vendredi 30 décembre 2011

Tribune: la CPI au service d’une dictature naissante?

Le journaliste Théophile Kouamouo estime qu'en jugeant Laurent Gbagbo, la CPI se met«au service de l’agenda d’un pouvoir tyrannique.

Affiche de Gbagbo, Abidjan, avril 2011. REUTERS/Finbarr O'Reilly
 
Mise à jour du 1 er décembre: L'ancien président ivoirien Laurent  Gbagbo comparaîtra le 5 décembre pour la première fois devant la Cour pénale internationale (CPI) qui le soupçonne de crimes contre l'humanité commis lors des violences post-électorales de 2010-2011.
****
 En se mettant complaisamment au service de l’agenda d’un pouvoir à peine commençant mais déjà tyrannique, la justice internationale ne fait que confirmer sa tendance, plusieurs fois observée, à se mettre au service des alliés de l’Occident. Quitte à encourager les pires dérives.

Au diable les préventions et les scrupules. Les partisans de Laurent Gbagbo pourront toujours crier leur amertume, mais le système international, qui a pourtant promis – sans que personne ne le lui demande – qu’il ne participerait pas à la mise en place d’une «justice des vainqueurs» en Côte d’Ivoire, a décidé d’accéder au caprice d’Alassane Ouattara.

Celui d’obtenir la tête de son vieil ennemi sur un plateau d’argent. A défaut d’une élimination physique concertée, les puissants de ce monde lui permettent d’obtenir ce qu’il considère comme l’assassinat politique d’une figure majeure de la lutte pour la démocratisation de l’Afrique.

Quand il s’était agi, en 2006, d’imposer des sanctions individuelles à des personnes qui entravaient prétendument le processus de paix en Côte d’Ivoire, le Conseil de sécurité de l’ONU a essayé de soigner les apparences en frappant des figures centrales du dispositif Gbagbo – Charles Blé Goudé et Eugène Djué – tout en punissant un second couteau de la rébellion – Martin Fofié Kouakou, le désormais ex-geôlier du fondateur du Front populaire ivoirien (FPI).

Une récente campagne d’influence a tenté, ces derniers mois, de préparer les esprits à ce type de faux équilibre malsain. L’on promettait alors la CPI au président Gbagbo, à son épouse, à Charles Blé Goudé, à un certain nombre d’officiers supérieurs des Forces de défense et de sécurité… et parallèlement à quelques obscurs comzones de l’ex-rébellion.

Mais il faut croire que le péril que leur «exfiltration» représentait pour le pouvoir d’Alassane Ouattara, aussi fragile à l’intérieur qu’absolutisé à l’étranger, était trop grand.

La justice internationale fidèle à ses pratiques

La Cour pénale internationale (CPI) voudrait-elle nous faire croire que Gbagbo, Gbagbo seul, est responsable du déclenchement de la rébellion armée qui a fait 300 morts  seulement le 19 septembre 2002, de la tuerie des gendarmes et de leurs familles à Bouaké, des massacres innommables de Guitrozon et de Petit-Duékoué en 2005, des incendies de dizaines de villages à l’Ouest, du pire massacre de l’histoire de la Côte d’Ivoire – celui du quartier «Carrefour» à Duékoué ?

Voudrait-elle le faire admettre à travers un habile storytelling médiatique qu’elle réussirait à convaincre le monde entier peut-être, mais pas la majorité des Ivoiriens.

Il ne faut pas s’y tromper. En exfiltrant Laurent Gbagbo pour le profit politique direct d’Alassane Ouattara, la justice internationale est fidèle à ses pratiques. Les tribunaux spéciaux pour le Rwanda, pour la Yougoslavie ou pour la Sierra Leone ont été et sont des tribunaux de vaincus.

Depuis que la CPI a été créée visiblement pour «gérer» l’indocilité africaine, il n’y a que sur le cas kenyan qu’elle a poursuivi des acteurs des deux camps en présence – tous des seconds couteaux de toute façon. Et sur ce dossier, elle patauge ! Partout ailleurs, ses poursuites ont été unilatérales, et répondaient toujours aux jeux d’alliance et à la stratégie des puissances occidentales.

L’on remarquera l’hallali provoqué par la rébellion d’un certain nombre de chefs d’Etat africains, qui refusent de «livrer» le président soudanais Omar El Béchir, et l’indécente «compréhension» à l’égard du Conseil national de transition (CNT) libyen qui se soustrait, sur le même mode, à «l’obligation» d’obtempérer au mandat d’arrêt contre Seif Al Islam Kadhafi.

La radicalisation violente d’un pouvoir qui se sait protégé

Un fait est intéressant à noter : la justice internationale, depuis qu’elle s’est déployée en Afrique, a été impuissante à juguler l’impunité et à imposer un respect de la vie humaine et des libertés démocratiques. Elle a aidé le président rwandais Paul Kagamé à traquer les génocidaires réels ou supposés, mais également à asseoir une «dictature développementaliste» qui n’a rien à envier à celle de Zine-el-Abidine Ben Ali.

Sans vouloir comparer les itinéraires des hommes politiques en présence, absolument différents, il est piquant de remarquer que la CPI – donc le conglomérat des grandes puissances occidentales – a débarrassé Joseph Kabila, élu dans des conditions plus que troubles, de son rival Jean-Pierre Bemba.

La crise de légitimité qui traverse la République démocratique du Congo n’en reste pas moins aiguë. Et les violences qui émaillent la présidentielle en témoignent.

Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, la CPI se comporte très clairement comme un auxiliaire d’une dictature naissante sûre d’une impunité garantie par le fait qu’elle soit sponsorisée par les grandes puissances. Les réunions secrètes entre Louis Moreno-Ocampo et Alassane Ouattara, dont les forces sont citées nommément par de nombreux témoignages parvenus à la CPI, et qui devrait être traité avec la même circonspection que Laurent Gbagbo, dénudent à la fois le procureur et l’institution.

La coïncidence entre le départ de Laurent Gbagbo à La Haye et le transfert de trois journalistes de Notre Voie à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) est très troublante, et montre bien qu’à l’acharnement unilatéral de la communauté internationale, répond une radicalisation en interne d’un pouvoir qui se sait protégé.

Si les milliers de morts et les centaines de milliers de déplacés dont il est coupable n’émeuvent guère les Occidentaux, pourquoi l’embastillement absurde de journalistes aurait-il des conséquences ?

Bailleurs de fonds, médias internationaux et diplomaties cornaquées par la France ont décidé de fermer les yeux sur la descente aux enfers de la Côte d’Ivoire parce que celui qui la mène inconsciemment à la dérive est leur créature commune.

Passez votre chemin, il n’y a rien à voir!

Théophile Kouamouo
SlateAfrique

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire