3 novembre 2014
Les émeutes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso de fin octobre, suivies de la démission de Blaise Compaoré, révèlent trois paradoxes.
Ils ne sont qu’apparents car derrière certaines interrogations se cachent en réalité de sévères disfonctionnements du système de pouvoir en Afrique de l’Ouest.
1. Blaise Compaoré a commis une erreur incompréhensible de la part d’un homme pourtant rompu à l’exercice du pouvoir et habile manœuvrier, souvent appelé à intervenir comme médiateur au Libéria, en Côte d’Ivoire et au Mali.
Comment a-t-il pu tomber dans le piège de tenter un passage en force, pour obtenir le droit de se présenter pour un cinquième mandat, par la voie parlementaire plutôt que d’affronter un référendum ?
Manquait-il à ce point de discernement ? Son système d’information était-il à ce point défaillant ? En réalité, ce n’est pas la première fois que l’ex-président burkinabé a montré qu’il était déconnecté du réel.
On se souvient des émeutes de policiers il y a quelques années, qu’il n’avait su anticiper et qui restent comme l’exemple le plus saillant de la fragilité de son pouvoir.
Trop longtemps président, entouré d’une oligarchie politique et affairiste qui tenait ses postes et ses richesses de lui, il a assurément été mal conseillé par ceux, qui craignaient de tout perdre avec son départ (mais qui seront prompts à pactiser avec le nouveau pouvoir pour préserver leurs prébendes).
2. Les jeunes qui, dans les rues de Ouagadougou, réclamaient la démocratie s’en sont pris à l’Assemblée nationale, incendiée et saccagée, censée pourtant être le symbole même de cette démocratie. Peut-être que sous sa forme parlementaire, ils n’en veulent pas.
Ni des « parlementeurs » du parti au pouvoir, ni de ceux de l’opposition qui, pour la majorité, d’entre eux sont des membres de l’oligarchie. Terrible rappel d’une évidence, la légalité des scrutins n’est pas la légitimité du pouvoir.
Déjà Thomas Sankara et ses capitaines, parmi lesquels Blaise Compaoré, l’avaient proclamé en 1982, en évinçant la clique des politiciens et des « en-haut-d’en-haut » et en voulant édifier les « pays des hommes intègres ».
La crise du parlementarisme africain est une évidence depuis le célèbre rap de Y-en-à-marre contre Abdoulaye Wade à Dakar : « Si le président t’oublie, oublie le président ! ».
On entendait le 28 octobre des slogans tels que « Blaise dégage ! » dans les rues de Ouagadougou, et un appel au « Printemps noir ».
Les « anocraties » (du grec akratia qui désigne les démocraties molles), installées depuis les indépendances africaines et qui ont jusqu’à présent satisfait les institutions internationales, ont la forme de la démocratie mais pas sa substance.
Elles procèdent à des élections ; elles ont des institutions formelles (police, armée, justice) mais elles restent vulnérables à la mauvaise gestion des affaires publiques, aux conflits sociaux. Inévitablement, les coalitions entre groupes rivaux sont changeantes et la vie politique est instable.
Une trentaine d’Etats africains sont dans cette situation de grande précarité.
3. Troisième paradoxe, l’armée est appelée à remettre de l’ordre. Et, en son sein, le plus populaire est un général, Kouamé Lougé, pourtant co-auteur du coup d’Etat avec Blaise Compaoré contre Thomas Sankara en 1987. Il fut son ministre de la Défense, jusqu’en 2003, avant d’être limogé.
L’histoire se répète, la « grande muette » réprime un jour les manifestants mais le lendemain sait prendre la parole quand il le faut.
Blaise Compaoré est parti assez lamentablement. Avant que la France ne l’aide à trouver une porte de sortie honorable dans une institution internationale ou comme médiateur de conflits.
Avec une culpabilité mal assumée, celle du meurtre du journaliste Norbert Zongo, retrouvé carbonisé avec ses camarades, en décembre 1998, alors qu’il enquêtait sur la disparition du chauffeur du frère du président. Un meurtre que les Burkinabé n’ont jamais oublié quand ils honorent la mémoire de Zongo par une manifestation pacifique chaque 13 décembre.
Il faut toujours se méfier de la mémoire du peuple, de l’eau qui dort mais aussi des attentes frustrées de la jeunesse.
La violence des émeutes, dans un pays pourtant connu pour être paisible, témoigne de la profondeur du malaise de la jeunesse burkinabé, une jeunesse africaine souvent qualifiée de « découragée » par les experts.
Elle constitue en réalité une bombe à retardement, tant elle est confrontée au déni d’avenir, trop tôt précarisée, avec une fierté lésée à force d’arpenter les couloirs de l’assistanat et du secteur informel.
Leurs ambitions stérilisées, les jeunes constituent naturellement le noyau le plus actif des protestataires.
