lundi 4 avril 2011

La France plonge dans la bataille d'Abidjan contre Gbagbo


Par Pierre Haski | Rue89 | 05/04/2011 | 01H06

La France est entrée de plein pied dans la guerre civile ivoirienne, lundi, en bombardant au nom des Nations Unies les positions du président sortant Laurent Gbagbo à Abidjan. Mardi matin, des tirs à l'arme lourde étaient toujours entendus dans Abidjan après cette offensive déclenchée lundi.
La décision d'engager les forces françaises, en particulier des hélicoptères de combat qui sont entrés en action dans la soirée, a été prise par Nicolas Sarkozy à l'Elysée, après intervention « urgente » du Secrétaire Général de l'ONU, Ban Ki-Moon,la veille.
Les hélicoptères ont visé plusieus cibles dans la métropole ivoirienne, dont la résidence de Laurent Gbagbo dans le quartier de Cocody, le palais présidentiel, situé dans le quartier du Plateau, le camp militaire d'Agban, à Adjamé. L'armée française a également tiré des missiles sur un dépôt de munitions. La résidence de Laurent Gbagbo serait tombée entre les mains des partisans d'Alassane Ouattara.
Cette entrée en lice des moyens de combat français coincide avec l'apparition dans les rues d'Abidjan d'une colonne de plusieurs dizaines de véhicules de partisans armés d'Alassane Ouattara, le président-élu reconnu par la Communauté internationale, marquant une tentative de mener la dernière phase de l'offensive qui a permis à ces troupes de prendre le contrôle d'une bonne partie du pays en l'espace de quelques jours.
Auparavant, plusieurs personnes, dont deux ressortissants français, avaient étéenlevées dans l'après-midi par des « hommes en armes » à l'hôtel Novotel, situé dans le quartier du Plateau, le quartier d'affaires situé au nord de la ville. Il s'agit de deux Français, un Béninois et un Malaisien.
L'envoyé spécial de TF1 à Abidjan, Michel Scott, était dans l'hôtel au moment du kidnapping. Il raconte que « des hommes armés semblant appartenir aux forces de Gbagbo » ont pénétré dans l'hôtel, « accusant les journalistes de filmer leurs positions ». Ils ont alors enlevé le directeur de l'hôtel et un chef d'entreprise. Selon Europe 1, ce sont au total cinq personnes qui ont été enlevées peu avant 16 heures, heure française.

Les explications de l'Elysée

Dans sa lettre, rendue publique par l'Elysée, Nicolas Sarkozy indique au Secrétaire Général de l'ONU qu'il a autorisé les forces françaises à « mettre hors d'état de nuire les armes lourdes utilisées contre les populations civiles et les casques bleus » à Abidjan. Il souligne que les forces françaises agissent « conformément au mandat qu'elles ont reçu du Conseil de sécurité » de l'ONU, et en liaison avec l'ONUCI, la force de casques bleus présente en Côte d'Ivoire.
La France fait référence à la résolution 1975 du Conseil de sécurité, en date du 30 mars, qui stipule :
  • « il [le Conseil de sécurité, ndlr] demande instamment à Laurent Gbagbo de se retirer ;
  • il demande à l'ONUCI d'utiliser “ tous les moyens nécessaires pour mettre en œuvre son mandat de protéger les civils (…) y compris pour prévenir l'usage d'armes lourdes ” ;
  • il impose des sanctions ciblées (gel des avoirs, interdiction de voyager) à l'encontre de Laurent Gbagbo, de Simone Gbagbo son épouse, du secrétaire général de la soi-disant “présidence” M. Désiré Tagro, du président Front populaire ivoirien M. Pascal Affi N'Guessan.
  • Il reconnait la compétence de la Cour pénale internationale pour juger les auteurs de crimes graves en Côte d'Ivoire ;
  • Il fait une référence explicite à la responsabilité de protéger. »

La France en première ligne

Même s'il s'abrite derrière une indéniable légalité internationale, et si la dégradation de la situation ces dernières heures était terrifiante, la décision d'engager les forces françaises en première ligne dans des combats, pas uniquement humanitaires mais dirigés contre le camp du président sortant Laurent Gbagbo, constitue une véritable escalade pour le président français.
Sans doute est-ce le reflet de l'incapacité de l'ONU à mobiliser des troupes susceptibles de mener réellement des actions de combat, et l'échec de l'Union africaine à organiser l'intervention militaire qui avait été évoquée il y a trois mois, qui placent, une fois de plus, la France en première ligne. Le reste de l'ONUCI présent sur place ne semble pas, en effet, capable, à ce stade, de répondre à l'appel de Ban Ki-Moon à « mettre hors d'état de nuire » les armes lourdes engagées.
Mais n'est-ce pas le même président de la République qui énonçait, en janvier dernier, une doctrine de retenue pour la France dans ses anciennes colonies - pour justifier, il est vrai, son soutien jusqu'au bout, au régime tunisien de Ben Ali. Il avait alors déclaré :
« La puissance coloniale est toujours illégitime à prononcer un jugement sur les affaires intérieures d'une ancienne colonie ».
Cette doctrine appliquée à la Tunisie n'a pas eu cours en Côte d'Ivoire, où, dès la fin du processus électoral, Nicolas Sarkozy avait, de Bruxelles, lancé un ultimatum à Laurent Gbagbo pour lui intimer l'ordre de quitter le pouvoir au profit d'Alassane Ouattara, vainqueur du scrutin aux yeux de la Communauté internationale.
Si l'urgence et la légalité sont du côté du président français, beaucoup, notamment sur le continent africain, auraient préféré voir d'autres soldats que ceux de l'ancienne puissance coloniale ouvrir le feu pour régler un problème africain.
D'autant que la France se retrouve désormais engagée dans un conflit qui mêle à la fois des aspects clairs et nets de respect des résolutions de l'ONU et d'un résultat électoral contesté mais semble-t-il sans appel, mais aussi des aspects de guerre civile et de revanche éthnico-régionale, dont les effets vont se faire sentir longtemps après la fin de cette phase du conflit.
La métropole d'Abidjan a en effet majoritairement voté pour Gbagbo, et ses partisans redoutent des représailles des vainqueurs, une crainte qui sera incontestablement alimentée par les informations sur le massacre de Duekoue, qui a fait plusieurs centaines de morts, jusqu'à un millier selon certaines informations, et dans lequel sont soupçonnés les partisans de Ouattara.
Pour Laurent Gbagbo, dont on ignore exactement où il se trouve, l'entrée en guerre de la France et de l'ONU autrement que par des résolutions est sans doute le signe que la fin est proche. Une fin qui pourrait se révéler tragique pour lui et pour ses partisans.

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