samedi 19 octobre 2013

RD Congo : pourquoi le conflit du Kivu resurgit aujourd'hui


Le général rebelle Laurent Nkunda au camp de déplacés à Kilorirwe, décembre 2007 (James Akena/Reuters).

Alors que des dizaines de milliers de réfugiés fuient les combats opposant l’armée congolaise aux rebelles soutenus par le Rwanda, autour de Goma, les troupes du général Laurent Nkunda ont décrété un « cessez-le-feu » unilatéral


Sur le terrain, un tir d’obus de mortier, près du camp de Kibati, aurait provoqué un mouvement de panique chez les réfugiés : 45 000 personnes seraient en mouvement vers le Rwanda et le sud de la région. Des tirs à l’arme lourde auraient aussi éclaté dans la zone frontalière entre le Rwanda et la République démocratique du Congo.

Cette reprise des combats autour de Goma est la conséquence d’un énième accord de paix défaillant. Comme le souligne l’International Crisis Group dans sa dernière analyse, les groupes armés présents dans la région se sont réarmés ces dernières semaines. 


Il était donc logique que les armes parlent à nouveau. Retour sur un conflit qui n’en finit pas de ravager la région depuis quatorze ans.

Le Kivu ? La Suisse de l’Afrique centrale

Contrairement aux images misérabilistes qui reviennent à chaque soubresaut de la crise, le Kivu est une région extraordinairement riche, qui lui vaut le surnom de « Suisse de l’Afrique centrale ». 


Et ce pour plusieurs raisons : 

D’une superficie de 256 000 km2 -presque la moitié de la France- la région s’étale entre la cuvette congolaise, au climat tropical, et les contreforts du plateau rwando-burundais, beaucoup plus tempéré et froid.


Au nord, la chaîne des volcans Virunga culmine à plus de 4000 mètres d’altitude, à l’ouest, les forêts congolaises offrent un environnement où les cultures sont abondantes, mais surtout des richesses minières inégalées : cuivre, or, coltan, gaz naturel et pétrole dans les lacs Kivu et Tanganiyka. 


Toutes ces richesses faisant l’objet de trafics en tout genre.

Traditionnellement peu peuplée, la région est depuis le XIXe siècle une terre d’immigration, attirant les « banyarwanda » (habitants du Rwanda) des plateaux, où la densité de population a toujours été très forte. Ces derniers se heurtent régulièrement aux locaux congolais, à travers de multiples conflits fonciers.


Deux villes -chefs-lieu de région administrative- délimitent la zone : Goma au nord du lac Kivu, avec de nombreux camps de réfugiés et Bukavu au sud du lac.

Dès les années 60, le Kivu a constitué une base arrière pour tous les réfugiés -principalement rwandais- de la région, mais également un enjeu de pouvoir entre le Zaïre, le Rwanda et l’Ouganda, où ce « ventre mou » de l’Afrique centrale reste une zone impossible à contrôler entièrement. Car trop vaste.

Des protagonistes de la crise du génocide de 1994

Tous les protagonistes du conflit d’aujourd’hui sont des héritiers du génocide rwandais. Impossible de comprendre la logique des acteurs sans se référer à cette période. 


Fin juin-début juillet 1994, après trois mois de massacres, les génocidaires balayés par l’offensive de l’Armée patriotique rwandaise (APR) de Paul Kagame traversent la frontière zaïroise, avec la complicité des soldats de l’opération Turquoise.


Dans les mois qui suivent, les Forces armées rwandaises (FAR) reconstituent leurs unités, en se mélangeant aux Interahamwe (les miliciens du génocide) puis elles récupèrent les armes lourdes normalement confisquées par les Forces armées zaïroises (FAZ). 


Commence alors une guerre de guérilla contre le nouveau régime de Kigali, qui dure deux ans (1995-97).

En octobre 1996, Kagame confie à son chef d’état-major, le général James Kabarebe, la tâche de liquider cette guérilla. Une traque sanglante commence, partant des camps de réfugiés qui abritent les Interahamwe, jusqu’à Kinshasa où les Rwandais portent au pouvoir Laurent-Désiré Kabila en mai 1997, provoquant la chute du maréchal Mobutu.


En 1998, la guerre reprend dans le Kivu, faisant des centaines de milliers de victimes dans les camps de réfugiés. Chaque camp -Kigali et Kinshasa- s’appuie sur des groupes armés plus proches d’une troupe de miliciens que d’une armée régulière, mais en général bien équipés.
Jusqu’en 2004, les alliés de Kigali contrôlent en grande partie les différentes filières de trafics de matières premières -notamment le coltan qui sert à fabriquer les puces de téléphone portable-, ce qui permet au Rwanda de financer sa reconstruction.


