mercredi 23 octobre 2013

RDC – « C’est pour l’humiliation »

Depuis mon retour de congé, j’accompagne une journaliste brésilienne sur les routes du Nord-Kivu, entre Goma et Masisi. Un voyage hors du commun, même si ce n’est pas la première fois que je vais dans cette partie du pays. 

Un voyage fait de témoignages bouleversants.


Il y a quelques semaines, plusieurs villages ont été attaqués. Des petits villages du nord-ouest du Masisi, dans le Nord Kivu. Celui que nous avons visité est perdu dans la brousse, mais il y a une route plus ou moins accessible.


On a mis 4 ou 5h pour y arriver depuis Masisi (30 km), dont une partie du chemin à moto et une autre les deux pieds dans la boue. Un petit village perdu entre deux plus grosses localités. 

Vendredi dernier, des rebelles sont entrés dans le village, vers 11h du matin. « Ils étaient nombreux », ont témoigné les villageois. « Au moins 700 », a ajouté un autre. Un chiffre probablement largement surestimé mais qui témoigne de l’ampleur de l’attaque vécue par les habitants de Lwibo. 

Ce sont les rebelles d’un ou plusieurs groupes armés des environs. Des conflits de territoire, semblerait-il. Peut-être sur fond ethnique. Les motivations ne sont pas claires. De toute façon, ce n’est pas notre business, on n’est pas là pour juger. 

Les rebelles ont traversé le village, ils ont pillé les maisons, ils y ont mis le feu. Plus de 190 maisonnettes ont été réduites en cendres. Ils ont frappé les habitants, ils en ont tués certains.
Plongés dans la rivière

Il y avait un petit pont en bambou, qui a commencé à s’effondrer quand les enfants ont tenté de s’enfuir en traversant la rivière. Trop de personnes dessus en même temps. 


Les assaillants ont donné des coups de machette pour aider le pont à s’effondrer. Il paraît qu’une trentaine d’enfants sont portés disparus. Engloutis par les flots. Les assaillants sont allés à l’école aussi, comme nous l’a raconté un enseignant. 

« J’étais parti voir la communauté et puis j’ai su pour l’attaque. Quand je suis revenu, ils avaient tous disparu », raconte le jeune homme timidement dans un français parfait. 45 enfants et 5 enseignants. 

Des jeunes enfants, entre 6 et 12 ans. Certains sont revenus entre-temps, les plus âgés. Ils sont parvenus à s’échapper. Je n’ai pas pu les rencontrer, je n’ai pas su ce qu’ils avaient vécu. 

J’ai demandé pourquoi ils avaient pris les enfants. Je me demandais si c’était pour en faire des soldats. L’enseignant m’a répondu « C’est pour l’humiliation ». 

Les gens du village m’ont dit que les enfants qui se plaignaient d’avoir du mal à marcher, d’être fatigués ou d’avoir froid allaient être tués. « Ils tuent les enfants qui n’arrivent pas à suivre ».


© MSF

Une dame d’une cinquantaine d’années nous a parlé de son mari. « Je travaillais aux champs quand l’attaque a eu lieu. Mon mari est venu me prévenir et nous sommes revenus au village pour prendre des affaires.
Mais ils ont rattrapé mon mari et ils lui ont coupé la tête ». 

Plus tard, la même femme nous apprend que 2 de ses 3 enfants étaient sur le pont et sont toujours portés disparus. Je déglutis difficilement. Cette femme a perdu son mari et deux de ses trois enfants le même jour. Elle ne pleure même pas. Elle est comme anesthésiée.
Le regard vide

Un monsieur nous emmène jusqu’à la rivière, pour voir le pont. C’est un joli petit pont en bambou, en contrebas des maisons. Les gens nous indiquent où ils ont vu des traces de sang, le long de l’eau, là où les corps ont été jetés dans la rivière. 


Parce qu’en plus des enfants qui se sont noyés, il y aussi les corps des personnes tuées et qui ont été largués dans l’eau. Ils n’ont encore retrouvé que deux corps. 

Le débit de l’eau est puissant, ils peuvent être n’importe où. Nous remontons sur la route. Nous sommes mercredi, cinq jours après l’attaque, et les habitants ont déjà reconstruit le pont.


© MSF

Ils reconstruisent déjà les maisons aussi, pour ceux qui n’ont pas fui ou qui sont déjà revenus. Les enfants sont étendus de tout leur long sur les gravats, ils jouent. 


Les mamans trient, et cherchent à récupérer des casseroles ou d’autres choses utiles parmi les décombres. A certains endroits, ça pue le cramé. Le feu n’est pas encore tout à fait éteint. 

Qui peut voir détruire son environnement et se mettre juste après à reconstruire au milieu des cendres et de l’odeur de fumée ? Les enfants ont déjà retrouvé le sourire. Les adultes, eux, ont le regard vide. Je me demande quelles atrocités ont vu ces yeux il y a quelques jours à peine.

Médecins Sans Frontières a rapidement installé une clinique mobile sur place. Le samedi, l’équipe a évalué la situation. Le dimanche, médecins, psys et infirmiers étaient sur place. Ils ont pris en charge des femmes, des hommes, des enfants. 


9 victimes de violences sexuelles. 9 ! Mercredi, c’étaient des paludismes, habituels en cette semaine, et des douleurs un peu partout. Les gens se sont plaints d’avoir été battus. Peu de blessures. Les rebelles tuent, ils ne blessent pas. Des douleurs psychosomatiques aussi, ou qui y ressemblent. Mal à la tête et mal au ventre.

Les derniers chiffres indiquent que 190 maisons ont été brûlées à Lwibo, 36 à Bikundje et 26 à Butemure. Dans les cinq villages attaqués, ce sont 15 salles de classes qui ont été incendiées. 


8 élèves ont été assassinés à Butemure, ainsi que deux adultes, tandis que 25 y sont toujours portés disparus. A Lwibo, 9 décès sont d’ores et déjà confirmés.
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Amandine Colin est chargée de communication MSF en République démocratique du Congo.

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