23/10/2014
L'oeil de Glez. © Damien Glez
En pleine polémique européenne sur l’immigration, Daxe Dabré n’a pas honte de publier le livre "Je suis noir : j'ai honte...". Aiguillon salutaire dans le débat ou ramassis de clichés ?
Les Européens, singulièrement les Français, vivent dans la crainte de deux vagues qu’ils ont tendance à considérer comme un tsunami jumelé : un raz-de-marée incontrôlable de migrants clandestins et une déferlante de malades d’Ebola.
La première angoisse est nourrie par une cohabitation tendue dans la jungle de Calais et par les passages en force plus ou moins réussis de migrants, à Melilla ou Lampedusa.
La seconde phobie est alimentée par la compréhensible dramatisation des médias, quand bien même le paludisme tue bien plus que la fièvre hémorragique. Bien plus mais ailleurs…
>> Lire aussi : Plus de 3 000 migrants ont péri en Méditerranée depuis début 2014
Rien d’étonnant, donc, que "Le suicide français" d'Éric Zemmour fasse un tabac en librairie. Qu’importe les approximations de ce journaliste au positionnement politique rare.
Sa mélancolie alarmiste et ses airs de Nosferatu s’insinuent dans l’esprit de la ménagère de moins de cinquante ans. Faudra-t-il attendre que la fiction humanise l’immigré, le film "Samba" d’Eric Toledano et Olivier Nakache grimant l’un des "Français préféré des Français" en sans-papiers ?
L’infusion des idées de Zemmour n’a-t-elle pas déjà gagné, si l’on ne réalise qu’après coup avoir écrit qu’il fallait "humaniser" des humains ?
Le personnage incarné par Omar Sy est le prototype de l’immigré subsaharien. Est-ce la couleur de peau du comédien qui est "raccord" avec le personnage ou est-ce sa famille sénégalo-mauritanienne qui l’homologue dans un rôle qui devrait être militant ? Pas sûr que l’identité africaine soit garante des meilleurs mémoires en défense des sans-papiers.
>> Lire aussi notre interview d'Omar Sy : "Je ne suis pas un acteur noir"
Bien sûr, le reggaeman Zêdess mettait les pieds dans le plat éditorial de l’auteur du “suicide français” en chantant "Tests ADN / Tests de la haine / Avec des journalistes comme Eric Zemmour, la France décomplexée a encore de beaux jours".
Bien sûr, le rappeur Youssoupha fut traîné devant les tribunaux par le même journaliste, en 2009, pour "menaces de crimes et injures publiques". Mais l’Africain "moyen", exempté de posture médiatique, soutient-il ses émigrés illégaux ?
Peu, si l’on considère, parmi les Africains résidants en Afrique, ceux qui ne sont pas directement concernés par les transferts d’argent d’un parent "diaspo".
Il n’existe pas de sondages d’envergure sur la question, mais la quasi-absence d’articles sur l’émigration meurtrière, dans la presse africaine, traduit sans doute le manque d’intérêt des lecteurs pour ces thèmes ; voire un certain agacement, face à ce qui est parfois considéré comme un lâche abandon du continent.
Écartelés, les expatriés africains seraient vus comme des Africains en France et des Français en Afrique.
Depuis quelques jours, un Africain de France essaie de creuser son sillon dans cette tourbe "zemmourienne" de l’édition française. Résident de la ville de Steenwerck, dans le Nord-Pas-de-Calais, Daxe Dabré publie "Je suis noir : j'ai honte...".
Burkinabè d’origine, arrivé en Picardie à l’âge de 16 ans, il témoigne aujourd’hui des difficultés des immigrés en France. Dans les interviews qu’il accorde, l’auteur enfile les poncifs comme des perles. C’est une foule aussi naïve que massive qui l’aurait accompagné à l’aéroport de Ouagadougou.
Si la France lui était présentée comme un évident "paradis" par son milieu d’origine, des "pizzas immangeables" lui auraient donné un avant-goût de l’enfer. "Choqué", il n’aurait jamais imaginé l’existence des escalators, la présence de racistes ou la culture de maïs en France.
Le sport – en particulier le baske t– serait le moyen privilégié de l’intégration. Écartelés, les expatriés africains seraient vus comme des Africains en France et des Français en Afrique.
Monsieur Dabré entend-il combattre les stéréotypes avec d’autres stéréotypes ? Dans une interview accordée à la “Voie du Nord”, il raconte qu’on lui demanda un jour s’il pouvait "ramener une griffe de lion" ou "parler africain". Dans le genre "clichés réducteurs", pas de quoi fouetter un… lion.
C’est au nom du déminage des tabous que le "procureur" Daxe Dabré aurait choisi, pour son ouvrage, un titre si cru. N’est-ce pas aussi le caractère racoleur de ladite titraille qui a garanti à cet auteur méconnu neuf réponses positives des dix maisons d'édition contactées ?
"Je suis noir : j'ai honte..." n’est peut-être qu’un titre, comme "je suis noir et je n'aime pas le manioc" de Gaston Kelman, mais avec la finesse en moins.
Et comme "Vive le Pen !" n’était censé être qu’un titre pour son auteur Robert Ménard. Juste avant que celui-ci ne soit soutenu, aux élections municipales, par le rassemblement politique des Le Pen.
