lundi 20 décembre 2010

Si la communauté internationale reste plus longtemps les bras croisés face au drame ivoirien, elle va se retrouver sur la sellette. Comme ce fut le cas après le génocide rwandais.

17.12.2010 | Abdou Faye | Kotch

Le corps d'un homme dans le quartier d'Abobo, à Abidjan, le 17 décembre 2010.
Corps d'un homme dans le quartier d'Abobo, à Abidjan, le 17 décembre 2010.

En 1994, lors du génocide rwandais, Roméo Dallaire commandait la MINUAR (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda), la force de l’ONU qui était chargée de maintenir la paix dans ce pays, mais qui allait se déshonorer en laissant se perpétuer l’une des plus grandes tragédies contemporaines : le génocide des Tutsis et des Hutus modérés, qui fit plus de 800 000 morts. Traumatisé par cette expérience, ce général canadien, pour solder ses comptes avec ses démons intérieurs, a publié un livre au titre choc : “J’ai serré la main du diable”.

Dans cet ouvrage sont mis à nu les atermoiements, les hésitations, le manque de compassion, bref, en un mot la lâcheté de la communauté internationale. Pour les puissances occidentales, ce qui se passait au Rwanda n’était qu’une guerre tribale comme l’Afrique en était coutumière. Pis, la complexité des règles d’engagements de l’ONU en fait une force peu dissuasive pour les boutefeux. En Côte d’Ivoire, la communauté internationale va-t-elle laisser une nouvelle fois un pays africain sombrer dans une guerre civile aux conséquences incalculables ?

Avec un pays coupé en deux blocs ethnico-religieux antagonistes qui font redouter le pire, la Côte d’Ivoire n’a jamais été aussi proche du Rwanda. Et le déferlement de haine déversé à longueur de journée sur la Radio-Télévision ivoirienne (RTI), que les partisans du président Ouattara veulent contrôler, n’a rien à envier à la tristement célèbre Radio des milles collines, qui a joué un rôle moteur dans l’extermination des Tutsis avec ses appels quotidiens au meurtre.

Au Rwanda il s’agissait hier d’écraser les “Inyenzi”, c’est-à-dire les Tutsis, qu’on avait réduits au rang de “cafards” pour mieux les déshumaniser et légitimer leur assassinat à grande échelle. On n’en est pas encore là à Abidjan, mais on n’en est pas loin quand on sait qu’Alassane Ouattara n’est plus désigné que par le terme “Mossi” [membre de l’une des ethnies les plus influentes du Burkina Faso ; certains adversaires d’Alassane Ouattara l’accusent d’être burkinabé] par les extrémistes du camp Gbagbo.

Plus de deux semaines après la proclamation de sa victoire, reconnue par la quasi-totalité des Etats du monde [selon la Commission électorale indépendante ivoirienne et les Nations unies, Ouattara a recueilli 54,1 % des suffrages lors du deuxième tour de la présidentielle, organisé le 28 novembre], le président élu reste confiné dans son réduit de l’Hôtel du golf à Abidjan. Une situation intenable, car chaque jour qui passe est un sursis pour Laurent Gbagbo [au pouvoir depuis 2000] et une gifle assénée à la communauté internationale.

C’est devant cette incurie que Ouattara et le Premier ministre Guillaume Soro [celui de Ouattara, car Gbagbo a lui aussi nommé un Premier ministre] ont pris la décision contestable d’appeler leurs partisans à une marche à l’issue, hélas, prévisible [les affrontements à Abidjan ont fait le 16 décembre une dizaine de victimes ; selon Amnesty International, des civils désarmés ont été abattus par des hommes en armes ; Alassane Ouattara avait invité ses partisans à marcher sur le siège de la Radio-Télévision ivoirienne].

En effet, plusieurs fois, la soldatesque de Laurent Gbagbo, chauffée à blanc par un discours haineux et xénophobe, n’a pas hésité à tirer dans le tas. Le 16 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a mis en garde les auteurs d’attaques contre des civils : “Les membres du Conseil de sécurité avertissent toutes les parties que ceux qui seront tenus pour responsables d’attaques contre des civils seront traduits en justice, en accord avec la loi internationale.”

On se souvient ainsi de la répression féroce de manifestations de l’opposition et des “escadrons de la mort”. Des proches de Laurent Gbagbo sont accusés d’avoir fait disparaître des “ennemis du régime”, notamment le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer. Avec ces crimes impunis, on comprend aisément que les mises en garde du procureur Luis Moreno-Ocampo menaçant de poursuites devant la Cour pénale internationale les responsables de tueries soient restés jusque-là sans effets. L’ONU ne peut plus tergiverser. Son autorité est défiée par un autocrate : Laurent Gbagbo a prouvé qu’il était déterminé à s’accrocher à son fauteuil quitte à provoquer dans son pays un bain de sang. L’ONU et la communauté internationale doivent prendre leurs responsabilités.


Haro sur l’Occident

La crise postélectorale en Côte d’Ivoire est un phénomène africain révélateur de l’incapacité des Africains à assumer la démocratie à l’occidentale et de la nécessité pour eux de penser leur propre organisation sociopolitique. Mais elle est surtout aggravée par une immixtion quasi permanente des puissances occidentales dans les affaires africaines.

Le fait que la Cour constitutionnelle soit seule habilitée à proclamer, sans aucun recours possible, les résultats définitifs des élections (à la suite des commissions électorales dans la quasi-totalité des Constitutions des pays anciennement colonies françaises) est un véritable casse-tête électoral. Il va sans dire que beaucoup de présidents sont ipso facto élus par des Cours constitutionnelles. Et les politiciens ne le savent que trop bien. Eux qui font tout pour s’attacher le soutien des Cours constitutionnelles ou des commissions électorales.

Le problème, en Côte d’Ivoire, n’est pas en soi que Laurent Gbagbo ou Alassane Ouattara ait été élu et qu’il y ait crise post-électorale. Cela n’est que monnaie courante en Afrique. Le véritable problème demeure ce que l’on continue d’appeler pompeusement la communauté internationale et qui n’est en fait qu’un agrégat de puissances occidentales qui jouent les gendarmes en Afrique au gré de leurs intérêts.

Serge Félix N’Piénikoua
Le Bénin aujourd’hui, Cotonou

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