont décidé de délier leurs langues pour dénoncer tout le mal que ce dernier cause non seulement au Rwanda mais aussi à toute la région des Grands Lacs.
Patrick Karegeya, alors chef de service de renseignements extérieurs, et Faustin Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état major de l’Armée rwandaise, disent détenir les preuves de l’implication directe de l’homme fort de Kigali dans la déstabilisation de la région. Ils n’attendent plus que la justice se mette en branle pour déballer l’homme fort de Kigali.
Désormais, il est prouvé que le problème dans la région des Grands Lacs, c’est Kagame.
Le chercher ailleurs, reviendrait à se tromper de cible. Deux anciens proches du président rwandais en exil en Afrique du Sud, ont juré de rompre le silence face au drame de la région des Grands Lacs.
La position qu’ils ont occupée dans la hiérarchie du système de défense et de sécurité du Rwanda donne de bonnes raisons de prendre au sérieux leur déclaration. C’est au micro de Radio France internationale (RFI) qu’ils ont décidé de se défouler d’un mal qui les ronge depuis que Paul Kagamé les avait forcés à l’exil en les menaçant de mort.
Le premier, Faustin Kayumba Nyamwasa, a exercé comme chef d’Etat-major de l’armée rwandaise de 1994 à 2002. Le second, Patrick Karegeya, fut le chef de service de renseignements extérieurs du Rwanda avant son divorce avec l’homme fort de Kigali.
Leur témoignage est à la fois poignant et révélateur de grandes manœuvres du président rwandais pour régner en maître dans la région des Grands Lacs.
En effet, depuis le génocide de 1994, précédé par la mort de l’ex-président rwandais Habyarimana, Paul Kagame a toujours nourri, affirme Patrick Karegeya, d’avoir le contrôle de la partie Est de la RDC qui a hébergé les ex-militaires Interahamwe.
Lorsque RFI lui pose la question de savoir s’il y a eu de bonnes raisons de mener la première guerre du Congo, déclenchée en 1996 avec l’AFDL, Patrick Karegeya répond dans des termes clairs :
« Il y avait des raisons parfaitement légitimes de la mener. A cause de ce qui se passait de l’autre côté de la frontière, dans les camps, la réorganisation (Ndlr : des ex-FAR-Interahamwe) ; soit on réglait le problème, soit ils allaient s’occuper de nous.
Celle-là était légitime. Mobutu les soutenait ».
Quant à la deuxième guerre du Congo, menée en 1998 avec le RCD, Patrick Karegeya rappelle son opposition à cette initiative qui, selon lui, n’a résolu aucun problème. Le divorce est parti de là.
« En ce qui concerne la deuxième guerre, il nous suffisait de parler, nous n’avions pas nécessairement besoin de nous battre », révèle-t-il.
L’ancien chef des renseignements rwandais ne s’arrête pas là. Au contraire, il enfonce le clou.
Il rapporte que toutes les rebellions qui ont défilé dans l’Est de la RDC, depuis l’AFDL jusqu’à la toute récente, en l’occurrence le M23, ont été l’œuvre de Kagame.
Toutes ces créations tenaient, souligne-t-il, à un seul objectif : la déstabilisation des Grands Lacs pour avoir le contrôle de la partie Est de la RDC. « Et comme vous le voyez, nous n’avons obtenu aucun résultat.
Nous en sommes toujours au même point. RCD, CNDP, M23. Il y aura probablement aussi un M27… Ça n’aide pas le Congo. Ça n’aide pas le Rwanda. Ça n’apporte que des souffrances dans la région ».
Nkunda, Ntaganda, … : des créatures de Kigali
Ayant été choisi par des puissances politico-financières occidentales comme gendarme des Grands Lacs, Paul Kagame n’a pas tardé à entretenir un vaste réseau criminel dans la région. Avec comme prétexte apparent la présence des Interahamwe et autres FDLR.
Les guerres tribales de l’Ituri, les tensions récurrentes dans la province du Nord-Kivu, tout a été planifié par le nouveau régime de Kigali après la chute d’Habyarimana. Pendant ce temps, des discours ont été développés et des attitudes fabriquées pour justifier l’œuvre macabre de Paul Kagame.
Ce que rappellent les ex-acolytes du président rwandais c’est que Paul Kagame aura été au centre de tout, dictateur né et formé à l’école de la violence et de la manipulation.
Ntaganda, Nkunda et autres, affirme Karegeya, n’ont été que des marionnettes créées par l’homme fort de Kigali pour exécuter son plan machiavélique. Aussi a-t-il fait passer tous ces chefs de guerre de nationalité rwandaise pour des officiers congolais et ont travaillé sous le drapeau congolais.
Patrick Karegeya ne porte pas de gants quant à la vraie nationalité de Bosco Ntaganda :
« Oui, bien sûr qu’il est rwandais. Il était dans l’armée rwandaise, on l’a choisi, envoyé auprès de Lubanga et on l’a approvisionné en armes ».
Il estime que la personne la mieux placée pour répondre des crimes commis par Ntaganda dans l’Est est bel et bien le président Paul Kagame. « Donc, quand il (Ndlr : Ntaganda) cause tous ces problèmes, le coupable, ça ne devrait pas être Ntaganda, mais Kagame. Ntaganda a juste été déployé.
Donc, ces événements sont de la responsabilité de son commandant. (…) Parce que c’est lui qui l’a choisi au Rwanda et l’a envoyé dans l’Est du Congo. Alors pourquoi s’occuper des symptômes et pas de la maladie ? ».
Bien plus, Patrick Karegeya révèle que « la plupart de ceux qui ont dirigé la rébellion en RDC venaient du Rwanda de toute façon. Ntaganda n’est pas un cas particulier. Nkunda, Ntaganda, ils ont été formés au Rwanda, mais ne se sont pas battus là. Ils étaient déployés, c’est tout ».
Si les déclarations de Patrick Karegeya font tomber le voile sur la nette implication du régime de Kigali dans le drame qui ronge depuis plus d’une décennie la partie Est de la RDC, elles jettent cependant l’opprobre sur tout un pays et son peuple.
Comment en RDC des langues pouvaient se taire face à tout ce que Kagame fomentait comme plans dans l’Est de la RDC ?
Par naïveté, malheureusement, des Congolais de souche ont, depuis l’AFDL jusqu’à tout récemment avec le M23, accompagné Kagame dans son entreprise destructrice de l’Etat et de la nation congolaise. Ils ont aidé le conquistador new look à mettre à feu et à sang l’Est de la RDC.
Bilan : 8 millions de Congolais morts sans compter les pillages systématiques, les dégâts matériels et environnementaux inestimables.
Aujourd’hui que deux de ses proches témoignent, y a-t-il encore des raisons pour les Congolais et la communauté internationale de garder silence, un silence qui serait coupable ? D’autant que les dénonciateurs réclament d’être entendus par un tribunal.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union européenne, notamment ont du pain sur la planche.
Ils ont là l’occasion de montrer leur amitié envers la RDC et le peuple congolais en se saisissant d’office de ces « allégations » pour que justice soit faite.
Surtout que dans l’opinion congolaise, il est retenu qu’ils avaient volontairement fermé les yeux sur les crimes que ne cesse de commettre Paul Kagame dans l’Est de la RDC.
INTERVIEW DE FAUSTIN KAYUMBA NYAMWASA
L'ancien chef d’état-major rwandais Kayumba Nyamwasa réitère ses accusations envers Paul Kagame. Il se dit prêt à répondre aux questions de la justice française sur l’attentat contre l’avion de l’ancien président Juvénal Habyarimana. Il avait été inculpé dans le cadre de cette affaire par la justice française en 2006, suite au rapport du juge Jean-Louis Brugière.
Le général Kayumba vit aujourd’hui en exil en Afrique du Sud. Il avait fui le pays en février 2010 et il est accusé par les autorités rwandaises d’être responsable d’attaques à la grenade à Kigali à quelques mois de l’élection présidentielle.
En juin 2010, il avait échappé à une tentative d’assassinat. Et lors d’une des audiences dans le procès des présumés responsables de cette tentative d’assassinat, il avait accusé le président Paul Kagame d’être responsable de l’attentat contre l’avion de l’ancien président rwandais en avril 1994.
RFI: Général Kayumba Nyamwasa, vous avez accusé le président Kagame d’être responsable de l’attaque qui a coûté la vie à Juvénal Habyarimana. De quel type de preuves disposez-vous ?
Kayumba Nyamwasa : J’étais en position de savoir qui est responsable de l’attaque. Je ne me cache pas. Le rapport sur l’attentat (ndlr : le rapport Bruguière) a été publié quand j’étais en Inde. Je n’ai pas fui et suis resté à mon poste.
Et les Français, s’ils le souhaitaient, auraient pu venir me parler. Et même maintenant, je suis toujours prêt à leur parler. Ce que je sais sera une affaire entre la justice et moi. Je suis prêt à leur apporter toutes les preuves dont je dispose.
A l’époque, j’étais responsable des renseignements militaires. C’est impossible que je ne sois pas au courant de qui a mené l’attaque et de ce qui s’est passé.
Mais étiez-vous vous-même impliqué dans cette attaque ?
Cela, je vais en parler avec le juge. Mais quand j’ai dit ce que j’ai dit, c’est simplement parce que je savais qu’un jour, j’aurai la possibilité de dire toute la vérité.
Donc vous êtes prêt à témoigner en France, par exemple ?
Sans aucun doute, évidemment, oui. Je serai amené à le faire un jour.
Même si vous êtes accusé d’y avoir participé ? Vous irez répondre à ces accusations ?
Être accusé, ce n’est pas la même chose que d’être coupable. Je suis accusé, mais pas coupable. J’ai la conscience tranquille.
En 2008, un juge espagnol a lancé des mandats d’arrêt contre quarante officiers supérieurs rwandais pour des crimes commis après 1994 et en particulier pour l’assassinat de religieux et de travailleurs humanitaires qui travaillaient au Rwanda à l’époque. Et vous en faites partie. Etes-vous prêt à répondre également de ses accusations ?
Oui, bien sûr. Mais d’abord, vous devrez lire le rapport du juge espagnol. Si vous regardez la liste de ses officiers, Kagame ne fait pas partie des quarante, mais son nom est cité dans le rapport. Il est simplement protégé par son immunité.
Ce que je peux vous dire sur cette liste, c’est que la majorité d’entre eux ne sont pas coupables. Et je pense que quand le régime de Kagame ne sera plus en place, toute la vérité sera dite. Mais en ce qui me concerne, oui, je suis prêt à rencontrer le juge espagnol. Je lui donnerais les preuves dont je dispose et je laverai mon nom.
Vous et le président Kagame, vous avez lutté côte à côte, vous avez été proches, quand est-ce que vos relations ont commencé à devenir difficiles ?
Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, ça a pris peut-être cinq ou six ans. Parce que j’ai peu à peu réalisé que tout ce pourquoi nous nous étions battus était en train d’être détourné. Au lieu de construire une démocratie, de travailler à la réconciliation, nous n’étions en train de travailler que pour le bénéfice d’un seul.
Et je lui en ai un peu parlé, lui ai fait part de mon mécontentement. Et je n’étais pas le seul. Certains de mes collègues ont fait pareil. Mais ça n’a jamais marché. Ces remarques étaient perçues comme une remise en cause du régime. On a fini par être considérés comme des rebelles, des ennemis du pays. On a été traité de tous les noms. C’est la raison pour laquelle je vis en exil aujourd'hui.
Est-ce qu’à un moment, au sein du Front patriotique rwandais (FPR), la prise de décision était collégiale ou est-ce qu’elle a toujours été le fait d’un seul ?
A l’origine, pendant la lutte, nous parlions ouvertement. On pouvait être d’accord, pas d’accord. Pas seulement d’ailleurs le président Kagame et moi. Nous avions un comité exécutif au FPR. J’ai été membre de ce comité, j’étais aussi membre du haut commandant et puis j’ai fini par devenir chef d’état-major.
Je peux vous dire comment ça se passait parce que j’ai participé à presque toutes les réunions. Mais dans les années 1998, 1999 ou même 2000, tout a changé. Il n’était plus permis de discuter les décisions. Ne pas être d’accord revenait à faire dissension. Ce qui s’est passé, ce que ce qui était une organisation est devenu un one-man show. Et je me suis dit que je n’étais plus à ma place.
Donc quand vous avez été nommé ambassadeur en Inde en 2004, ce n’était pas le début de vos ennuis avec le président Kagame ?
Non c’était plutôt l’un des pics de tension. Parce que quand j’ai été envoyé en Inde, notre relation de travail s’était complètement dégradée. Depuis 2000, j’ai fait savoir que j’étais mécontent de la situation et particulièrement concernant la mise à l’écart du président Pasteur Bizimungu et puis finalement son emprisonnement.
Donc quand ils m’ont envoyé en Inde, c’est simplement parce que le président Kagame voulait me mettre hors jeu, peut-être qu’il ne supportait même plus de me voir. Je me suis dit que c’était un mal pour un bien. J’ai pris ces cinq années en Inde comme un moyen de disparaître de sa vue et même peut-être de lui sortir de la tête.
Mais il y avait beaucoup de personnes envoyées en prison à l’époque. Pourquoi avoir choisi de plaider la cause de Pasteur Bizimungu auprès du président Kagame ?
Pasteur Bizimungu n’a jamais commis aucun crime. Il était en désaccord avec Kagame. Il a été forcé de démissionner. Il a essayé de créer un parti politique d’opposition, ce n’est pas un crime, ça. Je pensais que Pasteur Bizimungu devrait avoir le droit de créer son parti, de devenir le ténor de l’opposition et que s’il gagnait l’élection et bien, qu’il en soit ainsi.
Mais vu le contexte de l’époque, il n’avait aucune chance de gagner l’élection, donc il n’y avait aucune raison pour eux de le jeter en prison. Mais ils ont monté un dossier contre lui avec des accusations fantasques : avoir créé une milice, avoir l’idéologie génocidaire, des choses comme ça. Mais moi, je savais que tout ça avait été monté de toutes pièces. Et je m’y suis opposé.
Ce n’est pas parce que quelqu’un crée un parti politique, qu’il n’est pas d’accord avec nous, qu’il faut le jeter en prison. Ce n’est pas la bonne manière de faire. Nous nous sommes battus pour ramener la liberté dans le pays, la liberté d’expression, la liberté de réunion et si Bizimungu voulait exercer cette liberté, pourquoi l’emprisonner ?
Alors pourquoi ne pas avoir protesté publiquement ?
Vous savez, j’étais membre de ce gouvernement et j’étais dans l’armée. Je ne vois pas vraiment comment j’aurais pu manifester ouvertement mon mécontentement. Je pense que la loi et les réglementations voulaient que ces choses soient discutées à huis clos avec les autorités et c’est ce que j’ai fait.
Pourquoi avez-vous quitté le Rwanda en février 2010 ?
J’ai quitté le Rwanda parce que la situation a empiré. J’ai reçu des informations indiquant que ma sécurité était menacée. Je savais que par le passé, il y avait eu des tentatives de m’éliminer. Ceux qui avaient été mandatés pour le faire avaient refusé. En 2010, on m’a convoqué pour une réunion d’explication.
L’objectif était de m’accuser de plusieurs choses concernant mon comportement. On m’a demandé de présenter mes excuses à Paul Kagame. J’ai répondu que je n’avais commis aucun crime. Que tout ce dont on m’accusait était faux. Et j’ai refusé de le faire.
Beaucoup de gens l’ont fait par le passé et le font encore aujourd’hui au Rwanda, que ce soit dans le cas de mon ami, le général Karenzi, qui a été mis en prison pour une affaire qui n’a jamais été jugée. On lui a demandé de présenter ses excuses. D’après ce que j’ai compris, il a écrit une lettre. Je peux aussi vous citer aussi le cas du général Muhire.
Lui aussi a fait de la prison, n’est jamais passé devant la justice et a dû écrire une lettre pour demander pardon. Je pourrais vous en citer plein d’autres. Pour moi, c’était inconcevable de demander pardon pour un crime que je n’avais pas commis.
Et je savais aussi que le président Kagame voulait que j’écrive cette lettre pour pouvoir m’incriminer par la suite. Qu’il allait l’utiliser au sein du FPR, peut-être la transmettre à des diplomates et même peut-être la rendre publique. Ces lettres sont utilisées pour prendre les gens en otage. Et je ne voulais pas devenir l’otage du régime.
En février 2010, il y a eu des attaques à la grenade sur le sol rwandais. Et vous avez été accusé par Kigali d’être responsable de ces attaques…
Si j’avais été mêlé à ces attaques, j’aurais été arrêté à Kigali. Mais je n’ai été accusé que plus tard, quand j’étais déjà ici en Afrique du Sud. C’est bien la preuve que je ne suis pas impliqué. Et puis les gens qui ont été arrêtés au Rwanda pour avoir lancé ces grenades ne m’ont jamais accusé.
Je n’aurais pas transporté des grenades depuis l’Inde pour les lancer à Kigali. C’est un mensonge. Et Kagame le sait.
En fait, il y a des informations qui circulent comme quoi ce sont les services de renseignement militaires qui ont lancé des grenades à cette époque-là, avec l’intention d’arrêter Victoire Ingabire en l’accusant elle de les avoir lancés. Mais quand je suis parti, ils ont préféré m’accuser moi.
Donc vous êtes parti en exil. Vous êtes arrivé ici en Afrique du Sud. Et en juin 2010, on a attenté à votre vie. Connaissez-vous les responsables ?
Je n’ai aucun doute sur celui qui est derrière cette attaque. C’est le président Kagame, parce que, avant même qu’il ne le fasse, il l’a dit au Parlement. S’il doit utiliser un marteau pour tuer une mouche, il va le faire.
Et il faisait référence à Patrick Karegeya (ndrl : ancien chef des renseignements extérieurs aujourd’hui en exil en Afrique du Sud) et moi. Il a dit ça en mai, et en juin, on m’a tiré dessus.
Quand il s’est rendu en Ouganda par la suite, il a dit ouvertement que je méritais ce qui m'était arrivé. Cette affaire est devant la justice. Je ne veux pas spéculer. Mais toutes les preuves qui ont été présentées à la cour indiquent que ces gens ont été mandatés par d’autres pour me tuer.
Et ceux qui ont attenté à ma vie n’ont jamais eu de travail ici et pourtant ils ont les meilleurs avocats du pays. Qui paie la note ? Voilà, c’est mon point de vue et il est partagé par beaucoup de monde. Le président Kagamé ne l’a d’ailleurs jamais démenti.
Beaucoup disent : ces gens-là parlent parce qu’ils sont en exil, mais quand ils faisaient partie du gouvernement, ils ne critiquaient pas le président Kagame.
Vous pouvez tolérer certaines choses parce que vous espérez un changement. Mais maintenant, au Rwanda, il n’y aura pas de changement. Il n’y a plus d’espace pour ça. Cette dictature ne s’est pas développée en un jour. Cela a pris deux décennies.
Il est temps que l’on parle pour qu’on puisse y mettre un terme. Parce que sinon, il y aura de nouvelles violences pour changer le régime. C’est pourquoi nous utilisons des moyens pacifiques, et je dis bien pacifiques, pour mobiliser les gens et pour les appeler à résister à la dictature pacifiquement.
Donc vous n’êtes pas en train de comploter pour renverser le régime du président Kagame ?
Non, nous ne faisons que mobiliser les gens pour qu’ils rejettent cette dictature, qu’ils résistent. C’est pour cela que nous parlons ouvertement, que je parle avec vous aujourd’hui.
Pendant la guerre, pourquoi ne pas avoir essayé de prendre Kigali, pourquoi avoir tourné autour ?
C’était un choix stratégique et tactique. Quand vous affrontez un ennemi, vous devez regarder ses points faibles pour remporter la victoire sans avoir trop de casse et sans épuiser vos ressources.
Et à cette époque, encercler Kigali était le meilleur moyen de démoraliser l’ennemi, de couper ses lignes de ravitaillement, Parce que les troupes gouvernementales étaient mieux armées que nous. Si on les avait attaquées frontalement, on aurait eu plus de pertes.
Donc ce n’était pas pour une question de communication ? Laisser le génocide se dérouler à Kigali où il y avait des caméras de télévision, ça ne faisait pas partie de votre plan ?
Le génocide a eu lieu partout. Pas seulement à Kigali. Et il y a eu apparemment plus de victimes dans les villages que dans les villes. Dans les villes, certains ont pu se réfugier auprès de l’ONU. Même si l’ONU en a abandonné certains. Certains ont pu se cacher dans les hôtels. D’autres ont ralliés les positions des unités du FPR. Mais dans les villages, les gens étaient sans défense.
[Interview - Sonia Rolley, RFI]
L’INTERVIEW DE PATRICK KAREGEYA
Ancien chef des services de renseignement extérieur du Rwanda, Patrick Karegeya a fui le pays en 2007 et vit aujourd’hui en exil en Afrique du Sud. Comme le général Faustin Kayumba Nyamwasa, il accuse le président Kagame d’être responsable de l’attentat qui en avril 1994 a coûté la vie à Juvénal Kabyarimana.
Tous deux se disent prêts à rencontrer le juge français en charge de l’enquête, Marc Trévidic.
Depuis quand connaissez-vous le président Kagame ?
Cela fait très longtemps. On était ensemble à l’école. Il devait être deux classes au-dessus de moi. Donc cela fait plus de trente ans.
Et vous avez travaillé ensemble dans l’armée ougandaise…
Oui, nous avons travaillé dans le même département, celui des renseignements militaires.
Quand avez-vous décidé de prendre les armes ?
Je crois que tout a commencé en 1987. Fred Rwigyema était toujours vivant et il y avait aussi d’autres officiers plus âgés que nous. Ils organisaient les réunions, décidaient qui parmi les officiers devaient y participer. Donc oui, nous participions aux réunions, puis nous retournions sur le terrain pour voir ce qui se passait. Et nous leur faisions notre rapport.
Quand est-ce que le président Kagame a pris le contrôle des opérations ? Et pourquoi lui ?
Pourquoi lui ? Parce que tous ceux qui étaient au-dessus de lui sont morts. Donc ça lui revenait de commander. Quand tout a commencé, il n’était pas là.
Mais quand il est revenu, Fred est mort et les autres aussi, donc c’est lui qui a pris le commandement parce qu’il était en tête de liste. On a tous pensé qu’il était souhaitable qu’il prenne la tête des opérations et c’est ce qu’il a fait.
Donc il n’y avait aucune contestation à l’époque ?
Non, aucune. Ce serait compliqué pour des militaires de contester ce type de décision, ce n’est pas comme en politique. Et n’oubliez pas que nous étions en guerre, il n’y avait pas de place pour la politique ou des considérations démocratiques. Et puis ce n’est pas comme s’il prenait la tête du mouvement. Il y avait le Front patriotique rwandais et l’Armée patriotique rwandaise.
Il a pris le contrôle de l’APR et du reste plus tard. Mais ça, ça s’est fait petit à petit, au fil des années, pendant la rébellion. Puis on a pris le pouvoir. Et ce n’est qu’en 1998 qu’il a pris la tête du FPR. Il a réussi à se défaire de tout le monde et même de son patron de l’époque, Bizimungu, qui était président.
Et on doit tous plaider coupable parce que ça s’est passé sous nos yeux. Mais comme on était en guerre, personne n’a eu le courage de dire quoi que ce soit ou de convoquer une réunion pour ça. Donc les civils ont été pratiquement tous éjectés du mouvement. C’est devenu une institution militaire qui n’a conservé du FPR que le nom.
Mais on a toujours l’impression qu’il était en charge de tout, même à l’époque où Pasteur Bizimungu était président. Est-ce que tout ça n’était pas du décorum ?
Non, pas exactement. Il était à la tête de l’armée et tout dépendait de l’armée. Evidemment, tous ceux qui venaient avec un problème politique, ils étaient accusés d’abord de mettre en péril les efforts de guerre, puis de ne pas être suffisamment patriotes.
Et très peu de gens finalement avait le courage de dire « il y a l’action militaire et il y a la politique ». Donc il a véritablement pris le contrôle de tout sans que personne n’ose dire quoi que ce soit ou même n’ose contredire ce qu’il disait. Il est devenu l’homme fort comme on dit.
Pourquoi ne contestiez-vous pas ces décisions ? Est-ce que vous ne considériez pas qu’il était le meilleur pour faire ce travail ?
Meilleur ou non, il était déjà en place. Donc on se contentait d’essayer d’arranger les choses, de le convaincre de ne pas faire certaines des choses terribles qu’il avait en tête. C’est pour ça qu’on a fait partie des dégâts collatéraux.
On a essayé de lui dire que ce n’était pas bien, que ce n’était pas la bonne manière de faire les choses. Mais parce qu’il avait tous les pouvoirs, il a commencé à voir toutes les critiques ou même simplement les suggestions comme une remise en cause personnelle.
C’est devenu évident qu’à un moment, il n’y avait plus de différence entre lui et l’Etat. Comme vous dites en France : « l’Etat, c’est moi ». Et maintenant qu’il a tous les pouvoirs, il se comporte en monarque absolu. Et personne ne peut contester ses décisions.
Vous accusez aujourd’hui le président Kagame d’être derrière l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana. Avez-vous des preuves de son implication ?
Si nous n’en avions pas, nous ne dirions pas ça. Evidemment, nous en avons. Nous ne spéculons pas. Nous ne sommes pas comme ceux qui essaient d’enquêter, qui disent que le missile venait de Kanombé (ndlr : camp militaire des FAR, l’armée rwandais de l’époque).
Nous savons d’où les missiles sont partis, qui les a acheminés, qui a tiré. Nous ne spéculons pas. On parle de quelque chose que l’on connait.
Mais pourquoi ne le rendez-vous pas public ? Pourquoi les garder pour vous ?
Nous ne les gardons pas pour nous. Il n’y a pas eu d’enquête digne de ce nom. On ne veut pas livrer tout cela aux médias. Souvenez-vous que tout ceci aura des conséquences pour des gens. Les gens qui ont perdu leurs vies avaient une famille, des amis.
Si je vous le dis, évidemment, vous allez le publier et ça ne va pas aider les victimes. Donc, on s’est toujours dit que ça devait se faire dans le cadre d’une enquête judiciaire, qu’on puisse dire dans ce cadre-là ce que l’on sait.
Le juge Trévidic ne vous a jamais contacté ?
Non, ces juges ne sont jamais venus vers nous. S’ils le font, nous le dirons ce que nous savons. Mais on ne peut pas leur forcer la main. S’ils souhaitent nous entendre, ils viendront. Et puis n’oubliez pas que ce sont des Français et que les victimes sont rwandaises.
Donc on estime aussi que ce serait mieux si des Rwandais faisaient aussi ce travail… Mais ça, évidemment, ça ne pourra se faire qu’après le départ de Kagame. Nous n’espérons pas qu’il y ait une enquête judiciaire rwandaise pour le moment. Les Français ont pris la liberté de le faire, mais aucun d’eux n’est venu nous voir.
Est-ce que vous êtes impliqué dans cette attaque ?
Non, mais ça ne veut pas dire que je ne sais pas ce qui s’est passé.
Et vous n’occupiez pas un poste qui vous permettait d’empêcher cet attentat ?
L’empêcher ? Non, je ne m’y serais pas opposé. Il l’a décidé. Et je n’aurais jamais pu dire : ne le faites pas. Il était sûr de sa décision. Mais savoir, ça, oui, on sait.
Mais pourquoi abattre cet avion ?
Il croit que tous les opposants doivent mourir… Et à cette époque, parce que c’était Habyarimana, c’était un moyen de prendre le pouvoir. Habyarimana venait de signer un accord de partage du pouvoir, même s’il essayait de gagner du temps, ce n’était pas une raison pour le tuer.
Il fallait suivre le processus et s’assurer qu’il aille jusqu’au bout. Beaucoup de gens disaient qu’il essayait de gagner du temps, je ne cherche pas à le défendre. Mais même s’il a commis des erreurs, il ne méritait pas de mourir.
Vous avez été chef des renseignements extérieurs pendant dix ans et, en 2004, vous avez été démis de vos fonctions. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
C’est le résultat d’une série de désaccords avec le président Kagame sur sa lecture du pays en termes de gouvernance, de droits de l’homme, à propos également de la situation au Congo… Ça a duré assez longtemps.
A un moment, j’ai réalisé qu’on n’allait nulle part. Je lui ai demandé de me laisser faire ma vie, il a refusé. Trois ans après, il a fini par me jeter en prison. Pas une, mais deux fois. Donc il s’agissait de désaccords politiques, rien de personnel.
Rien de personnel ? Mais vous étiez amis…
Bien sûr que nous étions amis, mais je faisais partie du gouvernement. Je n’étais pas là pour l’encenser. En tant que chef des renseignements, je pense que ce que je pouvais faire de mieux, c’était de lui dire la vérité, que la vérité soit amère ou non. Mais le fait qu’il ne puisse pas l’accepter et qu’il le retienne contre moi, je crois que ce qui se passe aujourd’hui me donne raison.
Quelles abominables vérités lui disiez-vous par exemple ?
Les habituelles, je lui disais que ce que nous faisions n’était pas bien en terme de justice, de démocratie, de liberté de la presse. Il y avait la seconde guerre du Congo. On a parlé de tout ça et on ne tombait jamais d’accord. Mais parce que ça n’avait pas lieu en public, personne ne réalisait qu’il y avait une sorte de guerre froide entre lui et moi.
Donc il y a eu pendant des années des dissensions au sein du Front Patriotique Rwandais ?
Oui, mais cela se passait entre les militaires. Les civils n’en savaient rien. Et il n’y avait pas que moi. D’autres aussi étaient mécontents. Certains en ont fait les frais. D’autres ont décidé de se taire pour toujours. C’est une question de choix.
Si vous en parliez publiquement, ils vous pendaient haut et court. Certains sont morts, d’autres ont été jetés en prison, d’autres comme nous se sont retrouvés en exil. Et ça va continuer tant qu’il reste sur cette ligne.
Vous disiez que vous vous êtes opposés à la seconde guerre du Congo. Donc vous étiez favorable à la première ?
Oui, définitivement. Il y avait des raisons parfaitement légitimes de la mener. A cause de ce qui se passait de l’autre côté de la frontière, dans les camps, la réorganisation (ndlr : des ex-FAR-Interahamwe), soit on réglait le problème, soit ils allaient s’occuper de nous. Celle-là était légitime. Mobutu les soutenait.
En ce qui concerne la deuxième guerre, il nous suffisait de parler, nous n’avions pas nécessairement besoin de nous battre. Et comme vous le voyez, nous n’avons obtenu aucun résultat.
Nous en sommes toujours au même point. RCD, CNDP, M23. Il y aura probablement aussi un M27… Ca n’aide pas le Congo. Ca n’aide pas le Rwanda. Ca n’apporte que des souffrances dans la région.
Bosco Ntaganda qui était l’un des chefs du CNDP est devant la Cour pénale internationale. Est-ce que vous allez témoigner devant la cour ?
Je ne sais pas pourquoi je devrais le faire. Mais si la cour estime qu’elle peut apprendre quelque chose de moi, je coopérerai avec elle. Mais je crois que la CPI ne juge pas la bonne personne. Elle devrait traduire en justice Kagame et pas Ntaganda.
Pourquoi ?
Parce que c’est lui qui l’a choisi au Rwanda et l’a envoyé dans l’est du Congo. Alors pourquoi s’occuper des symptômes et pas de la maladie ?
Donc vous affirmez que Bosco Ntaganda est rwandais et pas congolais ?
Oui, bien sûr qu’il est rwandais. Il était dans l’armée rwandaise, on l’a choisi, envoyé auprès de Lubanga et on l’a approvisionné en armes. Donc quand il cause tous ces problèmes, le coupable, ça ne devrait pas être Ntaganda, mais Kagame. Ntaganda a juste été déployé. Donc ces événements sont de la responsabilité de son commandant.
De quel corps d’armée était-il issue ? Où était-il basé ?
Ce n’est pas comme si on en avait plusieurs. Il était des forces de défense rwandaise. Il était sous-officier. La plupart de ceux qui ont dirigé la rébellion venaient du Rwanda de toute façon. Ntaganda n’est pas un cas particulier. Nkunda, Ntaganda, ils ont été formés au Rwanda, mais ne se sont pas battus là. C’est pourquoi je dis qu’ils ne s’occupent pas des bonnes personnes. Ils étaient déployés, c’est tout
Bosco Ntaganda s’est enfui au Rwanda et a trouvé refuge à l’ambassade des Etats-Unis. Est-ce que c’était avec l’aide du gouvernement rwandais ?
Non, il voulait sauver sa peau. S’il s’était rendu au gouvernement rwandais, ça aurait été une toute autre histoire. Je ne pense pas qu’ils l’auraient remis à la Cour pénale internationale.
Pourquoi avez-vous fui le pays en 2007 ?
J’avais déjà testé la prison deux fois. Et j’ai été maintenu à l’isolement. Deux fois en deux ans. Quand je suis sorti, j’ai été amené au ministère de la Défense, j’ai été malmené par des officiers, or certains sont en prison aujourd’hui, d’autres ont des problèmes. Mais bon, le fait important, c’est qu’ils m’ont dit que Kagame allait s’occuper de moi définitivement. Ça en inquiétait tout de même certains.
Ils m’ont dit que si je tenais à la vie, il fallait que je parte. Je n’avais pas de raison d’en douter. Donc je suis parti. Et en fait, c’était bien vrai. C’est qu’il a essayé de faire ici. C’est pour ça qu’on a tiré sur mon collègue (ndlr : le général Faustin Kayumba Nyamwasa). J’ai eu de la chance de m’en sortir sans aucune égratignure.
[Interview - Sonia Rolley, RFI]
© KongoTimes
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