samedi 13 juillet 2013

Guerre civile congolaise


                       Bob Denard au Congo

Après de longues années de domination coloniale, le réveil national du Congo, au cœur de l'Afrique, secoue le continent tout entier.

L'Afrique en mutation

En 1912, lorsque la France et l'Espagne eurent colonisé le Maroc, l'Afrique entière, à l'exception du Liberia (indépendant dès 1847) et de l'Éthiopie, était gouvernée par des puissances européennes.

A l'issue de la Première Guerre mondiale, les possessions allemandes furent placées sous mandat de la Société des Nations. L'Afrique allait demeurer colonisée jusqu'à la fin des années 1950. L'Éthiopie elle- même fut quelque temps dominée par Mussolini.

En 1954 débutait la guerre d'indépendance algérienne. Elle s'achèverait sur une victoire en 1962. En 1957, la Côte-de-l'Or britannique devenait indépendante sous le nom de Ghana. D'autres États allaient suivre bientôt. En l'espace d'une décennie, l'Afrique se trouva radicalement transformée .

Une grande date pour l'Afrique que cette année 1960. Dix-sept colonies accèdent à l'indépendance. Voici que ce continent encore qualifié d'«obscur» un siècle plus tôt se libère et s'affirme.

Dans la plupart des cas, la transition se fit dans le calme. Mais dans la République démocratique du Congo (le Zaïre actuel), l'avènement de la liberté fut terni par des rumeurs de massacre et de guerre civile.

Des mutineries éclatèrent au sein de l'armée congolaise. Des tribus s'entre- déchirèrent.

L'ancien colonisateur belge revint occuper le pays. Le Katanga, la plus riche et la plus importante de ses provinces, fit sécession. Les Nations unies intervinrent, ce qui fit l'objet d'âpres controverses.

A un certain moment, pas moins de quatre gouvernements auto- désignés se partageaient le pays. Le calme — relatif — ne revint au Congo qu'après l'installation d'une dictature militaire, en 1965. Le chaos avait duré cinq ans.

L'héritage de la Belgique


Léopold II

En 1900, une grande partie de l'Afrique était déjà colonisée par l'Angleterre, les Pays-Bas, la France, le Portugal, l'Allemagne et l'Italie.

Le bassin du Congo, en revanche, ces quelque 1 500 000 kilomètres carrés de terres riches en cuivre, en cobalt et en diamants, n'appartenait à aucun pays : il constituait le fief personnel de Léopold II, roi des Belges.

En 1878, celui-ci avait chargé l'explorateur et journaliste américain Henry Stanley de négocier des concessions commerciales auprès des chefs de la région. En 1885, Léopold et ses soutiens financiers fondèrent l'État indépendant du Congo.

Le roi n'avait d'ailleurs jamais visité son empire africain. L'exploitation était conduite selon la loi du profit et sans ménager les Congolais.

Aussi, en 1904, la pression internationale contraignit Léopold à désigner une commission d'enquête sur les abus au Congo. En 1908, le roi céda son État indépendant du Congo au gouvernement de la Belgique.

Les Belges améliorèrent sans aucun doute le sort des Congolais : dans les années 1950, le Congo belge était l'un des pays les plus alphabétisés d'Afrique noire. Les conditions de vie y étaient meilleures qu'en bien des endroits.

Mais il y avait un revers à cette médaille : la scolarisation s'arrêtait au niveau du primaire. Peu de Congolais pouvaient entrer au lycée. Aucun, pratiquement, n'accédait à l'université.

A la différence des Anglais et des Français, les Belges ne ressentaient nul besoin de former des élites indigènes : à leurs yeux, le Congo n'accéderait à l'indépendance ou même à l'autonomie qu'au bout de plusieurs décennies. Sinon de quelques siècles.

L'affaiblissement du colonialisme

Un examen superficiel du Congo du début des années 1960 faisait comprendre les raisons de ce point de vue. Aucune colonie d'Afrique n'était moins agitée par les ferments nationalistes. La classe ouvrière, nombreuse et semi urbanisée, était tenue à l'écart du pouvoir.

Elle n'en semblait pas moins satisfaite de son sort, à la limite de la léthargie. Sans les événements décisifs qui se déroulaient ailleurs en Afrique, la Belgique aurait peut-être conservé son empire de longues années encore.

