dimanche 21 avril 2013

Que le dictateur dégage d'abord !


Au lendemain de l’indépendance et au temps fort de la diabolisation du Premier Ministre Patrice Emery Lumumba, le Cardinal Joseph Malulu, dans ses homélies, invitait carrément l’armée, alors incarnée par Joseph-Désiré Mobutu, à renverser Lumumba, présenté comme un danger pour la république.

Lumumba fut odieusement assassiné. Mais le Congo n’a pas été mieux gouverné pendant la longue dictature de Mobutu. A son tour, ce dernier fut présenté comme le mal absolu par ses détracteurs.

Sa chute n’a pourtant pas permis à Laurent-Désiré Kabila à mieux servir son peuple.

Il sera également perçu comme un verrou à faire sauter pour que les Congolais récoltent enfin les dividendes de la bonne gouvernance. On se serait attendu à ce qu’on tire des leçons de cette mauvaise lecture de la gestion calamiteuse du pays.

Malheureusement, aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui estiment qu’il faut que Joseph Kabila dégage d’abord. Ensuite, on verra. Mais qu’est-ce qu’on croit voir après la chute du dictateur ?

Rébellion légitime

Juste aux portes du Congo, la Centrafrique est en train de vivre le slogan qui voudrait que le dictateur dégage d’abord, après on verra. Michel Djotodia avait mille et une fois raison de créer la rébellion de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) en 2006.

Le sultanat de Ndele, qui rayonne sur trois préfectures ou provinces centrafricaines (Bamingui Bangoran, Haute Kotto et Vakaga) a toujours été une région marginalisée depuis l’époque coloniale.

Le sultant de l’époque fut accusé d’avoir tué un colon et le pouvoir colonial n’avait pas mieux trouvé que de punir collectivement les habitants de la région en les privant de perspectives de développement.

Tous les régimes qui se sont succédés depuis l’indépendance n’ont pas corrigé cette faute originelle. Bien au contraire. Les musulmans étaient exclus de certains corps constitués de l’Etat : douane, police, gendarmerie et armée.

Pour avoir une chance de servir leur pays, certains, comme Michel Djotodia justement, étaient obligés de renier leurs prénoms musulmans pour prendre des prénoms chrétiens.

Mais, l’UFDR, comme bien d’autres mouvements en Afrique, échouera à créer la cohésion des populations du nord-est. Son leadership prendra de plus en plus une coloration ethnique, l’ethnie Goula de Michel Djotodia, surtout au détriment de l’autre grande ethnie de la région, l’ethnie Runga de Charles Massi, le père du désormais célèbre Eric Massi, porte-parole international de la coalition Seleka tout au long de la récente crise centrafricaine.

Charles Massi créa sa rébellion : la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP). Et ce qui devait arriver arriva.

Au lieu d’unir leurs forces pour affronter l’ennemi commun, la dictature de Bozize, ce que deux factions dissidentes de la CPJP feront plus tard en créant la coalition Seleka avec l’UFDR, les deux rebellions vont s’affronter pour le contrôle de la ville diamantifère de Bria, chef-lieu de la préfecture de Haute Kotto, en septembre 2011.

Peu après la signature de l’accord de cessez-le-feu entre les deux groupes, nous étions sollicités, en notre qualité de bourlingueur, pour coordonner sur le terrain l’aide de la communauté internationale au gouvernement centrafricain, représenté par le Médiateur de la République, dans l’organisation de la caravane de la paix qui sillonna toute la région du nord-est en novembre 2011 afin de baisser la tension intercommunautaire et proclamer haut et fort que la guerre entre la CPJP et l’UFDR était finie.

Ayant à notre disposition un avion et un hélicoptère, des véhicules pré-positionnés, prenant des fois des motos et même montant à dos d’âne, nous avons touché du doigt la réalité de la marginalisation de ces Centrafricains dont le seul péché était d’être né là où ils sont nés et d’être musulmans.

Le succès de la caravane aidant, nous serons une fois de plus sollicités, en novembre 2012, pour accompagner le gouvernement centrafricain, au nom de la communauté internationale, à livrer un message à Michel Djotodia dans son village d’origine, Gordil, découvrant une fois de plus un univers livré au désespoir.

Djotodia venait de rentrer d’exil au Benin. Il avait repris les commandes de l’UFDR et voulait remettre en cause l’accord de paix que le mouvement avait signé avec le gouvernement en son absence.

Notre connaissance de ce dossier nous emmènera début janvier 2013 d’abord à Brazzaville, pour préparer avec l’équipe du Médiateur de la crise centrafricaine, le Président Denis Sassou Nguesso, les négociations de paix, ensuite à Libreville durant toute la durée de ces négociations.

Depuis lors, nous suivons attentivement le développement de la situation politique dans ce pays-là, surtout maintenant que le dictateur Bozize a été enfin chassé du pouvoir, le 24 mars 2013.

Piège sans fin

Vous avez dit : « Que le dictateur dégage d’abord, après on verra » ? Voyons voir !

Le titre de président auto-proclamé, qui avait collé désagréablement, comme une sangsue, à la peau de Laurent-Désiré Kabila, n’a pas empêché Djotodia de s’auto-proclamer à son tour nouveau président de la république centrafricaine.

Dans son (premier) gouvernement dit d’union nationale, douze ministres sur trente-quatre sont de sa préfecture, la Vakaga. Parmi eux, il compte neuf membres de sa propre ethnie dont quatre proches parents.

A la présidence de la république, il ne sert plus à rien de s’exprimer en français ou en sango, les deux langues officielles du pays. Le Goula suffit amplement tant les élites de cette ethnie accaparent les postes au plus haut sommet de l’Etat.

Confrontée à la condamnation unanime du coup d’Etat par la communauté internationale et aux sanctions du Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, les dirigeants de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), dont certains ont appuyé la rébellion, vont se réunir à N’Djamena le 3 avril 2013 pour trouver une formule de transition qui legitimerait les nouvelles autorités.

Il fallait établir un Conseil National de Transition (CNT) composé des membres des cinq entités présentes aux négociations de paix de Libreville - majorité présidentielle, Seleka, partis d’opposition, groupes politico-militaires n’ayant pas rejoint la rébellion de Seleka et société civile - auxquels s’ajouteraient les leaders religieux et les membres de la diaspora.

Et le CNT devait élire non pas le nouveau Président de la République, mais le Chef d’Etat de la Transition. Djotodia a bien accepté la décision de la CEEAC. Mais le 13 avril, il a constitué le CNT à sa manière à lui, avec les composantes suivantes : partis politiques, Seleka, groupes politico-militaires, secteur informel, organisations des droits de l’homme, des jeunes des femmes et des medias, préfectures (provinces) du pays, ville de Bangui, fonctionnaires et diaspora.

Pourquoi ? Pour mieux placer des clients un peu partout. Résultat, plusieurs noms figurant sur les listes de certaines de ces composantes, notamment les partis politiques et la société civile en général, ont tout simplement été remplacés par d’autres.

Pour l’élection du Chef d’Etat de la Transition, Djotodia fut candidat unique, élu par acclamation… comme Président de la République.

L’argent a circulé pour l’élection des membres du Bureau du CNT deux jours plus tard. Le président et la vice-présidente étaient comme par enchantement les organisateurs de la toute première marche de soutien à Seleka à Bangui, le 3 avril 2013.

Avec un tel organe législatif, il y a fort à parier que le dispositif majeur des accords de Libreville, confirmé par les sommets de la CEEAC à Ndjamena du 3 et 18 avril 2013 et qui voudrait que les acteurs de la transition ne soient pas candidats à la prochaine élection présidentielle, sautera, à moins que la communauté internationale ne fasse suffisamment de pression pour qu’il résiste face à l’appétit politique du nouvel Empereur de la Centrafrique.

On va voir après ? Oui. Le 18 avril dernier, Djotodia a nommé un nouveau Chef d’Etat-major de l’Armée. Les nominations vont se poursuivre dans tous les corps constitués de l’Etat sans que les citoyens ne sachent comment tous ces piliers du pouvoir sont choisis.

Seule certitude, c’est à travers un mécanisme clientéliste bien huilé. Voilà comment les « libérateurs » deviennent à leur tour les bourreaux de leurs peuples. Moins d’un mois après la prise du pouvoir par la coalition Seleka, les Centrafricains sont déjà désenchantés, en découvrant les « méthodes Bozize » remises au goût du jour.

La décision de la CEEAC du 18 avril de porter le nombre des membres du CNT de 105 à 135 pour répondre aux griefs des partis politiques et de la société civile n’y changera rien. Un nouveau piège s’est abattu sur la nation centrafricaine. On peut déjà affirmer que celle-ci est déjà enceinte d’un autre libérateur.

Conclusion

Nous avons suivi récemment des hommes politiques congolais dont un seigneur de guerre du M23, Mwenze Kongolo et Vital Kamerhe donner, sur les antennes de RFI, leurs avis sur la Brigade d’intervention de l’ONU.

Pour expliquer le gâchis auquel le peuple assiste impuissant depuis la mort ou l’assassinant de Laurent-Désiré Kabila, Vital Kamerhe a eu des mots justes.

Après Sun City, a-t-il souligné, la classe politique s’est lancée dans sa gymnastique favorite, le positionnement, oubliant qu’il fallait profiter du schéma 1+4 pour asseoir les bases d’un Etat de droit. L’Etat de droit ne se met pas en place parce que tous les corps constitués de l’Etat sont en place.

Il se met en place à travers des mécanismes bien appropriés qui assurent l’indépendance effective de chacun de ces corps. Ces mécanismes ne sont pas à chercher dans les manuels des sciences politiques. Il faut les concevoir au regard du pouvoir tel qu’il se présente et se vit dans une société bien déterminée.

Au regard de ce qui précède, quand un opposant africain vous dit qu’il lutte pour la démocratie ou pour instaurer une vraie démocratie, quand il soutient que le dictateur doit d’abord dégager et après on verra, posez-lui la question de savoir comment il compte s’y prendre une fois arrivé au pouvoir.

Il va sans le moindre doute vous réciter ce que disent les manuels des sciences politiques sur la démocratie tout en alignant un catalogue de bonnes intentions en lieu et place d’une stratégie institutionnelle concrète.

Après l’avoir écouté religieusement, dites-lui bien ceci : Casse-toi, conard ! Car n’ayant aucune proposition concrète sur la voie que devrait prendre la démocratie après tant d’échecs accumulés depuis les indépendances, il s’installera au pouvoir pour faire exactement ce qu’il prétendait combattre.

N’est-ce pas là ce que nous vivons depuis la deuxième vague de démocratisation du continent depuis la fin des années 80 ? La lutte contre la dictature en Afrique doit commencer par la réflexion sur l’alternative aux institutions pourries qui pérennisent le règne des hommes forts.

Nkwa Ngolo Zonso
© Congoindépendant

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire