La question d’une éventuelle révision constitutionnelle domine et agite actuellement le débat politique en République démocratique du Congo.
Ce débat est mal engagé car cette révision semble vouloir se faire d’une part au profit exclusif du pouvoir en place et d’autre part au détriment des vrais problèmes qui se posent au niveau de la nation congolaise.
Consolidation du pouvoir en place
En décidant de procéder à la révision de certains articles de la Constitution, le double objectif visé par le pouvoir de Kinshasa et maintes fois exprimé par les responsables politiques de ce pouvoir est celui de voir Kabila rempiler pour une présidence aux mandats illimités, une présidence à vie, mais aussi s’assurer que sa volonté sera matérialisée grâce à une formule qui soit à même de lui faciliter la tache à chaque élection présidentielle future. Pour concrétiser cette démarche, ce pouvoir s’intéresse donc aux articles de la Constitution liés directement ou indirectement au nombre limité des mandats présidentiels tout comme ceux relatifs au mode de scrutin qui mène à la présidence de la République.
La survie du pouvoir de Kabila passe inéluctablement par la solution concomitante de ces deux problèmes; il lui faut par conséquent commencer par toucher à l’article 220, pourtant verrouillé par le constituant, pour lui permettre de briguer en 2016 un troisième mandat consécutif, imposer ensuite à la CENI une élection du Président de la République au suffrage indirect en lieu et place du suffrage universel direct au résultat incertain ; c’est l’annonce faite de la manière la plus officielle par le Président de la CENI de faire modifier conséquemment la loi électorale pour déboucher sur l’élection du Président de la République au suffrage indirect au motif fallacieux de manque d’argent !
Une nouvelle preuve, s’il en fallait encore, pour démontrer la dépendance de cette structure d’appui à la démocratie au pouvoir en place. Une menace permanente pour la paix et la sécurité de notre pays car les élections constituent le mécanisme pourvoyeur de la légitimité des dirigeants et une des conditions de la paix politique; elles sont autant importantes, sinon plus, que certaines réalisations d’apparat des routes rafistolées, prétendument de la « révolution de la modernité », que le pouvoir de Kinshasa brandit !
Encore une fois, la CENI est au cœur de cette tourmente .
En effet, la réforme qui doit ramener le climat de confiance entre le peuple et les élections comme mode démocratique de désignation des animateurs des institutions publiques n’est manifestement pas celle qui a conduit à la nomination des actuels dirigeants de la CENI, plus particulièrement, à la tête de cette institution.
Les irrégularités qui ont opposé Eglise catholique et pouvoir en place dans la désignation du Président de la CENI, sa gestion des premières élections qui se sont soldées par une guerre en plein Kinshasa causant plus d’un millier de morts, le conflit d’intérêt découlant de ses fonctions antérieures auprès de Kabila, tout cela n’autorise pas le peuple congolais à lui faire confiance. Le prélat catholique le sait pertinemment bien mais comme à l’accoutumée, s’entête !
Pendant ce temps, le pouvoir en place crie au procès d’intention, lui qui s’est plusieurs fois illustré, récemment encore, dans le changement des règles du jeu en pleine compétition pour se maintenir à tout prix.
Les modifications constitutionnelles intervenues en janvier 2011(8 articles), année électorale, l’ont été pour le seul profit du candidat Kabila et ses partisans.
De la même manière, le seul bénéficiaire du déverrouillage de l’article 220, c’est Kabila et personne d’autre. Il est incompréhensible - et un grave manque de respect pour le peuple congolais - qu’il ne puisse pas en parler.
Il préfère laisser ses ouailles jouer la comédie de la contradiction publique au lieu de se prononcer sur une affaire grave qui touche à la Constitution, lui qui a toujours prétendu, au nom de la même Constitution, d’en être le garant assermenté. « Taiseux » ou pas, l’heure de vérité approche et va bientôt sonner !
En 2011, il fallait éviter à Kabila un deuxième tour qui lui aurait été fatal car aurait mal dissimulé les fraudes projetées tout en dévoilant au passage lors du débat entre deux tours (esquivé en 2006) certaines "anomalies" redoutables. Il a ainsi fallu changer une loi constitutionnelle (article 71)pour la survie politique d’un candidat et de ses partisans. Une régression démocratique.
Nous avions regretté cette modification qui portait le risque de voir un Président de la République dépourvu d’une majorité confortable pour gouverner correctement le pays.
Cette modification a été reconnue avant son avènement, potentiellement anti démocratique car on ne peut prétendre « représenter » correctement une nation en état d’instabilité chronique, en se contentant d’une majorité relative, d’une petite légitimité, reçue du vote d’une minime frange de la population ou d’une portion du territoire national; le délitement de la cohésion nationale, que connaît aujourd’hui notre pays et que Kabila cherche difficilement à recréer, provient de cette malheureuse modification en même temps qu’il traduit clairement que la victoire des élections de 2011 n’a jamais été de son côté.
S’agissant de l’article 197 dont la modification a été annoncée par les tenants du pouvoir sur les radios périphériques, rappelons que cet article avait déjà été modifié en 2011 dans le sens de conférer à Kabila le pouvoir de dissoudre une assemblée provinciale en cas de "crise politique grave et persistante qui menace d’interrompre le fonctionnement régulier des institutions provinciales"; dans la foulée, un pouvoir identique lui a été conféré en 2011 par la modification de l’article 198 lui attribuant les prérogatives de déchoir pour les mêmes raisons un Gouverneur de Province.
Cela ne suffit toujours pas; il s’agit maintenant de tripatouiller cet article 197 vraisemblablement dans le sens de supprimer le suffrage universel "direct".
Tout le monde sait que l’élection des gouverneurs de provinces et des sénateurs au suffrage universel « indirect » a dramatiquement institutionnalisé la corruption dans notre pays.
L’élection des Gouverneurs des provinces proches de Kabila à Kinshasa, Mbandaka et Matadi par des assemblées provinciales composées majoritairement des membres de l’opposition en est une illustration parfaite.
Faire également élire les députés provinciaux au suffrage « indirect » ne ferait qu’amplifier l’odeur de cette puante pratique. De plus, les gouverneurs et les sénateurs tirent leur légitimité de l’élection des députés provinciaux au suffrage universel direct.
Cette légitimité serait davantage fractionnée, réduite si leurs électeurs – les députés provinciaux – venaient à ne plus être élus « directement » par le peuple. A qui cela profite-t-il de rabaisser ainsi notre démocratie ?
Que dire de la fonction du Président de la République qui serait galvaudé par un mode similaire de scrutin indirect tel que suggéré par le Président de la CENI ?
Tout est fait pour montrer à la face du monde que le peuple congolais est prédestiné à la médiocrité dans tous les domaines.
Réaliser une modification des lois constitutionnelle et électorale dans ce sens de la démocratie au rabais serait assimilable à un acte démocraticide par excellence, un crime politique !
L’absurdité du débat actuel
Les débats qui dominent le monde politique congolais aujourd’hui sont étonnants par leur manque de clairvoyance sur ce dont le pays a vraiment besoin maintenant car au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes, de chercher à améliorer la gouvernance démocratique, ou de renforcer les droits et libertés des citoyens, le pouvoir en place semble privilégier sa révision constitutionnelle dans le seul sens du renforcement ou de la conservation du pouvoir.
Le plus curieux dans leur argumentaire, c’est l’hypocrisie des partisans de Kabila d’essayer de convaincre les Congolais de la capacité de Kabila d’être tout d’un coup différent de ce qu’il a toujours été depuis sa succession à Laurent Désiré Kabila jusqu’à ce jour !
L’argument qui consiste à donner à Kabila la chance de poursuivre son œuvre actuelle de gouvernance du pays et de gestion de l’Etat, est surréaliste car la question centrale n’est plus celle de la conservation du pouvoir, sans que l’on se demande quelle est l’essence même de ce pouvoir que l’on détient depuis 13 ans sans en connaitre le bilan; le seul bilan global à retenir est celui d’être aujourd’hui à la queue du classement des nations modernes en matière d’indices du développement humain, alors que tout, en RDC, ouvre la voie d’une destinée fertile et lumineuse au sommet des peuples qui comptent vraiment comme peuples créateurs dans l’ordre mondial.
Le monde entier sait que la RDC, notre pays est le pays de toutes les contradictions: il est une terre de possibilités fabuleuses en même temps qu’un trou noir des misères indicibles.
Il est le battement du cœur de tous ses voisins qui en connaissent les trésors et s’en servent allégrement et en même temps le chemin de croix d’une multitude de ses citoyens dont la souffrance est le destin de chaque jour.
Quand on gouverne un tel pays et qu’on veut continuer à le gouverner au prix d’une révision constitutionnelle taillée sur mesure, on ne peut plus compter que sur la fureur de la violence d’Etat ou sur les forces de terreur et d’oppression pour valider politiquement le statu quo pour le statu quo. Ça ne peut plus marcher, ça ne va plus marcher !
C’est là le fond de notre problème. Il nous faut dans ce pays, des hommes et des femmes dotés de l’intelligence et des valeurs pour incarner une politique en rupture avec la vision qui a dominé notre récente histoire et dont les conséquences néfastes sur l’existence même de la RDC en tant que pays normal se sont aggravées ces quinze dernières années.
Ces hommes et ces femmes, la révision de la constitution ne nous les donnera jamais comme une baguette magique!
L’élite qui gouverne ce pays est-elle capable de devenir une élite des hommes et des femmes tournés vers une autre politique, avec de nouvelles ambitions et de nouvelles possibilités de grandeur pour le Congo ?
Quelle garantie avons-nous qu’une rupture avec l’idée congolaise de la politique est possible avec les mêmes hommes et les mêmes femmes, qu’un renouveau de l’intelligence politique peut être enclenchée, ici et maintenant, pour la libération en vue de l’essor effectif de notre pays ?
Ces questions, on ne les entend pas comme questions fondamentales dans le débat sur la révision constitutionnelle. On les esquive sans cesse comme si l’enjeu n’était pas la vie de toute une nation et l’avenir de tout un peuple.
Enfin, n’oublions jamais que le rôle assigné au Congo par le monde occidental depuis la Conférence de Berlin en 1885 n’a pas changé à savoir demeurer un terrain de commerce libre où d’immenses intérêts doivent se négocier; un comptoir d’achat-vente où l’Etat doit être le plus faible possible, le plus inexistant possible !
Le pouvoir actuel semble assumer avec abnégation ce rôle! De nouveaux acteurs mondiaux entrent dans cet espace du Congo ouvert aux compétitions : des asiatiques, des océaniens et même des africains. La tâche devient de plus en plus ardue.
Ces acteurs ont leurs intérêts chez nous et il faudrait qu’ils voient que notre pays aussi a ses propres intérêts comme entité globale qui veut réussir son destin.
Si, à la place des intérêts d’une grande entité nationale ambitieuse, ils se retrouvent face à des intérêts purement individuels sans commune mesure avec un grand rêve congolais, ils ne négocieront rien de grand ni rien de puissant avec nous pour notre place dans la géopolitique mondiale.
C’est ce qui se passe jusqu’à présent.
C’est cela l’explication du paradoxe pays immensément riche, population scandaleusement pauvre!
D’ou l’importance capitale des hommes et des femmes capables d’incarner l’avenir qui doit être le nôtre : celui d’une grande nation, d’un peuple grand, d’un peuple libre à jamais !
Le pouvoir actuel, réfractaire à toute idée de grandeur pour notre pays est incapable de générer une telle élite.
En conclusion, l’obstination du pouvoir actuel à se maintenir contre vents et marées constitue une menace pour la paix et la sécurité. Elle devient par conséquent, intolérable!
Pour son émergence comme grand pays dans le concert des nations, la République Démocratique du Congo n’a pas besoin d’une quelconque modification de sa Constitution; elle a plutôt besoin des Hommes et des Femmes qui s’investiront dans la construction d’un nouvel ordre politique crédible, en rupture avec ceux et celles pétris dans de petits intérêts de politique prédatrice, partisane avec le risque de perdre un jour, pour de bon, ce Congo qui est le nôtre.
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Fait à Kinshasa, le 24 septembre 2014
Valentin Mubake, Conseiller Politique du président Tshisekedi.
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