jeudi 14 octobre 2010

RDC: Moïse Katumbi, seigneur du Katanga

Publié le 25/03/2010 Le Point
Par de notre envoyé spécial Marc Nexon
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Le jeu de jambes est saccadé, mais les balles claquent dans la raquette. Il est 17 heures. Le gouverneur entame sa partie de tennis. Un garçon du village juché sur une chaise haute ânonne les points. Au fond du court, les gardes du corps et des invités de marque ont pris place sur des chaises pliantes. Et, derrière le grillage, une nuée de gamins suivent du regard les baskets jaune fluo de l'homme le plus puissant du Katanga. Car c'est ici, à Kashobwe, son village natal, que Moïse Katumbi se ressource. Une bourgade de cases en boue séchée perdue à 350 kilomètres de Lubumbashi, au milieu des herbes hautes et des rivières infestées de crocodiles.
Le gouverneur sue à grosses gouttes, crache, éponge son crâne rasé. Mais domine son adversaire. Et ça l'énerve. « Tu ne joues pas ! lui lance-t-il. Je te donne 200 dollars si tu me bats ! » Le jeune s'enhardit. Mais perd à nouveau un jeu. « 300 dollars ! » lui crie l'homme aux chaussures étincelantes. Aussitôt récompensé d'un coup droit canon de son rival. « Ah ! l'argent... Ça offre tout ! » lâche le gouverneur en armant son service.
Pas faux. Ici, en République démocratique du Congo, Moïse Katumbi possède tout. La fortune, le pouvoir et même la popularité. Au point d'apparaître comme le futur président du pays. Sa force ? La mainmise sur un coffre fort : la richissime province du Katanga, vaste comme la France, gorgée de minerais et capable d'assurer 80 % des recettes de l'ancienne colonie belge. Un territoire rebelle... Jadis terre d'élection des mercenaires, théâtre d'une sécession au lendemain de l'indépendance, puis d'un parachutage des légionnaires français du 2e REP sur Kolwezi en 1978. Et pillé de tout temps. Aujourd'hui éventré par des concessions minières belges, australiennes, sud-africaines et, surtout, chinoises, couvrant un tiers de sa superficie et renfermant le graal des nouvelles technologies : le cobalt (34 % des réserves mondiales), le cuivre (10 %), l'or, l'étain, l'uranium.
Qui possède le Katanga détient le plus précieux royaume d'Afrique. Or son roi s'appelle Moïse Katumbi, 45 ans, yeux verts et nez d'aigle, élu gouverneur en 2007. Un métis, fils d'une mère congolaise et d'un père juif italien originaire de l'île de Rhodes, installé au Katanga depuis l'entre-deux-guerres.
Une fortune de 60 millions de dollars. Le jeune Moïse y grandit. « Quand on jouait au foot, il nous donnait toujours du poisson attrapé par son frère » , se souvient Eric Monga, un copain d'enfance. A 17 ans, il monte sa compagnie de pêche. A 21 ans, il gagne son premier million de dollars. Puis se lance dans l'exploitation minière, avant de s'exiler en Zambie. Il revient en 2004, « acclamé comme Michael Jackson » , se plaît-il à raconter. Il crée alors la société MCK (Mining Company Katanga) et participe à la privatisation de la Gécamines, la société d'Etat des mines.
De quoi bâtir une fortune estimée à 60 millions de dollars. Et s'offrir une campagne électorale. Avec une ambition : sortir de la misère sa province, où la moitié de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Sa méthode ? « Un mélange de Chavez et de Berlusconi » , dit Thierry Michel, auteur d'un film sur la région ( « Katanga Business » ). Un populisme arrosé de dollars. Car l'homme ne se déplace jamais sans une ou deux liasses logées au fond de ses poches.
Il suffit de le suivre lors d'une visite de ses champs de maïs à bord de son 4 x 4 Land Cruiser. « Si tous les politiciens cultivaient comme moi, le pays exporterait des céréales au lieu d'en importer » , dit-il. Soudain, un paysan surgit de la brousse, un canard sauvage au bout du bras. Et hop ! 100 dollars pour le prix de la bête aussitôt ficelée dans le coffre. Plus loin, une femme en pagne allaite ses deux jumeaux au bord d'un chemin de terre. Il pile. « Deux enfants, c'est 200 dollars ! » s'exclame-t-il. Et voilà la mère gratifiée d'une obole équivalant à trois mois de revenus, sous les yeux ahuris de ses voisins.
Moïse est ainsi. Il distribue. 3 000 matelas pour les hôpitaux, 25 ambulances, 13 corbillards, 3 frigos mortuaires, 220 tracteurs, 150 taxis, 50 000 bancs d'école... Le tout, jure-t-il, sur sa cassette personnelle. Le 1er janvier dernier, il offre même à l'évêque de Lubumbashi les clés de contact de deux Jeep neuves jaune champagne. « Le Seigneur vous le rendra à sa juste mesure » , lui répond le prélat. Il fait aussi asphalter plus de 200 kilomètres de routes, évacuer les ordures, poser des lampadaires et même livrer des radars mobiles aux policiers ! Mais sa plus grande fierté, c'est la collecte des taxes minières. Décuplée grâce à ses opérations « Mains propres » menées aux postes de douane.
Robin des bois. Car l'intéressé a aussi gagné son élection sur un thème : la lutte contre la corruption. « Ses poches étaient plus grandes que son pantalon ! » dit-il de son prédécesseur. « A mon arrivée, un fonctionnaire a voulu me remettre un chèque de 60 000 dollars. Furieux, je l'ai renvoyé, alors il a cru que je voulais du cash et il est revenu avec des coupures » , raconte-t-il en riant. Du coup, il « nettoie » le gouvernorat. Finis les 1 500 casiers de bière distribués gratuitement chaque mois. Finis aussi les 30 litres d'essence livrés quotidiennement à chaque fonctionnaire, propriétaire ou non d'une voiture.
Katumbi sévit. Il menace également de fermer les entreprises minières chinoises, accusées de sous-payer la main-d'oeuvre locale. « Il vaut mieux ne pas être en pétard avec lui » , admet Paul Franssen, secrétaire général de l'entreprise Forrest, un groupe minier présent depuis l'époque du Congo belge.
Un Robin des bois des Tropiques ? Pas si vite... Certes, l'homme à l'allure sportive, coiffé de son chapeau de cow-boy, tranche avec les costumes croisés et les ventres replets de ses homologues. Mais ses initiatives retombent parfois comme des soufflés. « Tout est improvisé et le suivi n'existe pas » , déplore Timothée Mbuya, vice-président de l'Asadho, une association de défense des droits de l'homme. Il n'y a qu'à se rendre au grand hôpital Sendwe à Lubumbashi. Les matelas ? Plutôt des sommiers métalliques sur lesquels gémissent des vieillards. Les ambulances ? Disparues. Désossées. L'une d'entre elles, ciglée « Don de Moïse », repose sur quatre cales, sans roues. Le corbillard ? Sur le flanc, moteur à terre. « On n'avait pas de pièces de rechange » , s'excuse Jean Mouteba, l'employé chargé de la sécurité. Dans les champs, même sort réservé aux tracteurs. Quant aux taxis Toyota, dont la télévision locale vantait « la fraîche arrogance du luxe et du confort » , la plupart dorment sous la poussière sur le parking du gouvernorat.
Il faut aussi pousser jusqu'au poste de douane de Kasumbalesa, à la frontière zambienne. Ici transitent chaque jour 200 semi-remorques bâchés, chargés de vivres et, surtout, de minerais en route vers la Tanzanie ou l'Afrique du Sud.
Pots-de-vin. Un chaudron avec ses prostituées sirotant des bières, ses petits trafiquants courbés sous le poids des sacs de farine ou de riz et ses douaniers peu regardants. La bascule destinée à peser les camions ? En panne. L'ordinateur chargé de leur suivi ? En panne aussi. « Les pots-de-vin ont sensiblement diminué » , assure Dido Bosekompanda, le sous-directeur de l'office des douanes, portant chaussures en croco et bracelet en or... Avant de s'éloigner discrètement. « Ces trois camions, tu les laisses passer... » , glisse-t-il au téléphone, persuadé de ne pas être entendu.
Mais il y a plus gênant. Les entreprises du gouverneur bénéficieraient d'un traitement de faveur. Et, notamment, les camions rouges de sa compagnie de transport. « Ils passent la frontière sans problème et moi, ça fait six jours que j'attends ! » râle Augustin, un chauffeur assis sur le pare-chocs de son poids lourd. « J'ai vu des fonctionnaires des impôts effacer cinq zéros du montant des taxes dues par les sociétés de Katumbi ! » accuse un avocat d'affaires. Car le gouverneur n'a jamais décroché du business. Depuis son élection, c'est sa femme, Karine, 35 ans, ancienne banquière, qui gère les contrats. « Elle ouvre et ferme les valises de billets » , raconte un témoin.
« C'est notre papa ! »En 2002, le gouvernement zambien a engagé des poursuites contre Katumbi, accusé d'avoir détourné plusieurs millions de dollars dans une affaire de vente d'armes. « Faux ! Ce sont eux qui me doivent de l'argent , proteste-t-il, ils ont pillé les dix-huit maisons que je possédais là-bas et m'ont volé des émeraudes d'une valeur de 13 millions de dollars ! »
Qu'importe. Chez lui, Moïse est vénéré. Surtout parmi les 250 000 « creuseurs artisanaux » employés illégalement dans les mines. « C'est notre papa ! » claironne Laisy, l'un d'entre eux, les bottes enfoncées dans la terre brune d'une carrière de Likasi. «  Sans lui, il y a longtemps que les compagnies minières nous auraient chassés », poursuit-il, la lampe de poche fixée au-dessus de l'oreille, prêt à plonger dans une galerie noire.
Sa popularité, Katumbi la doit aussi à un puissant catalyseur : le football. Une passion qu'il assouvit depuis 1992, aux commandes du club mythique du Katanga, le Mazembe TP , parvenu l'an passé à gagner la coupe des Clubs champions d'Afrique. « Il s'occupe de tout , raconte l'entraîneur Diego Garzitto, des transferts, de la couleur des maillots. Je lui envoie même la composition de l'équipe par SMS et j'attends son accord. » Moïse impose également un rituel avant chaque match : la lecture d'un passage de la Bible dans le vestiaire. A tour de rôle, les joueurs s'y collent. Même le ministre des Sports !
Une réussite jalousée par Kin-shasa. Pour l'heure, le président Joseph Kabila se tait, convaincu que Katumbi roulera pour lui lors de la prochaine présidentielle. En revanche, ses ministres éructent. « Il faut qu'il arrête de se prendre pour le président, celui-là ! » vocifère un jour le vice-ministre de l'Intérieur, furieux de ne pas être accueilli à l'aéroport et de devoir se rendre à la partie de tennis du gouverneur.
De quoi attiser les haines. L'intéressé a ainsi échappé à deux tentatives d'attentat. Il y a deux ans, un sabotage contraint son avion à atterrir sur le ventre. Une autre fois, un tireur est arrêté sur la piste de l'aéroport de son village natal. Depuis, Moïse porte un gilet pare-balles. « Même son chapeau est équipé d'un blindage » , affirme un journaliste local.
« Champagne ! »L'homme craint aussi les tentatives d'empoisonnement à travers la nourriture ou d'éventuelles poudres déposées sur les poignées de porte. La rumeur prétend qu'il renouvelle son sang tous les trois mois.
« Je ne vivrai qu'une fois, alors je profite », dit-il. De fait, Katumbi mène grand train. Il raffole des grosses cylindrées. Et, notamment, des Mercedes, dont il commande tous les derniers modèles. « En Belgique, je l'ai vu s'arrêter dans une concession et acheter trois 4 x 4 en dix minutes ! » raconte un industriel. Et lorsqu'il se rend pour deux semaines à Abou Dhabi avec sa famille et ses quatre fils étudiants nés de deux précédents mariages, il réserve deux suites à 6 000 dollars. Les bambins réclament des souvenirs ? Qu'à cela ne tienne. Il leur loue une Rolls et un chauffeur pour une séance de shopping à Dubai.
Cet après-midi, à Kashobwe, c'est l'heure de la pêche. Moïse s'allonge sur la banquette de son hors-bord. « Apporte le champagne ! » lance-t-il à l'un de ses gardes. Le bateau quitte le ponton de sa luxueuse résidence. Et, déjà, des pirogues approchent avec à leur bord des pêcheurs, torse nu, exposant leur prise. Moïse se redresse. Exige deux poissons bien gras. Et tâte la poche de son short à la recherche d'un billet de 100 dollars. Pas de chance ! Les coupures sont restées à terre. Il porte alors sa coupe de champagne aux lèvres... Pour la première fois de la journée, chagriné de ne pouvoir offrir sa bénédiction habituelle
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