_______________
Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS
Les émeutes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso de fin octobre, suivies de la démission de Blaise Compaoré, révèlent trois paradoxes.
Ils ne sont qu’apparents car derrière certaines interrogations se cachent en réalité de sévères disfonctionnements du système de pouvoir en Afrique de l’Ouest.
1. Blaise Compaoré a commis une erreur incompréhensible de la part d’un homme pourtant rompu à l’exercice du pouvoir et habile manœuvrier, souvent appelé à intervenir comme médiateur au Libéria, en Côte d’Ivoire et au Mali.
Comment a-t-il pu tomber dans le piège de tenter un passage en force, pour obtenir le droit de se présenter pour un cinquième mandat, par la voie parlementaire plutôt que d’affronter un référendum ?
Manquait-il à ce point de discernement ? Son système d’information était-il à ce point défaillant ? En réalité, ce n’est pas la première fois que l’ex-président burkinabé a montré qu’il était déconnecté du réel.
On se souvient des émeutes de policiers il y a quelques années, qu’il n’avait su anticiper et qui restent comme l’exemple le plus saillant de la fragilité de son pouvoir.
Trop longtemps président, entouré d’une oligarchie politique et affairiste qui tenait ses postes et ses richesses de lui, il a assurément été mal conseillé par ceux, qui craignaient de tout perdre avec son départ (mais qui seront prompts à pactiser avec le nouveau pouvoir pour préserver leurs prébendes).
2. Les jeunes qui, dans les rues de Ouagadougou, réclamaient la démocratie s’en sont pris à l’Assemblée nationale, incendiée et saccagée, censée pourtant être le symbole même de cette démocratie. Peut-être que sous sa forme parlementaire, ils n’en veulent pas.
Ni des « parlementeurs » du parti au pouvoir, ni de ceux de l’opposition qui, pour la majorité, d’entre eux sont des membres de l’oligarchie. Terrible rappel d’une évidence, la légalité des scrutins n’est pas la légitimité du pouvoir.
Déjà Thomas Sankara et ses capitaines, parmi lesquels Blaise Compaoré, l’avaient proclamé en 1982, en évinçant la clique des politiciens et des « en-haut-d’en-haut » et en voulant édifier les « pays des hommes intègres ».
La crise du parlementarisme africain est une évidence depuis le célèbre rap de Y-en-à-marre contre Abdoulaye Wade à Dakar : « Si le président t’oublie, oublie le président ! ».
On entendait le 28 octobre des slogans tels que « Blaise dégage ! » dans les rues de Ouagadougou, et un appel au « Printemps noir ».
Les « anocraties » (du grec akratia qui désigne les démocraties molles), installées depuis les indépendances africaines et qui ont jusqu’à présent satisfait les institutions internationales, ont la forme de la démocratie mais pas sa substance.
Elles procèdent à des élections ; elles ont des institutions formelles (police, armée, justice) mais elles restent vulnérables à la mauvaise gestion des affaires publiques, aux conflits sociaux. Inévitablement, les coalitions entre groupes rivaux sont changeantes et la vie politique est instable.
Une trentaine d’Etats africains sont dans cette situation de grande précarité.
3. Troisième paradoxe, l’armée est appelée à remettre de l’ordre. Et, en son sein, le plus populaire est un général, Kouamé Lougé, pourtant co-auteur du coup d’Etat avec Blaise Compaoré contre Thomas Sankara en 1987. Il fut son ministre de la Défense, jusqu’en 2003, avant d’être limogé.
L’histoire se répète, la « grande muette » réprime un jour les manifestants mais le lendemain sait prendre la parole quand il le faut.
Blaise Compaoré est parti assez lamentablement. Avant que la France ne l’aide à trouver une porte de sortie honorable dans une institution internationale ou comme médiateur de conflits.
Avec une culpabilité mal assumée, celle du meurtre du journaliste Norbert Zongo, retrouvé carbonisé avec ses camarades, en décembre 1998, alors qu’il enquêtait sur la disparition du chauffeur du frère du président. Un meurtre que les Burkinabé n’ont jamais oublié quand ils honorent la mémoire de Zongo par une manifestation pacifique chaque 13 décembre.
Il faut toujours se méfier de la mémoire du peuple, de l’eau qui dort mais aussi des attentes frustrées de la jeunesse.
La violence des émeutes, dans un pays pourtant connu pour être paisible, témoigne de la profondeur du malaise de la jeunesse burkinabé, une jeunesse africaine souvent qualifiée de « découragée » par les experts.
Elle constitue en réalité une bombe à retardement, tant elle est confrontée au déni d’avenir, trop tôt précarisée, avec une fierté lésée à force d’arpenter les couloirs de l’assistanat et du secteur informel.
Leurs ambitions stérilisées, les jeunes constituent naturellement le noyau le plus actif des protestataires.
_______________
Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire