Si, d’après les écrits de Shakespeare dans La tragique Histoire d’Hamlet, il y avait quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark, il semble qu’il existe quelque chose d’inhumain en République Démocratique du Congo.
Effectivement, au pays des léopards, tous les citoyens ne sont guère traités sur le même pied d’égalité au regard de la loi. D’ailleurs, la Constitution n’est que très rarement respectée.
La déclinaison des conclusions des concertations nationales tarde pendant que l’oppression règne implacablement sur les opposants, les acteurs de la société civile et les journalistes. Pis encore, on est en train d’assister purement et simplement à l’incohésion nationale et sociale.
Deux poids, deux mesures
Les récents déboires connus par les journalistes Mag Mikombe du quotidien kinois Le Palmarès et Modeste Kisema du journal Echos du Sud témoignent de l’agissement de la majorité présidentielle à l’encontre de toute personne qui ose écrire un article en sa défaveur.
Que dire des menaces de mort proférées par le porte-parole militaire du M23, Vianney Kazarama, contre Thomas Kubuya, journaliste à Virunga Business Radio, une station privée émettant à Goma dans le Nord-Kivu ?
C’est à juste titre que Jolie Kamuntu, présidente de l’Association des femmes des médias au Sud-Kivu, a déploré la non-existence de la liberté de presse en République Démocratique du Congo.
Raison pour laquelle l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj) a demandé au gouvernement de faire adopter une loi dépénalisant les délits de presse dans le meilleur délai.
Selon l’avocat Georges Kapiamba, « la Justice ne doit plus servir d’instrument de musellement de la liberté de presse ».
Pour ce qui est de l’aspect politiquement incorrect, on constate que la présomption d’innocence n’est prise en contact qu’en fonction de l’appartenance ou non à la majorité présidentielle.
Ainsi le général John Numbi a-t-il bénéficié d’office de ce principe juridique[1], alors que l’opposant Eugène Diomi Ndongala[2] est en train de mourir en prison[3].
Toujours dans cette stratégie de décapitation de l’opposition, une descente policière a eu lieu le 24 novembre 2013 à Kinshasa, au domicile du député du Mouvement de libération du Congo (MLC)[4], Fidèle Babala.
Ce dernier était visé par un mandat de la Cour pénale internationale (CPI), selon les autorités congolaises. Rappelons que, dans un passé très proche, le gouvernement de Kinshasa n’a fourni aucun effort pour transférer vers cette juridiction internationale le criminel Bosco Ntaganda.
Il aurait fallu que le Rwanda le fasse pour que l’ancien dirigeant du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) se retrouve à La Haye.
Dans son rapport 2013 sur la situation des droits de l’Homme dans le monde, Amnesty international n’a-t-il pas épinglé le régime de Kinshasa, dans la mesure où « les groupes armés comme les forces de sécurité gouvernementales ont menacé, harcelé et arrêté arbitrairement des défenseurs des droits humains, des journalistes et des membres de l’opposition politique » du fait de leurs opinions ?
Pourtant, peut-on lire dans article récemment publié dans les différents réseaux sur le Net, l’article 8 de la Constitution de la République Démocratique du Congo reconnaît le caractère sacré des droits liés à l’existence et aux activités de l’opposition dans sa lutte en vue de la conquête démocratique du pouvoir.
Quant à l’article 12 de la loi fondamentale, elle stipule que « tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ».
Les violations systématiques de la Constitution
Si le gouvernement de la République Démocratique du Congo ne cesse verbalement de s’opposer à toute proposition susceptible de constituer une violation de la Constitution aux pourparlers de Kampala entre les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) et la délégation gouvernementale, force est de constater que, pour ce qui relève des affaires intérieures, la loi fondamentale a sans arrêt été foulée sous le pied par ceux qui sont censé la faire respecter.
Ainsi la récente décision d’envoyer les éléments des FARDC[5] en Centrafrique n’a nullement été conforme aux dispositions constitutionnelles. Cela a aussi été le cas, dans le même ordre d’idées, de la ratification de l’accord-cadre pour la paix ratifié le 24 février 2013 à Addis-Abeba, lequel a été conclu par le gouvernent congolais sans l’aval du Parlement réuni en Congrès.
Par ailleurs, de nos jours, des citoyens congolais à part entière sont privés de droit de vote et d’éligibilité. Pis encore, leurs enfants bénéficiant de citoyennetés étrangères du fait du droit du sol ou d’être nés d’un parent étranger, se voient refusés la nationalité congolaise d’origine en violation de l’alinéa 3 de l’article 10 de la Constitution congolaise.
Toutes ces injustices ne font que confirmer l’inégalité de tous les Congolais au regard des lois nationales.
L’échec des concertations nationales
Dès lors que la méthode de travail a été bâclée en amont par le présidium, on ne pouvait que s’attendre à des surprises désagréables dans l’usage des recommandations dudit forum.
Ainsi l’hypothèse de la formation d’un gouvernement d’union nationale et les pourparlers de Kampala préfiguraient-ils les conséquences du cirque qui s’est produit à grands frais à Kinshasa[6].
Il est déplorable, en guise d’illustration, de constater que le choix de la majorité de personnes ayant représenté la diaspora s’est fait, en dernier ressort, sur la base du mercantilisme et de la logique politicienne.
Par conséquent, la liberté de conscience de quelques membres de la diaspora, susceptibles d’orienter les débats sur les véritables causes de la guerre de l’Est, a fait peur aux organisateurs.
L’exclusion de quelques acteurs patriotiques, de l’intérieur comme de l’extérieur, au profit des affidés de la majorité présidentielle a d’emblée hypothéqué les chances de la cohésion nationale et sociale.
L’incohésion nationale et sociale
Un exemple parmi tant d’autres. Le décret gouvernemental signé le 2 octobre 2012, ayant interdit à partir du 2 décembre 2012 l’importation de tout véhicule d’occasion mis en circulation avant 2002, a pénalisé la diaspora congolaise, laquelle participe activement à l’économie du pays grâce à l’envoi des fonds et du matériel en tout genre au pays.
Plutôt que d’encourager l’incohésion sociale, hypothéquant ainsi l’émergence d’une classe sociale moyenne, le gouvernement congolais aurait dû prendre des mesures exigeant le contrôle technique obligatoire s’agissant de la fiabilité de tout véhicule.
Confrontée à la crise politique en cours, les autorités congolaises n’ont pas fait montre d’un patriotisme sans faille dans l’articulation et l’acceptation d’un processus qui aurait dû aboutir à la cohésion nationale et sociale.
Le peuple congolais est resté, de facto, l’otage d’une classe politique non désireuse d’agir au profit de l’intérêt supérieur de la Nation. En tout cas, les actes du pouvoir en place à Kinshasa n’ont fait qu’amplifier les causes ayant contribué à l’affaiblissement de l’Etat, à la fracture sociale, à l’incohésion nationale et au risque de balkanisation.
Quelques sillons
Il va falloir une réelle ambition nationale et régionale pour sortir la Réplique Démocratique de l’impasse dans laquelle elle est malheureusement cantonnée. Une ambition collective est donc nécessaire « pour réinventer la manière de faire de la politique et de rendre possible une alternative crédible »[7].
Ainsi est-il indispensable de proposer aux Congolaises et aux Congolais un projet de société d’avant-garde fort, humaniste et fraternel, dans le but de poser les véritables fondements du « Congo d’avenir » : c’est-à-dire « un pays capable de conjuguer le dynamisme économique avec la justice sociale, un pays qui fait non seulement le choix de la paix, de la croissance et de l’Etat de droit mais aussi en mesure de surmonter les défis de la compétitivité et de la solidarité entre les administrés, de la cohésion nationale et de l’osmose régionale »[8]…
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Gaspard-Hubert B. Lonsi Koko
[1] Une décision compréhensible dès lors que le général John Numbi n’était pas condamné par le juge.
[2] Dont la mise en résidence surveillée pourtant prononcée par le juge n’a même pas été appliquée.
[3] La garde républicaine a arraché Eugène Diomi Ndongala dans la nuit du 28 décembre dernier, d’après un communiqué de presse de Démocratie Chrétienne, de son lit – le privant ainsi de soins intensifs de la clinique Ngaliema à la suite d’un accident vasculaire cérébral.
[4] Le MLC est une force de l'opposition fondée par l’ancien vice-président de la République, Jean-Pierre Bemba, qui attend d'être jugé à La Haye, aux Pays-Bas, par la Cour pénale internationale (CPI).
[5] Forcées armées de la Républiques Démocratique du Congo.
[6] In Gaspard-Hubert Lonsi Koko : « Le présidium des concertations nationales a pénalisé le travail au profit du clientélisme.
[7] In La République Démocratique du Congo, un combat pour la survie, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, L’Harmattan, Paris, 2011.
[8] In Ma vision pour le Congo-Kinshasa et la région des Grands Lacs, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, L’Harmattan, Paris, novembre 2013.
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