samedi 25 juin 2011

RDC : Ray LEMA décide de retrouver ses racines congolaises

image Ray LEMA


Après avoir passé plus de trois décennies en dehors de son pays natal, la RDC, le virtuose du piano de renommée internationale, Raymond Lema a Nsi, dit Ray Lema, a décidé de retrouver ses racines congolaises, après la sortie de son tout dernier album « 99 ».
Quelques jours après son arrivée dans la capitale, il a annoncé son projet de création d’une école supérieure de musique à Kinshasa. C’était au cours d’une rencontre avec la presse le samedi 18 juin organisée à l’Institut national des Arts de Kinshasa (INA). Ray Lema a mis en exergue l’importance de l’éducation musicale pour un pays qui regorge de beaucoup de jeunes talents en musique comme la RDC. Ce, grâce à son parcours musical à travers le monde, mais aussi les différentes rencontres qu’il a eues à réaliser avec des musiciens de tous les horizons. «Je suis arrivé à la conclusion que pour être plus efficace, il nous faut monter une école supérieure de musique à Kinshasa. Un département qui puisse compléter les cycles existants à l’Institut national des Arts (INA), basé sur un principe similaire à celui de la Barklee School of Music aux Etats-Unis d’Amérique, c’est-à-dire des Master class avec les meilleurs musiciens du monde qui viennent donner le meilleur d’eux-mêmes à nos musiciens », a déclaré l’artiste congolais. Cependant, a-t-il dit, il faut en parallèle développer un département d’analyse, de conservation et d’inventaire de nos musiques traditionnelles, et bien entendu, renforcer l’INA en le dotant de plus de moyens d’enseignement, tant pédagogiques que matériels. De ce fait, les musiciens seront bien formés afin d’être de professionnels accomplis à même de porter haut l’étendard de la musique congolaise sur la scène internationale, notamment lors des festivals mondiaux.
Parlant de la musique congolaise, Ray Lema a fait savoir que la musique, malgré le talent inouï des artistes locaux, évolue difficilement à cause de difficultés que rencontrent les artistes pour produire leurs œuvres musicales et à l’absence de meilleurs studios et matériels d’enregistrement ainsi que des sponsors et producteurs nationaux. Le pianiste a cependant déploré l’attitude de certains musiciens congolais au cours d’une interview accordée à Jeune Afrique avant son voyage pour Kinshasa. A la question de savoir ce qu’il pensait par rapport à ceux qui parlent du déclin de la musique congolaise, Ray Lema a répondu : « Quand on devient artiste, on a des rêves personnels. Selon ce que je sais, il y a au Congo des artistes dont le seul rêve est d’acquérir, à Paris, une veste griffée. Je regarde cela avec beaucoup de fascination parce qu’au moment où certains jeunes rêvent d’aller sur Mars, d’autres ne pensent qu’à des fringues de marque ! C’est juste un problème d’éducation. ».
En plus, ces musiciens ressemblent plus à des griots qui chantent à la gloire des dirigeants politiques. Et Ray Lema en a parlé en ces termes : « Chanter le chef, c’est presque dans notre culture. Nous ne pouvons pas, nous Africains, refuser de nous ouvrir à la culture internationale et rester confinés dans nos réalités, surtout au niveau de la conception du pouvoir. Souvent, nos chefs pensent qu’ils sont le choix de Dieu. Du coup, le peuple se confond en salamalecs. Ce qui nuit au bon fonctionnement des pays ».
Et il n’avait pas ménagé le pouvoir en place sur le manque total d’une politique nationale de la culture, critique à l’égard du président de la République suite à la modification de la constitution « Je pense que le jeune homme qui est au pouvoir n’est pas au courant de la marche du monde. Il n’a aucun rêve, aucune ambition pour son pays. Je n’ai pas l’impression qu’il ait compris que c’est un pays énorme, avec beaucoup de richesses, notamment culturelles. Il ne laissera pas un souvenir impérissable aux Congolais. ». Et il a assumé avec courage ses réflexions lors d’un entretien exclusif à travers Facebook : « Je suis ému de rentrer à Kinshasa, mais je n'appellerai pas cela de la peur, car ce que j'ai dit, je peux l'expliquer aux plus hautes instances du pays si elles veulent bien m'écouter et cela n'a rien de personnel contre la personne du chef de l'Etat. La culture est, je pense, capitale pour la cohésion et l'unité d'une nation et l'évolution de ses citoyens. Il m'apparait indispensable et prioritaire dans ce monde globalisé, de préserver ses spécificités culturelles et d'éduquer son peuple».
Absent du pays pendant trente-deux ans, Ray Lema demeure toutefois attaché à son Congo natal. « Je me sens toujours, sinon davantage, Congolais. Mais j’aimerais pouvoir être utile au Congo sans prendre de risques inutiles. Les pouvoirs africains sont très énervés dès que vous leur posez des problèmes auxquels ils ne sont pas habitués. Ils ont alors l’impression que vous ne les aimez pas, que vous voulez les renverser… C’est là que mon côté français se manifeste. Ici, nous avons l’habitude de discuter, de poser des questions, sans haine. J’aime tourner le couteau dans la plaie sans avoir peur. En Afrique, les hommes au pouvoir sont encore très susceptibles. Ils pensent que leur tenir tête est un crime de lèse-majesté. À cause de cela, beaucoup de cerveaux africains, dans tous les domaines, préfèrent quitter le continent».
Malgré ce discours politique, et à la limite du sulfureux, Ray Lema ne sent pas l’âme d’un politicien : « Ce n’est même pas de la politique. J’estime qu’à 65 ans j’ai assez vécu pour me sentir responsable. J’aimerais que nos dirigeants nous considèrent comme tels. Si vous refusez de vous prosterner devant eux, ils pensent que vous êtes un problème ».

Brève biographie de Ray Lema

Formé à l'occidentale (séminaire, musique classique, piano), Ray Lema est un des musiciens africains les plus curieux (dans tous les sens du terme). Toujours en quête de nouveautés, de découvertes, d'inspirations, il n'a de cesse à sillonner la planète et d'enrichir son travail qui est certainement aujourd'hui une des plus belles synthèses entre musiques africaines et sons du monde entier. Raymond Lema A'nsi Nzinga naît dans un train le 30 mars 1946 au Zaïre (aujourd'hui République démocratique du Congo). Voulant rejoindre le village proche de Kary (aujourd'hui Lufu Toto), sa mère, qui vit à Lukala, accouche dans la gare. Mais pour un fils de chef de gare, ce n'est guère original…
Durant son enfance, il n'a aucun contact direct avec la musique. En 1957, à 11 ans, il entre au petit séminaire de Mikondo à Kinshasa avec la ferme intention de devenir prêtre. Mais très vite, lors des cours de musique, il dévoile un don certain pour le piano. Ses capacités à déchiffrer les partitions sont remarquables, et il n'a aucun mal à assimiler des morceaux complexes. L'enfant découvre la musique à travers une culture et une tradition occidentales fort éloignées de ses racines. Mozart, Bach, ou le chant grégorien deviennent son quotidien. Le jeune Ray est désigné accompagnateur officiel des messes à l'orgue pendant des années. Ses professeurs sont si admiratifs de son talent que l'un d'entre eux lui offre même un piano. Sa vocation religieuse se transforme vite en une vocation évidente pour la musique.
Pour son premier concert de musique profane, il interprète "La Sonate au clair de lune" de Beethoven, devant une salle où son frère est le seul africain.

(Par Martin Enyimo, avec RFI)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire