Par Pierre Haski | Rue89 | 18/12/2010 | 15H46
Nicolas Sarkozy lui avait donné trois jours pour quitter le pouvoir : le président ivoirien se pose en victime de l'ancien colonisateur.
La réponse n'a pas tardé : c'est non. Vendredi, Nicolas Sarkozy a lancé, depuis Bruxelles, un ultimatum à Laurent Gbagbo pour qu'il quitte le pouvoir en Côte d'Ivoire « avant la fin de la semaine ». Samedi, Laurent Gbagbo a demandé le départ des troupes des Nations unies stationnées en Côte d'Ivoire, dont un millier de Français de l'opération Licorne. Et affirmé qu'il accomplirait son mandat contesté de président de la République.
La proclamation du gouvernement a été lue sur les antennes de la Radio télévision ivoirienne (RTI), aux mains des partisans de Gbagbo, qui bloquent tous les médias d'opposition, indépendants ou étrangers :
« Le président de la République de Côte d'Ivoire vient de demander le départ immédiat du territoire ivoirien de l'Onuci et des forces françaises qui la soutiennent. Cela implique que le gouvernement ivoirien s'oppose d'ores et déjà au renouvellement de cette opération qui expire le 20 décembre 2010. »
Avec cette demande de retrait, Gbagbo joue son va-tout
Cette demande a d'autant plus de signification que ce sont les casques bleus qui assurent actuellement la protection de l'Hôtel du Golf, à Abidjan, où sont retranchés Alassane Ouattara, l'« autre » président de la Côte d'Ivoire, celui que reconnait la communauté internationale, et son « premier ministre », Guillaume Soro.
Le départ des casques bleus risquerait d'entraîner un affrontement entre les forces favorables à Laurent Gbagbo et les éléments des Forces nouvelles qui défendent Ouattara et Soro.
Avec cette prise de position tranchée, Laurent Gbagbo joue son va-tout, au risque de se couper définitivement du reste du monde.
Les Nations unies, l'Union européenne, les Etats-Unis, l'Union africaine et la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ont adopté la même attitude, qui est de demander à Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite au deuxième tour de l'élection présidentielle, et de céder la place à Alassane Ouattara.
Gbagbo veut profiter du ressentiment contre la France
Laurent Gbagbo a décidé de jouer la carte du nationalisme ivoirien et du panafricanisme, pour accuser le reste du monde de vouloir imposer un candidat accusé de ne pas être tout à fait ivoirien (il a des origines burkinaises même s'il a déjà été premier ministre de Côte d'Ivoire), et d'être un ancien haut fonctionnaire du FMI.
Il entend s'appuyer sur un sentiment anti-français assez largement répandu désormais en Afrique francophone, et du capital d'antipathie naturelle que s'est constitué la personnalité de Nicolas Sarkozy depuis son discours de Dakar, en 2007, et sa sortie sur « l'homme africain [qui] n'est pas entré dans l'histoire ».
De ce point de vue, c'est sans doute une énorme erreur que ce soit le président français qui ait lancé cet ultimatum à Laurent Gbagbo, car le diktat de l'ancienne puissance coloniale permet à Laurent Gbagbo de se draper (abusivement) dans son habit neuf de la résistance de l'Afrique à ses anciens maîtres, et espérer apparaître ainsi comme « martyr » du panafricanisme.
Les soldats de l'ONU pris pour cible dans la nuit
Quoi qu'il en soit, un engrenage infernal est bel et bien lancé en Côte d'Ivoire.
Lundi, les conséquences de ce refus de Gbagbo seront tirées à Bruxelles, où seront adoptées une première série de sanctions contre le président sortant ivoirien et son entourage, qui ne pourront sans doute plus quitter leur pays sans être arrêtés, avec le risque de poursuites devant la Cour pénale internationale (CPI).
Mais sur place, le principal risque est celui de la violence. Après les affrontements de jeudi, qui ont fait de vingt à trente morts à Abidjan, c'est la force de l'ONU qui a été victime de tirs dans la nuit de vendredi à samedi, sans faire de victimes.
Photo : des casques bleus en patrouille dans les rues d'Abidjan (Luc Gnago/Reuters)
Pour comprendre les événements sur le terrain, voir la carte d'Abidjan, avec les principaux lieux stratégiques.
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