lundi 1 août 2011

CENI : Où est l’indépendance?

Il existe une constance dans nos analyses des processus de démocratisation au Congo et ailleurs en Afrique: l’homme congolais ou africain avance vers la démocratie à la manière d’une poule décapitée, c’est-à-dire sans réfléchir. La course au pouvoir lancée au Congo en vue de la prochaine élection présidentielle en est une parfaite illustration. Les règles du jeu voudraient que deux institutions jouent le rôle d’arbitre. La Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) organise la course et transmet les résultats provisoires à la Cour suprême de justice qui, elle, proclame les résultats définitifs. A quatre mois de l’élection présidentielle, on peut lire dans CIC que l’opposant Vital Kamerhe « n’a pas caché la crise de confiance qui règne entre la CENI et les forces politiques de l’opposition ». « A ce stade, dira-t-il, tout porte à croire qu’il y a bel et bien l’intention manifeste de préparer la fraude et de favoriser un camp. » Pour étayer son propos, il lance : « comment expliquer qu’une province de 6.000.000 d’habitants puisse s’en tirer avec 4.800.000 électeurs ? », alors que « la Ville province de Kinshasa qui malgré sa population estimée à plus de 10.000.000 d’habitants n’a pu réaliser plus de 4.000.000 d’enrôlés ! » « Toutes ces raisons me fondent à lancer un appel solennel et pathétique à tous les partis de l’opposition et aux associations de la société civile qui voudraient bien rejoindre ceux-ci afin de créer le Forum de l’Opposition dont la charge sera de faire pression sur la CENI, pouvoir organisateur des élections. »

Avant de se lancer dans la course au pouvoir, tout homme politique responsable devrait s’assurer de l’indépendance des deux institutions citées ci-dessus. L’indépendance d’une institution ne tombe pas du ciel. Elle ne provient pas du fait de coller l’adjectif « indépendant » à la dénomination de l’institution. Elle se crée par des mécanismes appropriés visant à ce qu’aucun des acteurs en présence ne soit en même temps juge et parti. Il s’agit là d’un travail de conception indispensable. Un tel travail a-t-il eu lieu au Congo avant que des hommes politiques expriment leurs intentions de participer au jeu électoral? Si oui, a-t-il été bien fait?

D’emblée, il convient de constater qu’au Congo, la CENI était « indépendante » avant même qu’elle ne soit mise en place. Exactement de la même manière que le pays, qui était devenu « démocratique » sans que les « Libérateurs » ne conçoivent et mettent en place un appareillage politique démocratique. Après ce mauvais départ, qui peine à cacher un déficit conceptuel, nos hommes politiques autorisés à penser se sont mis au travail. A l’unanimité, le pouvoir et l’opposition se sont convenus que parmi les sept membres du bureau de la CENI, quatre devaient être désignés par le pouvoir et trois par l’opposition. Toujours de commun accord, la présidence de la CENI fut réservée au pouvoir tandis que la vice-présidence revenait à l’opposition. Conformément à l’esprit de la loi, la désignation de ces acteurs clés fut entérinée le 15 janvier 2011 au cours d’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale. Le 3 février de la même année, le président de la république signait l’ordonnance n° 0111012 nommant les sept membres du bureau de la CENI. Voilà comment une nation bien dotée en ressources humaines construisit l’indépendance d’une institution aussi vitale que la CENI.

Au moment de la conception de l’indépendance de la CENI par la classe politique congolaise, un autre pays africain, la Côte d’Ivoire, faisait face à une violente et sanglante crise post-électorale dont les germes se situaient justement au niveau de la composition même du bureau de la commission électorale nationale. Composée également d’acteurs désignés par le pouvoir et l’opposition, la commission électorale ivoirienne ne pouvait d’aucune manière être indépendante du pouvoir politique et elle l’a démontré clairement à la face du monde. « Mbuga todu, giyungu a mesu », disent les Bambala. Entendez, dans un sentier boueux, seul l’idiot passe devant. L’homme sage, lui, marche derrière l’idiot. Aussitôt que ce dernier s’embourbe, le sage cherche une voie alternative. La Côte d’Ivoire avait servi malgré elle de « giyungu ». Les hommes politiques congolais se sont-ils pour autant montrés sages? L’observation de Kamerhe répond par la négative. Ainsi, la classe politique congolaise est composée de singes, c’est-à-dire des hommes et femmes qui n’ont d’autre ambition que d’imiter servilement ce qui se passe ailleurs. Se coller l’étiquette du « changement » ne change rien à cette triste réalité. Non seulement la CENI n’est pas indépendance du pouvoir ou du monde politique, mais en plus, son président, qui est issu de la même province que l’actuel président de la république, n’a jamais caché sa proximité voire ses accointances avec ce dernier.

Comment créer une commission électorale nationale avec un peu plus de chance de neutralité ou d’indépendance, tout en restant dans le cadre de la démocratie conflictuelle et partisane qui, on le sait, n’a jamais obtenu nos faveurs? Il faut tout simplement éviter que les membres d’une telle commission soient désignés par les hommes politiques, que ceux-ci soient du pouvoir ou de l’opposition. Au Congo, le législateur pourrait, par exemple, demander à l’Église majoritaire, l’Église catholique, de servir de locomotive dans la constitution du bureau de la commission électorale. Ici, nous voyons cette église non pas en sa qualité d’autorité morale, mais en tant que l’une des organisations les mieux structurées et implantées de la société civile. Dans la formation du bureau de la CENI, l’Église catholique devrait associer, cela va sans dire, des membres d’autres églises traditionnelles et d’autres associations de la société civile qui se seraient illustrés dans leur engagement en faveur d’un État de droit. Notons qu’il s’agit ici non pas de responsabiliser un homme d’église quelque soient ses compétences et sa probité, mais de l’Église (catholique) en tant qu’institution.

Les hommes politiques congolais ont participé fièrement à la construction de l’indépendance (fictive) de la CENI. Avec enthousiasme, ils ont accepté de se porter candidats à la prochaine élection présidentielle en sachant que la Cour suprême de justice, qui devra proclamer les résultats définitifs de l’élection, est inféodée à l’un des prétendants au fauteuil présidentiel, à savoir le président sortant. Rien n’a été fait pour affranchir les membres du bureau de la CENI du poids de l’Exécutif et de la classe politique. Leur désignation par celle-ci gâche tout. Le rapport clientéliste liant le président de la CENI à celui de la république alourdit la note. L’inexistence de l’indépendance de la CENI est une évidence qui crève les yeux. Pourtant, les hommes politiques, pouvoir et opposition confondus, ont le sentiment d’un devoir bien accompli. Demain, les opposants seront les premiers à contester la neutralité de la CENI et de la Cour suprême de justice. Comme le fait déjà Kamerhe aujourd’hui. Peut-on être plus inconséquent? A-t-on le droit de blâmer autrui de tirer profit d’une faiblesse institutionnelle à laquelle on aura contribué ou qu’on aura cautionnée soi-même? Quand l’homme congolais ou africain comprendra-t-il qu’il court vers la démocratie à la manière d’une poule décapitée? Quand sera-t-il doté d’une capacité d’anticipation dans la création des institutions républicaines?
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
© Congoindépendant 2003-2011

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