________
Damien Glez
Jeune Afrique
L'oeil de Glez. © Damien Glez
En pleine polémique européenne sur l’immigration, Daxe Dabré n’a pas honte de publier le livre "Je suis noir : j'ai honte...". Aiguillon salutaire dans le débat ou ramassis de clichés ?
Les Européens, singulièrement les Français, vivent dans la crainte de deux vagues qu’ils ont tendance à considérer comme un tsunami jumelé : un raz-de-marée incontrôlable de migrants clandestins et une déferlante de malades d’Ebola.
La première angoisse est nourrie par une cohabitation tendue dans la jungle de Calais et par les passages en force plus ou moins réussis de migrants, à Melilla ou Lampedusa.
La seconde phobie est alimentée par la compréhensible dramatisation des médias, quand bien même le paludisme tue bien plus que la fièvre hémorragique. Bien plus mais ailleurs…
>> Lire aussi : Plus de 3 000 migrants ont péri en Méditerranée depuis début 2014
Rien d’étonnant, donc, que "Le suicide français" d'Éric Zemmour fasse un tabac en librairie. Qu’importe les approximations de ce journaliste au positionnement politique rare.
Sa mélancolie alarmiste et ses airs de Nosferatu s’insinuent dans l’esprit de la ménagère de moins de cinquante ans. Faudra-t-il attendre que la fiction humanise l’immigré, le film "Samba" d’Eric Toledano et Olivier Nakache grimant l’un des "Français préféré des Français" en sans-papiers ?
L’infusion des idées de Zemmour n’a-t-elle pas déjà gagné, si l’on ne réalise qu’après coup avoir écrit qu’il fallait "humaniser" des humains ?
Le personnage incarné par Omar Sy est le prototype de l’immigré subsaharien. Est-ce la couleur de peau du comédien qui est "raccord" avec le personnage ou est-ce sa famille sénégalo-mauritanienne qui l’homologue dans un rôle qui devrait être militant ? Pas sûr que l’identité africaine soit garante des meilleurs mémoires en défense des sans-papiers.
>> Lire aussi notre interview d'Omar Sy : "Je ne suis pas un acteur noir"
Bien sûr, le reggaeman Zêdess mettait les pieds dans le plat éditorial de l’auteur du “suicide français” en chantant "Tests ADN / Tests de la haine / Avec des journalistes comme Eric Zemmour, la France décomplexée a encore de beaux jours".
Bien sûr, le rappeur Youssoupha fut traîné devant les tribunaux par le même journaliste, en 2009, pour "menaces de crimes et injures publiques". Mais l’Africain "moyen", exempté de posture médiatique, soutient-il ses émigrés illégaux ?
Peu, si l’on considère, parmi les Africains résidants en Afrique, ceux qui ne sont pas directement concernés par les transferts d’argent d’un parent "diaspo".
Il n’existe pas de sondages d’envergure sur la question, mais la quasi-absence d’articles sur l’émigration meurtrière, dans la presse africaine, traduit sans doute le manque d’intérêt des lecteurs pour ces thèmes ; voire un certain agacement, face à ce qui est parfois considéré comme un lâche abandon du continent.
Écartelés, les expatriés africains seraient vus comme des Africains en France et des Français en Afrique.
Depuis quelques jours, un Africain de France essaie de creuser son sillon dans cette tourbe "zemmourienne" de l’édition française. Résident de la ville de Steenwerck, dans le Nord-Pas-de-Calais, Daxe Dabré publie "Je suis noir : j'ai honte...".
Burkinabè d’origine, arrivé en Picardie à l’âge de 16 ans, il témoigne aujourd’hui des difficultés des immigrés en France. Dans les interviews qu’il accorde, l’auteur enfile les poncifs comme des perles. C’est une foule aussi naïve que massive qui l’aurait accompagné à l’aéroport de Ouagadougou.
Si la France lui était présentée comme un évident "paradis" par son milieu d’origine, des "pizzas immangeables" lui auraient donné un avant-goût de l’enfer. "Choqué", il n’aurait jamais imaginé l’existence des escalators, la présence de racistes ou la culture de maïs en France.
Le sport – en particulier le baske t– serait le moyen privilégié de l’intégration. Écartelés, les expatriés africains seraient vus comme des Africains en France et des Français en Afrique.
Monsieur Dabré entend-il combattre les stéréotypes avec d’autres stéréotypes ? Dans une interview accordée à la “Voie du Nord”, il raconte qu’on lui demanda un jour s’il pouvait "ramener une griffe de lion" ou "parler africain". Dans le genre "clichés réducteurs", pas de quoi fouetter un… lion.
C’est au nom du déminage des tabous que le "procureur" Daxe Dabré aurait choisi, pour son ouvrage, un titre si cru. N’est-ce pas aussi le caractère racoleur de ladite titraille qui a garanti à cet auteur méconnu neuf réponses positives des dix maisons d'édition contactées ?
"Je suis noir : j'ai honte..." n’est peut-être qu’un titre, comme "je suis noir et je n'aime pas le manioc" de Gaston Kelman, mais avec la finesse en moins.
Et comme "Vive le Pen !" n’était censé être qu’un titre pour son auteur Robert Ménard. Juste avant que celui-ci ne soit soutenu, aux élections municipales, par le rassemblement politique des Le Pen.
________
Damien Glez
Jeune Afrique
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire