mardi 23 avril 2013

RDC: Devoir accepter ses limites

le 23 avril 2013 par Médecins Sans Frontières



David Lauter est un chirurgien américain de Seattle, où il exerce son métier depuis 20 ans. Il a trois grands enfants et trois chats. David est actuellement en mission, sa deuxième pour MSF, à Rutshuru, en République démocratique du Congo.

Ce qui me plaît dans mon métier de chirurgien, c’est que le premier objectif est d’aider les patients. La plupart des gens que je connais aiment aider les autres et essayent de leur venir en aide par leur travail, mais c’est rarement l’objectif de leur métier.

Moi, tous les jours, je me lève dans le but d’aider des patients et non pas de marquer un but, de tourner un film, de gérer un projet, de gagner en Bourse, de remporter un procès, d’écrire un rapport ou de réaliser un quota de ventes.

Je fais ce travail tous les jours depuis si longtemps que j’ai fini par tenir pour acquis que j’aiderai tous les patients que je rencontrerai. C’est donc d’autant plus difficile pour moi lorsque je suis face à quelqu’un que je ne peux pas aider.

Diagnostic implacable

La semaine passée, j’ai été appelé aux urgences pour un homme de 22 ans qui était venu chercher de l’aide. Son genou droit gonflait progressivement et lui faisait mal. Debout à côté de lui, je pouvais voir que son genou faisait au moins deux fois la taille normale.

En Français, je lui ai demandé depuis combien de temps il était dans cet état-là. Le médecin congolais de garde aux urgences, le Dr C., a traduit la question en Swahili et a retraduit la réponse du patient en Français. « Un mois. » J’ai examiné son genou. Il était ferme et chaud mais pas douloureux au toucher.

À l’aide du Dr C. qui me servait d’interprète, je lui ai demandé s’il avait été blessé ou avait attrapé une infection. Il m’a répondu que non. Puis j’ai examiné les radios que lui avait fait faire le Dr C.

Elles montraient une croissance irrégulière et hors de contrôle de l’os du fémur distal, la partie de l’os de la cuisse juste au-dessus de l’articulation du genou. Pas de doute : c’était un cancer. Je suis retourné près du patient et l’ai de nouveau examiné.

Cette fois, en le palpant au niveau de l’aine, j’ai senti des ganglions lymphatiques gonflés et durs, signe d’une maladie métastatique. Toujours à l’aide du Dr C., j’ai demandé au patient si cela durait vraiment depuis un mois ou depuis plus longtemps. Il m’a répondu que cela faisait plus longtemps.

Chez un homme aussi jeune, le diagnostic le plus probable était le sarcome d’Ewing, ou éventuellement l’ostéosarcome. Une fois que l’une de ces tumeurs s’est disséminée au-delà de sa localisation initiale, le patient a peu de chances de guérison, quel que soit le traitement.

Aux États-Unis, les patients avec un sarcome d’Ewing métastatique sont traités par une combinaison de chimiothérapie, de radiothérapie et de chirurgie, mais n’ont tout de même que 15 % de chances de survie à cinq ans.

La chimiothérapie et la radiothérapie ne sont pas disponibles en RDC et la chirurgie ne peut pas sauver cet homme car sa tumeur s’est déjà disséminée. Si j’ampute sa jambe et enlève autant de tumeurs que possible de son aine, il aura des difficultés à se rétablir et mourra quand même de la maladie aussi vite, voire plus vite.

Aucune lueur d’espoir

Aux États-Unis, je me retrouve parfois face à un patient à qui je dois annoncer la dramatique nouvelle d’un mauvais pronostic ou de l’absence de traitement médical.

Mais dans ce cas, je peux toujours leur apporter une lueur d’espoir : une biopsie pourrait révéler que je me trompe et qu’il ne s’agit pas d’un cancer ou un spécialiste en oncologie pourrait connaître un nouveau traitement.


© David Lauter

Je dis toujours au patient : « Nous ne pouvons peut-être pas guérir votre maladie, mais nous pouvons vous aider ». Et aux États-Unis, c’est la vérité.

Il y a des groupes de soutien spécifiques à la maladie et à l’âge, de nombreux assistants sociaux dans toutes les unités de l’hôpital, des spécialistes de la douleur et des services de soins palliatifs vers lesquels je peux renvoyer mes patients.

À l’est de la RDC, il n’y a pas d’oncologue chez qui je pourrais envoyer le patient dans l’espoir d’un diagnostic différent ou d’un nouveau traitement de pointe. Ici, il n’y qu’un seul psychologue pour tout l’hôpital et c’est le service des soins palliatifs qui s’occupe du contrôle de la douleur.

Il n’y a pas d’autres services sociaux ou programmes médicaux qui pourraient l’aider. J’ai l’impression de ne pouvoir rien faire pour lui. Je ne maîtrise même pas assez le Français, et encore moins le Swahili, et ne connais pas assez sa culture pour pouvoir entamer une discussion respectueuse et subtile sur sa qualité de vie et sur les questions liées à la fin de vie.

Tout ce que je peux faire, c’est transmettre mes connaissances sur le diagnostic et le pronostic au Dr C. et lui dire qu’il n’y a rien à faire…
Injustice

Aux États-Unis, ses chances de guérison seraient faibles, mais réelles. Il serait probablement venu chercher de l’aide plus tôt, peut-être avant que la tumeur n’ait eu le temps de se disséminer au-delà du fémur, quand ses chances de guérison étaient plus élevées.

C’est injuste mais, sur le plan intellectuel, je peux comprendre et accepter la situation : c’est la vie… En quelque sorte, ce n’est pas différent des disparités éducatives ou économiques entre les populations de différents pays.

Ce n’est même pas si différent de l’injustice que représente le risque accru de mourir par balle pour un adolescent vivant dans le centre de Chicago, par rapport à un ado vivant dans une riche banlieue de l’ouest des États-Unis.

Ce que j’ai du mal à accepter, c’est que mon travail consiste à aider les patients et que, cette fois, je n’ai pas fait mon travail.

leSoir

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