samedi 2 juillet 2011

Reine Alapini-Gansou: «Pas de réconciliation en Côte d'Ivoire sans justice pour les victimes»

Reine Alapini-Gansou, rapporteur de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.
Reine Alapini-Gansou, rapporteur de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.
http://www.srhrdafrica.org
Par Nathalie Amar
Reine Alapini-Gansou, rapporteur spécial de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, fait partie de la commission d'enquête des Nations unies, composée de trois membres. Cette commission s’est rendue au mois de mai en Côte d’Ivoire et vient de présenter son rapport devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU sur les violences post-électorales dans le pays. Le rapport affirme que des tueries, des exécutions, des viols ont été commis par les deux camps - pro-Gbagbo et pro-Ouattara - entre novembre et avril derniers, et même après l’arrestation de Laurent Gbagbo. Elle répond aux questions de Nathalie Amar.
RFI: Les femmes ont payé un très lourd tribut à ces violences ?
Reine Alapini-Gansou : Nous l’avons constaté sur le terrain et nous l’avons consigné dans notre rapport. Les femmes n’ont jamais demandé la guerre mais, curieusement, elles représentent la cible la plus importante qui subit la guerre. Et c’est exactement la même chose que nous avons vue en Côte d’Ivoire. Nous avons vu que les femmes ont payé un lourd tribut par rapport à ce conflit post-électoral, qui a mis aux prises des combattants de divers bords : les combattants des forces armées, des miliciens, des mercenaires et autres, et même certaines populations civiles non armées.
RFI : Est-ce que celles que vous avez rencontrées parlent aujourd’hui de ce qu’elles ont vécu ?
R. A. G. : Comme vous le savez, la femme en général – surtout lorsqu’il s’agit des questions liées à de multiples formes de souffrance – ne parle pas, mais encore plus en Afrique. Elle est inhibée par la culture. Mais nous avons quand même rencontré certaines femmes qui nous ont parlé de leurs souffrances à divers niveaux.
RFI : Est-ce qu’on peut dire qu’en Côte d’Ivoire, comme par exemple en République démocratique du Congo, le viol a été utilisé comme arme de guerre ?
R. A. G. : Non. Nous avons rencontré à Duékoué des femmes qui ont été violées. Nous en avons rencontrées à San, à Abidjan dans les quartiers chauds. Mais nous ne pouvons pas dire de façon péremptoire que le viol a été utilisé comme arme de guerre en Côte d’Ivoire. Ce que l’on peut retenir, c’est que dans une situation aussi confuse, les femmes ont payé le prix de certains éléments mauvais ou alors de certains éléments incontrôlés, comme on pourrait le dire, qui dans ce genre de situation n’ont pas froid aux yeux.











RFI : Dans le rapport qui a été présenté mercredi 15 juin, il n’y a pas de qualification juridique exacte des crimes commis en Côte d’Ivoire. Vous dites qu’il « pourrait » s’agir de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Pour quelle raison, ce flou ?
R. A. G. : Il ne s’agit pas d’un flou. La commission a quand même été composée de juristes. Et à n’importe quel stade, il faut savoir raison garder. La commission d’enquête n’est pas une commission judiciaire en tant que telle et elle ne peut pas être péremptoire sur certains faits. Elle aurait pu l’être si elle avait eu plus de temps. C’est une commission qui a eu juste quatre semaines, sinon trois semaines pour travailler sur le terrain, pour identifier des acteurs, pour identifier des victimes, pour constater des faits… Et je pense personnellement qu’il serait trop prétentieux d’être péremptoire sur certains actes très graves, comme les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et autres. Et c’est pour ça que nous avons pris des précautions en disant : les faits sont si graves qu’on pourrait les qualifier de « crimes contre l’humanité », en laissant les instances compétentes – qui devraient être plus péremptoires sur ces questions – le faire. Donc à ce stade-ci, je pense qu’il serait prudent de parler ainsi. Quoique les éléments que nous avons trouvés sur place étaient effarants.
RFI : La création de la Commission vérité réconciliation, promise par le président Ouattara, c’est une bonne chose pour vous ?
R. A. G. : Si nous regardons un peu à côté de la Côte d’Ivoire, nous avons vu que des initiatives de ce genre ont été prises ailleurs. Le plus important c’est que, comme nous avons eu à le dire au président Alassane Ouattara lui-même, une Commission vérité réconciliation n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais encore faudrait-il qu’elle regarde l’aspect justice. Parce que vous ne pouvez pas aller à la réconciliation lorsque vous n’avez pas essayé quand même de rendre justice à des victimes. J’entends des personnalités dire : « Mais non ! Si vous voulez parler de réconciliation, vous ne pouvez plus dire que vous allez poursuivre des acteurs et autres ». Ce n’est pas juste, dans la mesure où il y a des victimes innocentes !
Donc, Commission réconciliation, c’est une très bonne chose. Cela a marché dans certains contextes, ça a marché dans certains pays, ça a moins marché ailleurs. Et nous, nous pensons que cette Commission vérité réconciliation serait une bonne chose. Elle serait davantage une bonne chose si elle intègre toutes les parties prenantes en Côte d’Ivoire. Parce que la Côte d’Ivoire aujourd’hui a 80 ethnies. La Côte d’Ivoire a beaucoup de partis politiques. Peut-être que c’est utopique, mais nous avons insisté sur le fait que cette Commission vérité et réconciliation doit être une institution globale qui intègre tout le monde, qui doit être impartiale, mais qui doit travailler surtout sur la question des victimes.
RFI : Est-ce que la justice ivoirienne pourra être impartiale ? L’ONG Human Rights Watch s’inquiète aujourd’hui qu’aucun élément des forces pro-Ouattara impliqué dans des crimes n’ait été arrêté...
R. A. G. : Nous avons dit qu’une justice qui se veut sérieuse, une justice qui veut que vraiment les problèmes soient résolus dans un Etat comme la Côte d’Ivoire doit être impartiale. Nous avons constaté sur le terrain, en Côte d’Ivoire, qu’il y a beaucoup d’initiatives. Tout le monde veut travailler, tout le monde veut se rendre utile en Côte d’Ivoire. Je crois que c’est pour ça que nous avons dit que le temps presse. Mais surtout, il ne faut jamais occulter la question cruciale de la réparation des préjudices subis par les victimes, mais aussi de la protection de la population civile.
RFI : Vous dites dans ce rapport que les exactions se poursuivent. Que se passe-t-il exactement ?
R. A. G. : Dans la bande ouest du côté du Liberia, nous avons vu des gens qui venaient encore de la Côte d’Ivoire, des gens qui venaient d’arriver. Cela veut dire que des exactions se poursuivent. Ces personnes étaient dans des états calamiteux. Et il en est de même à Abidjan, à Yopougon, au PK18, à Abobo… Dans ces quartiers-là, la paix n’est pas encore arrivée et les exactions continuent.
Nous avons identifié des cas de torture par des éléments en uniforme, qui se proclament des FRCI. Nous avons aussi rencontré au Liberia pas mal de jeunes. D’anciens membres de la galaxie des Jeunes patriotes, d’anciens membres de la Fesci, qui sont là-bas et qui se disent des réfugiés mais qui, à notre avis, ne sont pas vraiment des réfugiés et qui seraient peut-être encore en train de préparer d’autres exactions contre des populations, même sur place au Liberia. C’est pour ça que nous avons dit que vraiment le temps presse et que cette paix que l’on a retrouvée petit à petit en Côte d’Ivoire est encore précaire.

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