samedi 11 décembre 2010

Cinquante ans après : L’Occident veut rééditer le complot contre Lumumba

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In Le Nouveau Courrier N°151 du 10 Décembre 2010 par Philippe Brou

Gbagbo seul contre tous. Seul contre l’ONU, l’ancienne puissance colonisatrice (la France) et la première puissance mondiale, les Etats-Unis. Les puissants de ce monde ont décidé la perte du chef de l’Etat ivoirien. Pour le renverser, des moyens inédits sont utilisés, qui n’ont jamais été mis en œuvre dans l’histoire des relations entre Nations. Pourquoi ?

«Il n’y a rien de nouveau sous le soleil», disent les Saintes Ecritures. Quel dirigeant africain a-t-il fait l’objet d’un acharnement international comparable depuis les soleils des indépendances ? Idi Amin Dada ? Non. Mobutu Sese Seke ? Non. Hissène Habré. Encore moins. L’exemple le plus parlant d’une victime des assauts de la «pieuvre» est bel et bien… Patrice Lumumba, le premier Premier ministre belge.

Nationaliste, digne et fier, Lumumba refuse de glorifier et de perpétuer le colonialisme belge quand il arrive aux affaires. Le 30 juin 1960, à l’occasion de la célébration de l’indépendance du Congo, il met les pieds dans le plat.

«Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres...Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loi n'était jamais la même, selon qu'il s'agissait d'un blanc ou d'un noir...Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d'injustice ?», dit Lumumba dans son discours officiel, devant un roi des Belges qui vire au rouge.

Les forces onusiennes, arme de déstabilisation

La «nébuleuse» utilise contre Lumumba une première arme : des mutineries de factions de l’armée, qui éclatent le 4 juillet et le 10 juillet 1960. Comme en Côte d’Ivoire. Ces mutineries ne sont que la première étape d’une machine sécessionniste. Comme en Côte d’Ivoire en 2002. La province du Katanga se rebelle et fait dissidence, proclamant son indépendance. Les mutineries, téléguidées par l’ancien colonisateur, continuent. Pour sortir du piège colonial, Lumumba fait appel aux forces onusiennes, dont la neutralité supposée contrebalancerait la nocivité des Belges. C’est le même calcul que la Côte d’Ivoire a fait en accueillant l’ONUCI, moins nuisible – sur le papier – que la Force Licorne. Mais l’ONU signe un accord avec les sécessionnistes katangais, dirigés par Moïse Tshombe. Un pacte de non-agression. Censé venir rétablir l’intégrité territoriale d’un Etat membre, l’ONU devient l’ami voire le protecteur des dissidences. Comme en Côte d’Ivoire, où les rebelles de Guillaume Soro pavoisent aujourd’hui dans leur treillis à l’hôtel du Golf, protégés par l’impressionnante armada de l’ONUCI.

Pendant ce temps, le Congo gouvernemental connaît une crise institutionnelle orchestrée par la communauté internationale, qui dresse Kasavubu contre Lumumba, l’un s’amusant à destituer l’autre, jusqu’à ce que Mobutu prenne le pouvoir pour le remettre officieusement à l’Occident.

Coïncidence troublante

Coïncidence troublante : le destin tragique de Lumumba, martyr de la «communauté internationale», s’est joué il y a exactement cinquante ans. C’est dans la nuit du 27 au 28 novembre 1960 (c’est-àdire 50 ans avant le second tour de la présidentielle ivoirienne) que le piège s’est refermé sur lui : la communauté internationale le guette, son armée a été retournée, et ses rivaux politiques sont dressés contre lui par la Belgique, les Etats-Unis et l’ONU. Il fuit Léopoldville (actuelle Kinshasa) pour se réfugier à Stanleyville – aujourd’hui Kisangani. Le 17 janvier 1961, il est exécuté par des mains congolaises actionnées par les maîtres du monde.

A l’époque, la presse occidentale maudissait Lumumba, héros des indépendances africaines, et glorifiait Mobutu, homme des pays riches, rétrograde et dangereux pour son pays. Les voix qui dénonçaient le complot contre Lumumba étaient discréditées, et les bien-pensants évoquaient leur «paranoïa». Puis, le temps est passé. Des télégrammes diplomatiques américains ont «fuité» en 1982. Et ont révélé la vraie histoire.

Lumumba a ainsi fui Kinshasa pour Kisangani parce qu’il avait été trompé par un agent de la CIA. Arrivé le 3 novembre en RDC, sa mission était claire : «Faire sortir Lumumba, si possible par un stratagème, le capturer, puis le remettre aux autorités congolaises et le laisser passer en un jugement… où il y aurait de très fortes chances pour qu’il soit condamné à la peine capitale». Pourquoi tant de haine ? «Etant donné que le gouvernement Lumumba menace nos intérêts vitaux au Congo et en Afrique, l’objectif principal de notre action politique et diplomatique doit être sa destruction», écrivait le 19 juillet 1960 William Burden, ambassadeur des Etats-Unis en Belgique. «C’est un individu avec lequel il est impossible de traiter», disait pour sa part le sous-secrétaire d’Etat américain Douglas Dillon, dans la même année. Le 18 août 1960, Lumumba est qualifié, lors du National Security Council américain, de «danger pour la paix et la sécurité du monde». Un témoin a raconté par la suite : «A un certain moment, le Président Eisenhower a dit quelque chose que j’ai compris comme un ordre pour assassiner Lumumba.»

Cinquante ans plus tard, les loups qui ont tué Lumumba pour défendre de sordides intérêts, jetant pour un demi-siècle la RDC, pays potentiellement le plus riche d’Afrique, dans les mains de dirigeants crapuleux à leur solde, se sont-ils transformés en agneaux dépensant des centaines de millions de dollars pour les beaux yeux d’Alassane Ouattara et de la «démocratie» ? La question ne peut être éludée par un hochement d’épaules. Cinquante ans après le meurtre de Lumumba, le match retour entre l’impérialisme occidental et l’Afrique digne se terminera-t-il à l’avantage de cette dernière ? Les yeux de nombre d’Ivoiriens se lèvent vers les cieux, d’où viendra, ils en sont persuadés, l’improbable et pourtant possible victoire.

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