jeudi 24 mai 2012

La crise malienne est partie pour durer

Gilles Olakounlé Yabi est directeur du Projet Afrique de l’Ouest de l’organisation International Crisis Group. Il analyse pour SlateAfrique les conditions d'une sortie de crise. Deuxième partie de l'interview.

Rassemblement de Maliens à l'appel de la société civile et politique, 26 mars 2012, Bamako REUTERS/Reuters Staff

Slate Afrique - Comment empêcher le Mali de se fragmenter davantage?
Gilles Yabi - Arrêter cette course folle vers l’effondrement de l’Etat malien doit en effet être la priorité pour les Maliens, la Cédéao et l’ensemble de la communauté internationale. Il n’y a malheureusement plus de solution miracle à une crise qui est partie pour durer. La condition nécessaire mais pas suffisante à la mise en place d’un cadre politique et sécuritaire permettant un retour progressif de l’Etat au nord est la clarification de la situation à Bamako (capitale du Mali).

Il faut soutenir le gouvernement civil incarné par le Premier ministre Modibo Diarra et le président intérimaire Dioncounda Traoré, quoiqu’on pense des qualités et des défauts de ces personnalités, maintenir la pression sur les meneurs de la junte et leurs soutiens politiques tout en veillant à ne pas fragiliser davantage l’armée malienne. Remettre sur pied l’Etat, c’est redonner de la crédibilité et de l’autorité aux autorités civiles mais c’est aussi aider à restructurer l’appareil militaire.

Mais on perd actuellement beaucoup de temps à Bamako dans de vaines querelles pendant que les groupes armés s’installent confortablement et durablement au nord, et imposent leur loi aux populations civiles.
 
Slate Afrique - La Médiation du Burkina Faso est-elle efficace? Blaise Compaoré exerce-t-il une grande influence sur les acteurs politiques? Détient-il les clés de la sortie de crise?

G.Y. - Il n’y a pas à rechercher un sauveur à Bamako ni un médiateur providentiel au niveau de la région pour régler une telle crise. La médiation est d’abord celle de la Cédéao et pas uniquement celle du Burkina Faso. Le président Compaoré joue indubitablement un rôle prépondérant parce qu’il dispose d’un réseau dans la région lui permettant de discuter avec à peu près tout le monde. C’est aussi un fait que le Premier ministre Diarra et encore davantage le nouveau ministre d’Etat en charge des Affaires étrangères sont proches depuis longtemps du président Compaoré. Ce dernier a aussi dans son entourage des hommes qui connaissent des acteurs importants des groupes armés du nord-Mali. Compaoré dispose d’atouts significatifs pour conduire la médiation de la Cédéao mais le cadre d’éventuelles discussions sur le nord-Mali ne doit pas être élaboré dans l’opacité et c’est le gouvernement malien, soutenu par tous les corps sociaux qui ne cèdent pas à un nationalisme improductif, de s’assurer que l’intérêt général du pays est préservé. 
 
Slate Afrique - La Cédéao peut-elle contribuer à la sortie de crise?

G.Y. - Elle fait ce qu’elle peut. Si elle n’existait pas, la situation au Mali ne serait pas meilleure. L’organisation régionale a encore beaucoup de faiblesses et de limites mais son activisme, guidé sur quelques principes forts inscrits dans ses textes, a permis un retour certes laborieux et incomplet à l’ordre constitutionnel après le coup d’Etat. Pour la majorité des populations au Mali et ailleurs, qui doivent se battre au quotidien pour faire face à leurs besoins vitaux, la rengaine des intellectuels sur le retour à l’ordre constitutionnel est sans doute lassante et perçue comme futile. Mais dès lors qu’on s’affranchit de tous les principes et des règles qui régissent la vie d’un Etat, tout devient possible, y compris l’agression physique d’un président dans son bureau. Ce que la Cédéao a jusque-là obtenu au Mali n’est pas négligeable, et elle est aussi écoutée par les acteurs internationaux (Conseil de sécurité de l’Onu et les Etats membres les plus puissants) qui sont incontournables dans la gestion de la crise malienne qui menace toute la région. Sans, ou pire encore, contre la Cédéao, je ne vois pas ce qu’un Etat malien plus faible et divisé que jamais, peut faire.

Slate Afrique - Si la Cédéao envoie des troupes, celles-ci ne risquent-elles pas  de se trouver impliquées dans des affrontements armés de grande envergure, notamment dans le Sud?

G.Y. - La Cédéao est consciente depuis le début des risques qui seraient liés à l’envoi de troupes au Mali. Personne n’a envie d’envoyer ses soldats dans un environnement hostile. De là à craindre des affrontements armés de grande envergure à Bamako en cas de débarquement de troupes de la Cédéao… On n’en est pas là. La Cédéao a maintenant clairement indiqué qu’elle ne déploierait une mission que sur la demande des autorités maliennes. Serait-ce logique pour des militaires qui demandent une aide logistique et des équipements à la Cédéao et prétendent vouloir reconquérir le nord de tirer sur des troupes qui seraient envoyés par la même organisation?

Slate Afrique - Quel rôle joue l’Algérie dans la crise malienne? Peut-elle contribuer à une sortie de crise?

