samedi 28 septembre 2013
C’est avec une certaine méfiance que les Congolais ont accueilli le discours de Joseph Kabila à l’ONU.
Pour la première fois, dans un cadre d’une telle solennité, le Président congolais a évoqué les « agressions sans fin » dont le Congo est victime de la part du Rwanda.
On a envie de dire « enfin ! » Le Président met les mots justes sur la souffrance de « son peuple ». Car depuis toujours, la règle, c’était l’esquive, la langue de bois, voire des embrassades tous sourires entre dirigeants congolais et rwandais ; pendant que le Congo subissait des agressions de la part du Rwanda, que sa population se faisait massacrer et jeter sur les routes, et que les femmes se faisaient violer en masse.
L’affaire du M23 aura au moins eu l’avantage de mettre sur la place publique la réalité de la complicité de longue date entre Kinshasa et Kigali sur le dos des populations congolaises.
Depuis, les autorités de Kinshasa s’accordent sur de nouveaux éléments de langage. Il faut parler comme le peuple congolais. Il faut nommer les agresseurs du Congo.
C’est une démarche courageuse, en apparence, mais il ne faut pas tomber dans le piège des « apparences trompeuses ». Il faut apprendre de la longue tragédie du peuple congolais que les paroles officielles ne méritent pas qu’on y attache beaucoup d’importance.
Ce qui compte par-dessus tout, ce sont les faits, les non-dits et les renoncements inexpliqués mais révélateurs.
Des années de trahison, de complicité et de laissez-faire
En effet, les Congolais, après avoir été bernés depuis des années par des dirigeants qui prenaient une part active aux trahisons en tous genres (nomination d’officiers rwandais dans l’armée, intégration des milliers d’agents du régime de Kigali dans l’armée et l’administration pour accompagner le plan de balkanisation du Congo), il devient quasiment vital de s’intéresser davantage aux actes qu’aux simples paroles, présidentielles soient-elles.
Ainsi plusieurs questions méritent une attention particulière. Oui, maintenant que le Rwanda est désigné comme un agresseur quasiment récidiviste, qu’est-ce que l’Etat congolais, de son côté, faisait avant et qu’est-ce qu’il envisage de faire maintenant ?
Classiquement, dans les relations internationales, le crime d’agression, qui est un acte grave en droit international, donne lieu à plusieurs types de réactions, toutes devant être énergiques de la part de l’Etat agressé. Une riposte militaire, un activisme diplomatique, des actions judiciaires,... L’Etat congolais envisage-t-il d’engager ces actions ?
Riposte militaire, où en est-on ?
Il s’agit naturellement d’une réaction de type militaire consistant à repousser l’agresseur et même à porter les hostilités jusque sur le territoire ennemi. Une action difficile à envisager à l’état actuel de l’armée congolaise.
Depuis l’arrivée à Kinshasa des dirigeants actuels en 1996, l’armée congolaise est continuellement affaiblie notamment par la pratique consistant à intégrer par vague successives des combattants ougandais et rwandais.
Ces derniers y répandent l’indiscipline, la méfiance, la criminalité et les trahisons qui paralysent les opérations militaires. Ils sont formés au Rwanda puis envoyés en masse par le régime de Kigali pour détruire le Congo.
Des pratiques qui ne sont pas près de s’arrêter. En effet, les autorités de Kinshasa envisagent, à nouveau, de réintégrer les membres du M23[1]. C’est-à-dire orchestrer un nouvel affaiblissement de l’armée congolaise.
Comment, dès lors, prendre au sérieux la parole des gouvernants qui parlent d’agression en accueillant des agresseurs dans les rangs de l’armée nationale ? Et qui, depuis toujours, n’ont pas entrepris de doter le pays des moyens militaires suffisants pour faire face aux agressions à répétition ?
Une diplomatie poussive
L’autre type de réaction en cas d’agression s’opère sur le terrain diplomatique. Le pays agressé réagit en mobilisant des Etats amis pour infliger des sanctions, par exemple économiques, à l’agresseur.
L’Etat congolais a-t-il jamais pris des sanctions économiques contre le Rwanda ?
A-t-il déjà mobilisé des pays amis pour adopter des mesures de rétorsion contre l’agresseur ?
La réponse est désespérément « non ».
Comment, dès lors, un peuple peut-il croire à la sincérité des dirigeants qui n’entreprennent aucune démarche pour mobiliser l’opinion internationale et faire sanctionner l’agresseur ?
Réaction judiciaire, où en est-on ?
Le troisième type de réaction (il y en a d’autres) est de type judiciaire. L’Etat agressé engage des poursuites contre l’agresseur devant la Cour Internationale de Justice, compétente, entre autres, en matière d’agression (violation de la charte de l’ONU).
Il peut aussi saisir la Cour Pénale Internationale lorsque des crimes relevant du statut de Rome (crimes de guerre, crimes contre l’humanité) ont été commis.
Le bombardement des populations civiles à Goma par l’armée rwandaise constituent indéniablement des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le gouvernement congolais prépare-t-il une plainte à déposer à la CPI ou à la CIJ ? A-t-il demandé au Rwanda d’extrader les responsables des bombardements de Goma ? Aucune démarche de cette nature n’est entreprise par les autorités de Kinshasa.
Il y a même pire. Avant l’arrivée de Joseph Kabila au pouvoir en 2001, le Congo avait un dossier à la Cour Internationale de Justice où le Rwanda était poursuivi pour « actes d’agression armée » en violation de la Charte de l’ONU.
La procédure avait été engagée sur instruction du défunt Président Laurent-Désiré Kabila.
La plainte sera retirée dans des conditions troubles la veille de l’assassinat du Président Kabila. Son successeur n’a jamais relancé la procédure en dépit des « agressions sans fin » qu’il évoque à la tribune de l’ONU.
Quelle importance accorder à la parole des autorités qui dénoncent les agressions contre « leur peuple » mais s’abstiennent, étonnamment, de poursuivre les agresseurs devant les juridictions compétentes ?
Deux présidents amis
Manque de franchise et supercherie de haute volée
Ça manque vraiment de franchise entre les autorités actuelles du Congo et la population. Et la méfiance ne risque pas de s’estomper. Les rencontres secrètes, mais stériles pour la paix, entre Joseph Kabila et Paul Kagamé (New York, Kampala, Addis-Abeba, voire Goma) et les images de grande convivialité affichées par deux Présidents à la tête de deux nations en guerre sont des clés de lecture qu’il faut constamment garder à l’esprit.
Si les Congolais, en tant que peuple, ont réellement un problème avec le régime rwandais de Paul Kagamé, le Président Kabila, quant à lui, n’a jamais été en conflit avec le pouvoir de Kigali à qui il doit son arrivée à Kinshasa en tant qu’officier de l’armée rwandaise en mai 1997.
Son arrivée dans la précipitation à Kampala pour avoir un tête-à-tête avec l’« homme fort de Kigali », alors que la population congolaise venait de subir des bombardements à Goma (où il n’a même pas fait escale) donne à penser que le « cordon ombilical » n’a jamais été coupé, en dépit de graves souffrances que le régime de Kigali fait subir aux populations congolaises.
C’est sûrement un cas unique dans l’histoire des nations. Deux présidents « amis » font semblant d’être en conflit et se maintiennent à la tête de deux nations qui sont, elles, réellement en conflit.
Les Présidents entreprennent juste de sauver les apparences en parlant comme « leurs peuples ». Juste parler. A l’étranger, la supercherie entre les deux hommes est déjà de notoriété publique[2]. Au Congo, on préfère rester encore incrédule.
C’est tellement difficile d’admettre qu’un peuple a à sa tête l’« ami » d’un régime « ennemi ». Mais tout est question de temps.
________________
Boniface MUSAVULI
-------------------------------------------------------------
[1] En excluant juste quelques-uns, voir liste.
[2] … « en septembre 2007 à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU : Kagame et Joseph (Kabila, ndlr) ne se serraient pas la main en public, mais, quand ils pensaient ne pas être regardés, leur connivence était manifeste. Une caméra les a ainsi filmés par surprise. Mais les "services" rwandais ont réussi à faire détruire la bande... » (…).Pierre Péan, Carnage - Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard, novembre 2010, p. 419.
C’est avec une certaine méfiance que les Congolais ont accueilli le discours de Joseph Kabila à l’ONU.
Pour la première fois, dans un cadre d’une telle solennité, le Président congolais a évoqué les « agressions sans fin » dont le Congo est victime de la part du Rwanda.
On a envie de dire « enfin ! » Le Président met les mots justes sur la souffrance de « son peuple ». Car depuis toujours, la règle, c’était l’esquive, la langue de bois, voire des embrassades tous sourires entre dirigeants congolais et rwandais ; pendant que le Congo subissait des agressions de la part du Rwanda, que sa population se faisait massacrer et jeter sur les routes, et que les femmes se faisaient violer en masse.
L’affaire du M23 aura au moins eu l’avantage de mettre sur la place publique la réalité de la complicité de longue date entre Kinshasa et Kigali sur le dos des populations congolaises.
Depuis, les autorités de Kinshasa s’accordent sur de nouveaux éléments de langage. Il faut parler comme le peuple congolais. Il faut nommer les agresseurs du Congo.
C’est une démarche courageuse, en apparence, mais il ne faut pas tomber dans le piège des « apparences trompeuses ». Il faut apprendre de la longue tragédie du peuple congolais que les paroles officielles ne méritent pas qu’on y attache beaucoup d’importance.
Ce qui compte par-dessus tout, ce sont les faits, les non-dits et les renoncements inexpliqués mais révélateurs.
Des années de trahison, de complicité et de laissez-faire
En effet, les Congolais, après avoir été bernés depuis des années par des dirigeants qui prenaient une part active aux trahisons en tous genres (nomination d’officiers rwandais dans l’armée, intégration des milliers d’agents du régime de Kigali dans l’armée et l’administration pour accompagner le plan de balkanisation du Congo), il devient quasiment vital de s’intéresser davantage aux actes qu’aux simples paroles, présidentielles soient-elles.
Ainsi plusieurs questions méritent une attention particulière. Oui, maintenant que le Rwanda est désigné comme un agresseur quasiment récidiviste, qu’est-ce que l’Etat congolais, de son côté, faisait avant et qu’est-ce qu’il envisage de faire maintenant ?
Classiquement, dans les relations internationales, le crime d’agression, qui est un acte grave en droit international, donne lieu à plusieurs types de réactions, toutes devant être énergiques de la part de l’Etat agressé. Une riposte militaire, un activisme diplomatique, des actions judiciaires,... L’Etat congolais envisage-t-il d’engager ces actions ?
Riposte militaire, où en est-on ?
Il s’agit naturellement d’une réaction de type militaire consistant à repousser l’agresseur et même à porter les hostilités jusque sur le territoire ennemi. Une action difficile à envisager à l’état actuel de l’armée congolaise.
Depuis l’arrivée à Kinshasa des dirigeants actuels en 1996, l’armée congolaise est continuellement affaiblie notamment par la pratique consistant à intégrer par vague successives des combattants ougandais et rwandais.
Ces derniers y répandent l’indiscipline, la méfiance, la criminalité et les trahisons qui paralysent les opérations militaires. Ils sont formés au Rwanda puis envoyés en masse par le régime de Kigali pour détruire le Congo.
Des pratiques qui ne sont pas près de s’arrêter. En effet, les autorités de Kinshasa envisagent, à nouveau, de réintégrer les membres du M23[1]. C’est-à-dire orchestrer un nouvel affaiblissement de l’armée congolaise.
Comment, dès lors, prendre au sérieux la parole des gouvernants qui parlent d’agression en accueillant des agresseurs dans les rangs de l’armée nationale ? Et qui, depuis toujours, n’ont pas entrepris de doter le pays des moyens militaires suffisants pour faire face aux agressions à répétition ?
Une diplomatie poussive
L’autre type de réaction en cas d’agression s’opère sur le terrain diplomatique. Le pays agressé réagit en mobilisant des Etats amis pour infliger des sanctions, par exemple économiques, à l’agresseur.
L’Etat congolais a-t-il jamais pris des sanctions économiques contre le Rwanda ?
A-t-il déjà mobilisé des pays amis pour adopter des mesures de rétorsion contre l’agresseur ?
La réponse est désespérément « non ».
Comment, dès lors, un peuple peut-il croire à la sincérité des dirigeants qui n’entreprennent aucune démarche pour mobiliser l’opinion internationale et faire sanctionner l’agresseur ?
Réaction judiciaire, où en est-on ?
Le troisième type de réaction (il y en a d’autres) est de type judiciaire. L’Etat agressé engage des poursuites contre l’agresseur devant la Cour Internationale de Justice, compétente, entre autres, en matière d’agression (violation de la charte de l’ONU).
Il peut aussi saisir la Cour Pénale Internationale lorsque des crimes relevant du statut de Rome (crimes de guerre, crimes contre l’humanité) ont été commis.
Le bombardement des populations civiles à Goma par l’armée rwandaise constituent indéniablement des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le gouvernement congolais prépare-t-il une plainte à déposer à la CPI ou à la CIJ ? A-t-il demandé au Rwanda d’extrader les responsables des bombardements de Goma ? Aucune démarche de cette nature n’est entreprise par les autorités de Kinshasa.
Il y a même pire. Avant l’arrivée de Joseph Kabila au pouvoir en 2001, le Congo avait un dossier à la Cour Internationale de Justice où le Rwanda était poursuivi pour « actes d’agression armée » en violation de la Charte de l’ONU.
La procédure avait été engagée sur instruction du défunt Président Laurent-Désiré Kabila.
La plainte sera retirée dans des conditions troubles la veille de l’assassinat du Président Kabila. Son successeur n’a jamais relancé la procédure en dépit des « agressions sans fin » qu’il évoque à la tribune de l’ONU.
Quelle importance accorder à la parole des autorités qui dénoncent les agressions contre « leur peuple » mais s’abstiennent, étonnamment, de poursuivre les agresseurs devant les juridictions compétentes ?
Deux présidents amis
Manque de franchise et supercherie de haute volée
Ça manque vraiment de franchise entre les autorités actuelles du Congo et la population. Et la méfiance ne risque pas de s’estomper. Les rencontres secrètes, mais stériles pour la paix, entre Joseph Kabila et Paul Kagamé (New York, Kampala, Addis-Abeba, voire Goma) et les images de grande convivialité affichées par deux Présidents à la tête de deux nations en guerre sont des clés de lecture qu’il faut constamment garder à l’esprit.
Si les Congolais, en tant que peuple, ont réellement un problème avec le régime rwandais de Paul Kagamé, le Président Kabila, quant à lui, n’a jamais été en conflit avec le pouvoir de Kigali à qui il doit son arrivée à Kinshasa en tant qu’officier de l’armée rwandaise en mai 1997.
Son arrivée dans la précipitation à Kampala pour avoir un tête-à-tête avec l’« homme fort de Kigali », alors que la population congolaise venait de subir des bombardements à Goma (où il n’a même pas fait escale) donne à penser que le « cordon ombilical » n’a jamais été coupé, en dépit de graves souffrances que le régime de Kigali fait subir aux populations congolaises.
C’est sûrement un cas unique dans l’histoire des nations. Deux présidents « amis » font semblant d’être en conflit et se maintiennent à la tête de deux nations qui sont, elles, réellement en conflit.
Les Présidents entreprennent juste de sauver les apparences en parlant comme « leurs peuples ». Juste parler. A l’étranger, la supercherie entre les deux hommes est déjà de notoriété publique[2]. Au Congo, on préfère rester encore incrédule.
C’est tellement difficile d’admettre qu’un peuple a à sa tête l’« ami » d’un régime « ennemi ». Mais tout est question de temps.
________________
Boniface MUSAVULI
-------------------------------------------------------------
[1] En excluant juste quelques-uns, voir liste.
[2] … « en septembre 2007 à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU : Kagame et Joseph (Kabila, ndlr) ne se serraient pas la main en public, mais, quand ils pensaient ne pas être regardés, leur connivence était manifeste. Une caméra les a ainsi filmés par surprise. Mais les "services" rwandais ont réussi à faire détruire la bande... » (…).Pierre Péan, Carnage - Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard, novembre 2010, p. 419.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire