Écrit par Gooré Bi Hué Mardi 28 Décembre 2010 06:
L’information est tombée ce jeudi 23 décembre, ébranlant à juste titre bien des Ivoiriens. Un conseil extraordinaire des ministres des finances de sept des huit membres (la Côte d’Ivoire n’ayant pas été associée) de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), tenu ce même jour dans la capitale bissau-guinéenne décide de s’aligner sur la position de la Cedeao, en ne reconnaissant en Côte d’Ivoire qu’Alassane Ouattara comme président.Et ce faisant, il recommande à la Bceao, l’institut d’émission de l’espace Uemoa de reconnaître désormais pour signature officielle, celle de l’ex-premier ministre de Côte d’Ivoire. Le décor est ainsi planté : la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest est pressée par l’Uemoa de s’inviter dans la crise postélectorale ivoirienne.
La réaction du gouvernement légal ivoirien, formé bien sûr, par le Président de la République reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel, Laurent Gbagbo, n’a pas tardé. Par son porte-parole, le ministre de l’Equipement et de l’Assainissement, Ahoua Don Mello, il a rappelé « qu’il n’y en Côte d’Ivoire qu’un seul et unique Président de la République, S.E.M. Laurent Gbagbo qui a été proclamé élu par le Conseil constitutionnel conformément aux dispositions de la loi électorale de la République de Côte d’Ivoire et a prêté serment dans les formes prescrites par la Constitution ivoirienne ». Il a jugé les décisions arrêtées par le conseil des ministres de l’Uemoa « d’illégales et manifestement hors de sa compétence ». Mieux, « le gouvernement de la République de Côte d’Ivoire rappelle que la crise que vit le pays depuis la fin de son processus électoral est essentiellement politique et n’est nullement du ressort de l’Union économique et monétaire….En tout état de cause, le gouvernement tient à rassurer le public que toutes les dispositions sont prises pour faire face à toutes les situations».
Libre adhésion, retraite libre
Au fait, la décision prise par le conseil des ministres de l’union d’inviter la Banque centrale dans le débat politique ivoirien suscite une série de questions : quels sont les principes fondateurs de l’Uemoa ? Comment son économie et son système monétaire fonctionnent-ils ? Est-il déjà advenu une telle situation dans cet espace communautaire ? L’Uemoa, faut-il le rappeler, a été créée le 10 janvier 1994 en même temps que la dévaluation du Fcfa, monnaie unique en partage entre huit pays que sont la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Bénin, le Togo, le Sénégal, le Mali, le Niger, et la Guinée-Bissau.
Avant cette union qui cumule dimensions économiques et monétaires était d’abord une union monétaire. Au lendemain des indépendances, les six pays que sont Côte d’Ivoire, Dahomey (devenu Bénin), Haute-Volta (devenu Burkina Faso), Niger, Sénégal et Togo, « conscients de la profonde solidarité de leurs Etats et persuadés qu’elle constitue l’un des moyens essentiels d’un développement rapide en même temps qu’harmonisé de leurs économies nationales », décide de créer, le 12 mai 1962 « L’Union monétaire ouest-africaine » ou Umoa. Son traité met l’accent sur la reconnaissance d’une même unité monétaire dont l’émission est confiée à un institut d’émission commun prêtant son concours aux économies nationales, sous le contrôle des gouvernements. Ce traité de l’Umoa est complèté, en 1994, par celui de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). En son article 2, ce traité stipule que « Tout Etat africain peut, sur demande adressée à la Conférence des Chefs d’Etat de l’Union, être admis à l’Union monétaire ouest- africaine… ». En son article 3, il souligne que « Tout Etat membre de l’Union peut s’en retirer. Sa décision doit être notifiée à la Conférence des Chefs d’Etat de l’Union. Elle entre en vigueur de plein droit 180 jours après sa notification. Ce délai peut, cependant, être abrégé d’accord parties… ». En clair l’adhésion à cette union monétaire est libre, le retrait également. Toutefois, une question fondamentale : peut-on en être exclu ? Voilà ce que répond le traité en son article 4 : «Les Etats membres s’engagent, sous peine d’exclusion automatique de l’Union, à respecter les dispositions du présent traité, du traité de l’Uemoa et des textes pris pour leur application ; notamment en ce qui concerne les règles génératrices de l’émission, la centralisation des réserves monétaires, la libre circulation des signes monétaires et la liberté des transferts entre Etats de l’Union, etc. »
En son Titre II, article dudit traité, il est indiqué que la Conférence des Chefs d’Etat est l’autorité de l’Union, décide de l’adhésion de nouveaux membres, prend acte du retrait et de l’exclusion des membres et fixe le siège. « La conférence des Chefs d’Etat tranche toute question n’ayant pu trouver une solution par accord unanime du conseil des ministres de l’Union et que celui-ci soumet à sa décision ». Et cet article 5 de poursuivre, les décisions de la Conférence, dénommées « actes de la Conférence », sont prises à l’unanimité.
Unanimité dans la prise de décision
Cet article amène à se demander, si la décision du conseil des ministres à laquelle la Côte d’Ivoire n’a pas participé, peut être considérée comme « unanime », et ne mérite pas d’être portée devant la Conférence des Chefs d’Etat de l’Uemoa. Car, en son article 11, le traité de l’Union stipule que « le conseil des ministres arrête à l’unanimité les décisions dans les matières dévolues à sa compétence par les dispositions du présent traité et des statuts de l’institut d’émission commun qui lui sont annexés ». Dans les dispositions de ce traité relatives à l’institut d’émission commun, c’est-à-dire la Bceao, il est écrit ceci : «La Banque centrale est régie par les statuts annexés au présent traité. Les dispositions de ces statuts pourront être modifiées par le conseil des ministres de l’Union, selon l’avis unanimement exprimé par le Conseil d’administration de la Banque centrale ». La Banque centrale compte 16 administrateurs dont 2 Français. In fine, la bataille de la reconnaissance ou non des représentants nommés par le Président Laurent Gbagbo et ceux de l’ex-premier ministre Alassane Ouattara trouve son sens ici. En effet, les décisions du conseil des ministres des finances doivent requérir l’avis unanime des administrateurs de la Banque.
Au regard des textes sus indiqués, il apparaît que le principe de solidarité des Etats membres, facteur essentiel devant guider l’union est mis à rude épreuve. De quoi se demander si les sept autres Etats membres mesurent la portée de l’initiative en cours. Garantit-elle l’avenir de l’Uemoa au cas où les institutions actuelles de la Côte d’Ivoire n’étaient pas évincées en dépit de toutes les pressions entendues et à venir ? Question à méditer. Car, la Côte d’Ivoire représente 40% du produit intérieur brut et autant des réserves déposées dans le compte d’opération au Trésor public français. Qu’adviendra-t-il si la Côte d’Ivoire se retire, conformément à l’article 2 du traité instituant l’Uemoa?
GOORE BI HUE
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