En 2004, le président Kagame négocie la rédition des deux principaux chefs militaires du maquis des ex-FAR -les généraux Paul Rwarakabije et Jérôme Ngendahimana- qui entraînent dans leur sillage des milliers de combattants. Problème : plusieurs milliers préfèrent rester dans le maquis. Ils ne l’ont toujours pas quitté.

Petit à petit, l’Armée nationale congolaise (FARDC) a réussi à reprendre pied dans la région ; mais elle se heurte : 


d’un côté, aux supplétifs rwandais : le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dirigé par le général Laurent Nkunda, 41 ans, un homme soupçonné de crimes de guerre. 


Cet ancien de l’APR a toujours servi les desseins de Kigali, mais il est devenu un allié gênant à partir du moment où la justice internationale a émis des mandats d’arrêts internationaux pour des exactions qui lui sont attribuées.

De l’autre, aux miliciens des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), héritiers des génocidaires de 1994, qui continuent à vivre des trafics locaux. Eux aussi sont devenus incontrôlables.


En janvier 2008, un énième accord de paix est donc ficelé, mais il comporte au moins deux failles : les FDLR ne l’ont pas signé et il limite l’amnistie aux « actes de guerres ». Les auteurs de crimes de guerre et/ou de crimes contre l’humanité seront poursuivis.

En somme, quatorze ans après le début du conflit, plus personne n’a vraiment de prise sur des groupes armés qui se sont autonomisés et servent de bras armés aux puissances régionales.

Que fait la communauté internationale ?

Comme à chaque fois que la tension remonte d’un cran, les premières victimes sont les civils, en particulier la population des camps de réfugiés situés autour de Goma. A la question : combien de victimes ? La mission de l’ONU répond :

« Selon une étude publiée par International Rescue Committee en décembre 2004, 3,8 millions de personnes, pour moitié des enfants, seraient ainsi mortes. Selon Jan Egeland, Coordinateur des affaires humanitaires de l’ONU, les effets persistants du conflit sont responsables d’au moins 1000 décès par jour en RDC tandis qu’environ trois millions de personnes ont un “besoin urgent d’assistance ”. »

La Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo a été créée en 1999, dans la foulée d’un premier accord de paix. Depuis, la MONUC s’efforce de faire respecter le cessez-le-feu et de désarmer les différents groupes armés sévissant dans la région.

Malgré un budget très important -1 136 875 200 dollars en 2006- et un personnel tout aussi pléthorique -16 475 militaires dont 3551 pakistanais, plus 3150 civils-, le moins qu’on puisse dire est que le succès n’est pas au rendez-vous.

Plusieurs explications à cet échec : 


D’abord des volontés politiques contradictoires : les Etats-Unis soutiennent le Rwanda, tandis que les Européens, les Français en particulier, s’appuient sur les Congolais, avec… les Chinois, qui financent une bonne partie de l’effort militaire de Kinshasa.


Ensuite, un contingent constitué de troupes peu aguerries à cet environnement difficile. Les soldats pakistanais font l’objet de nombreuses enquêtes de l’ONU, soit pour des dérapages individuels, soit pour de vraies fautes politiques dans l’exécution de leur mission.


Enfin, la région reste la proie des prédateurs de toute nature, attirés par les fabuleuses richesses du sous-sol. D’où une privatisation rampante d’un conflit au départ très politique.

Comment sortir de cette crise ?

Si un avis fait l’unanimité sur le Kivu, c’est qu’il n’existe pas de recette miracle à cette poudrière permanente.

Politiquement, aucun des protagonistes n’a pour l’instant avancé la moindre piste permettant de trouver une sortie de crise acceptable tant à Kigali qu’à Kinshasa. 


Le porte-parole du Premier ministre belge a indiqué qu’il demanderait « un examen de la situation du mandat et de la configuration de la Mission des Nations unies au Congo (MONUC) ». 

Rien de plus, pour le moment. Bruxelles a envoyé son ministre des Affaires étrangères à Kigali, pour discuter avec le président Kagame.

Militairement, la France a fait une proposition, au titre de sa présidence de l’Union européenne. Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’est dit favorable à l’envoi d’un « groupe tactique » -au maximum 1500 hommes- pour stabiliser la situation. 


Ce ne serait pas une première : l’Europe a déployé deux missions au Congo : Artémis en 2003, dans la région de Bunia, et Eufor RDC à Kinshasa en 2006, pendant le processus électoral. Les Belges, absents du conflit depuis le traumatisme de 1994 où dix casques bleus furent tués, seraient volontaires. 
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David Servenay | Ex-Rue89
 

Photo : le général rebelle Laurent Nkunda au camp de déplacés à Kilorirwe, décembre 2007 (James Akena/Reuters).

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