G.Y. - L’attitude de l’Algérie est souvent qualifiée d’ambiguë. Il est difficile de savoir si les autorités algériennes ont des propositions à faire pour aider à résoudre la crise. Un des problèmes –la présence du groupe Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) dans le nord du Mali depuis neuf ans– est un produit des années de terrorisme en Algérie. On peut penser qu’Alger préfère voir les groupes résiduels terroristes s’installer hors de son territoire. Mais l’Algérie abrite aussi depuis 2010 le Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc installé à Tamanrasset dans le sud) des pays dit du «champ» (Algérie, Mauritanie, Niger et Mali) censé lutter contre les groupes armés qui entretiennent l’insécurité dans l’espace sahélo-saharien.
Avant le coup d’Etat de mars dernier, et alors que la rébellion du MNLA couvait, l’Algérie avait pour la première fois envoyé quelques instructeurs militaires au Mali. L’Algérie est contre le principe d’interventions militaires étrangères au nord-Mali, mais elle ne donne pas l’impression de vouloir intervenir elle-même, malgré son statut de puissance militaire régionale. Elle n’a pas forcément tort. Ce qui est nécessaire, c’est pour la Cédéao qui a jusque-là le leadership sur la crise malienne, c’est d’associer l’Algérie et la Mauritanie, non membres de la Cédéao, à ses efforts diplomatiques. L’agenda doit cependant rester malien.

Slate Afrique - Quel rôle jouent les puissances occidentales ?

G.Y. - Elles observent de très près les évènements au Mali, surtout au nord, en raison de la crainte d’une prise de contrôle durable de groupes armés islamistes d’un aussi grand espace et du risque que cela favorise une exportation du terrorisme vers des territoires plus stratégiques pour elles que le Mali. L’Europe est sans doute particulièrement inquiète compte tenu de la proximité géographique du Sahel. La France a des intérêts importants dans la région, le plus évident et le plus stratégique étant l’uranium du Niger, dont les gisements ne sont pas très éloignés du Nord-Mali où s’installe le désordre. Les Etats-Unis ont investi dans la formation des armées de la région, y compris l’armée malienne, sur la lutte anti-terroriste depuis des années dans le cadre d’un programme tout à fait officiel du Ministère de la Défense et du Département d’Etat. Ces puissances agissent prudemment dans la situation actuelle, en maintenant un contact étroit avec les gouvernements de la région et avec la Cédéao qui ne pourra pas se passer de leur soutien financier et peut-être militaire selon les évolutions à venir. Elles sont aussi attentives à la position de l’Algérie qui a une relation privilégiée avec les Etats-Unis dans le domaine sécuritaire et une relation bien plus compliquée avec la France, comme chacun le sait.   

Slate Afrique - La France est-elle active dans la recherche d’une sortie de crise? Comment le nouveau pouvoir français compte-t-il gérer le dossier malien?

G.Y. - Sur le plan politique intérieur, une donnée toujours importante et parfois centrale pour la définition de la politique extérieure, l’avenir des otages français retenus dans le Sahel est une préoccupation majeure. Le risque de l’installation d’un «Etat islamiste» au Nord-Mali en reprenant les mots de l’ancien président français est aussi une préoccupation pour les nouvelles autorités françaises, mais l’équipe Afrique de François Hollande a sans doute besoin d’un peu de temps pour donner de nouvelles orientations sur ce dossier. On peut s’attendre à un changement de style dans la communication officielle, mais l’action de la diplomatie française sera assujettie aux développements à Bamako et au niveau de la Cédéao.    

Slate Afrique - Quels sont les risques de propagation de la crise au-delà des frontières du Mali? L'arrivée de djihadistes venus du Pakistan et d'autres pays d'Afrique et du Moyen-Orient peut-elle avoir de graves conséquences sur l'avenir du Mali et de la région?

G.Y. - Les risques sont réels. C’est pour cela que des pays comme le Niger et la Mauritanie, mais aussi le Nigeria qui n’arrive pas à contenir l’activité terroriste de Boko Haram dans son nord, sont particulièrement mobilisés. Les Etats de la région n’ont pas les moyens de contrôler efficacement leurs frontières, ce qui signifie que des candidats au terrorisme et des armes peuvent passer aussi bien du nord au sud que de l’ouest à l’est, exportant l’insécurité dans l’ensemble de la région. Il n’y a pas d’appétit en Afrique de l’Ouest pour l’extrémisme religieux et encore moins pour un combat décentralisé à coups d’attentats terroristes et de prises d’otages, contre l’Occident dans la logique d’Al Qaida. Mais il ne suffit en réalité que d’un tout petit groupe de personnes motivées, ouest-africaines ou étrangères  à la région, de quelques leaders, d’argent et d’armes pour faire très mal à un pays. Il ne faut pas ignorer les conséquences économiques et sociales déjà graves d’une crise comme celle qui secoue le Mali. Malgré la corruption, le laxisme, des investissements insuffisants dans l’éducation et dans la modernisation des régions, l’économie malienne a progressé régulièrement pendant les vingt dernières années depuis la démocratisation des années 1991-1992.
D’abord et avant tout parce que le pays était stable et avait une bonne réputation. La crise actuelle va irrémédiablement fait reculer ce pays de plusieurs années sur le plan économique, social et sur le plan des libertés, donc de tout ce qui finalement rend les femmes et les hommes de ce pays plus heureux ou plus malheureux chaque jour. Quand un pays comme le Mali se grippe brutalement sur le plan économique, et que des dizaines de milliers de personnes sont déplacées ou réfugiées dans les pays voisins, les conséquences sont également dramatiques pour les perspectives de progrès dans l’ensemble de la région. L’Afrique de l’Ouest ne peut sortir de la pauvreté si un pays doit entrer en crise dès qu’un autre en sort. Je pense bien sûr à la Côte d’Ivoire qui essaie de se reconstruire.

Propos recueillis par Pierre Cherruau
SlateAfrique

Retrouvez la première partie de l'interview de Gilles Yabi d'International Crisis group

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