Mais, à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme connut en Afrique ses premiers ébranlements.

Affaiblies par la guerre, les puissances de l'Europe de l'Ouest n'avaient ni le goût ni les moyens d'entretenir les troupes nécessaires au maintien de leur souveraineté, et elles échouèrent dans leurs efforts pour s'opposer à la montée des nationalismes.

La guerre en Algérie, ou au Kenya, la lutte opposant Anglais et guérilleros mau-mau, n'empêchèrent pas l'indépendance de ces pays.

Une autre tentative vaine et ruineuse pour maintenir par la force la domination coloniale, celle du Portugal, se solda par le perte des colonies africaines d'Angola, de Mozambique, de Guinée-Bissau — dans les années 1970.

Mais, bien avant, une grande partie de l'Afrique avait accédé à l'indépendance, ainsi le Maroc et la Tunisie en 1956. La même année, la loi-cadre du 23 juin créait dans chaque territoire français d'outre-mer une assemblée élue aux pouvoirs délibérants et un conseil de gouvernement, embryon d'exécutif.

En fait, l'indépendance des États d'Afrique noire française ne tardera guère et s'effectuera dès les années 1960. Seule, l'Afrique du Sud, où les Blancs étaient très nombreux, parvint à maintenir intacte la suprématie blanche, en dépit de l'hostilité ou de la désapprobation du monde entier.

Ainsi, le flot des nationalismes montait autour du Congo belge. En 1955, un éminent théoricien politique belge, le professeur A.A.J. Van Bilsen, avait bien suggéré qu'on préparât le Congo à devenir indépendant au cours des trente prochaines années. Il n'éveilla que colère et moqueries.

Combien, parmi ses concitoyens, pouvaient imaginer une chose semblable : une nation congolaise forgée en trente ans ? Cinq ans plus tard, les Belges allaient quitter le Congo.

En 1957, il leur était devenu très difficile de tenir le Congo à l'écart des mouvements qui agitaient l'Afrique. Bruxelles prit alors une décision symbolique : trois cités congolaises pourraient élire des bourgmestres d'origine africaine.

L'un d'eux, élu à Léopoldville, Joseph Kasavubu, n'était autre que le chef de la puissante tribu des Bakongos. Il allait bientôt devenir le premier président du Congo.

Vers l'indépendance


Patrice Lumumba

En décembre 1958, un pan-africaniste ardent, le leader ghanéen Kwame Nkrumah, réunit à Accra une conférence de huit peuples africains indépendants.

Le Congo était représenté par un jeune homme aux idées révolutionnaires : Patrice Lumumba. Le groupement qu'il dirigeait, le Mouvement national congolais (M. N. C.), était au Congo le premier parti réellement national.

De retour dans son pays, Lumumba prit la parole au cours d'un rassemblement à Léopoldville, et réclama l'indépendance du Congo, provoquant une émeute à l'issue du meeting. Lumumba s'enfuit, mais les autorités belges finirent par l'arrêter : elles le tenaient pour responsable des désordres.

Par la suite, le jeune mouvement nationaliste trouva un appui dans le marasme économique et le chômage généralisé. Les quelques emplois disponibles servaient d'enjeu aux rivalités tribales. Le climat s'en trouvait encore alourdi. Le gouvernement belge fut alors brusquement saisi de panique. Il promit des réformes.

Des multitudes affamées se soulevaient dans le Congo tout entier. Le régime colonial, qui refusait hier encore l'idée même d'une évolution, se sentit virtuellement assiégé. Les Belges ne voulaient, et ne pouvaient envisager de se lancer dans une coûteuse guerre coloniale. Ils s'employèrent alors fébrilement à démanteler leur empire.

Au début de 1960, une conférence dite « de la Table ronde » se tint à Bruxelles pour décider de l'avenir du Congo. Parmi les délégués noirs se trouvait Patrice Lumumba, récemment libéré de prison.

Les Africains s'attendaient à de longues négociations : leurs exigences, pensaient- ils — l'indépendance avant cinq ans — provoqueraient une vive opposition. Mais la Belgique voulait en réalité se débarrasser du Congo.

A la stupéfaction des Africains, elle ne se montra que trop désireuse de trancher tous les liens.

Les dirigeants noirs, quant à eux, n'avaient guère eu le temps d'établir leurs propres projets, de définir leur programme ? Qu'importe. L'indépendance ne serait pas pour dans cinq ans, mais pour dans six mois à peine.

Des journées d'espoir et de crainte

Des élections nationales se déroulèrent au Congo en mai 1960. Elles portèrent au pouvoir un gouvernement de coalition. Soutenu par les populations urbaines et la paysannerie autarcique, ainsi que par plusieurs petites tribus du sud, Patrice Lumumba devint Premier ministre.

Son grand rival, Joseph Kasavubu, fut porté à la présidence. Ainsi une frontière était- elle déjà tracée entre les partisans nationalistes de Lumumba et les militants régionalistes du parti de Kasavubu, l'Abako.

Kasavubu, ainsi que le Katangais Moïse Tschombé, qui avait le soutien des Belges, voulaient faire du nouvel État une fédération très lâche, où prévaudraient les intérêts tribaux et régionaux.

A l'inverse, Lumumba souhaitait un pouvoir central fort. Il est fréquent en Afrique que s'opposent ainsi des aspirations nationalistes et des particularismes régionaux — dont beaucoup sont des résurgences des vieilles tribus et des anciens royaumes.

Mais, au Congo, le conflit allait bientôt déboucher sur une lutte implacable, comme cela se produirait six ans plus tard au Nigeria.

La situation était encore aggravée par le retrait précipité des Belges : ni l'administration ni l'armée n'avaient été suffisamment africanisées. Au moment de l'indépendance, toutes deux demeuraient largement sous contrôle européen.

Le 30 juin 1960, jour de l'indépendance du Congo, Baudouin, le jeune roi des Belges, prononça un discours à Léo poldville. Le Premier ministre désigné, Patrice Lumumba, en jugea la tonalité excessivement paternaliste. « Nous ne sommes plus vos singes ! » lança-t-il au roi.

Cinq jours plus tard, l'armée congolaise entrait en rébellion. Cette révolte allait conduire la nouvelle nation au bord de l'effondrement.

L'indépendance du Katanga


Moïse Tschombé

En quelques jours, la rébellion gagna l'armée tout entière. Craignant pour leur vie, les ressortissants belges commencèrent à quitter le pays en toute hâte. Des rumeurs d'assassinats, de viols et d'incendies — souvent fondées — firent les grands titres de la presse européenne et américaine.

Elles provoquèrent un mouvement d'opinion en faveur de la protection des Blancs. Des soldats belges furent dépêchés à Elisabethville et en d'autres endroits du Congo le 10 juillet 1960. Leur mission était d'assurer la sauvegarde des Européens et de leurs biens. C'était jeter de l'huile sur le feu.

La plupart des Congolais avaient attendu beaucoup de l'indépendance : chacun pensait en tirer toutes sortes d'avantages. Déçus de ne pas les voir se concrétiser aussitôt, les Congolais venaient constamment grossir les rangs des rebelles. Tout rivaux qu'ils étaient, les nationalistes comme les régionalistes comptaient tirer bénéfice de cette confusion.

Le 11 juillet, Moïse Tschombé proclama l'indépendance du Katanga, dont il était le leader. La perte de cette province du Sud, riche en minerais, risquait de priver le Congo de ses principales ressources. La sécession katangaise était encouragée par l'Union minière, une puissante multinationale qui contrôlait les énormes réserves de cuivre et de cobalt de la province.

Voyant sa nation envahie par les troupes belges, ses propres forces échapper à son contrôle et ses rivaux se tailler des empires indépendants, Patrice Lumumba lança un appel passionné aux Nations unies. Il réclamait leur intervention pour rétablir l'intégrité et la souveraineté du Congo.

Un chaos inextricable

Une force de l'O.N.U. fut dépêchée au Congo, mais sa mission était loin d'être claire. Certains intérêts occidentaux, qui avaient investi des millions de dollars dans l'Union minière, souhaitaient ardemment voir maintenu le gouvernement katangais de Moïse Tschombé.

Le secrétaire général de l'O.N.U., Dag Hammarskjôld, hésitait à lancer une véritable offensive au Katanga. Lumumba refusa en retour de laisser les troupes de l'O. N. U. désarmer les unités de l'armée congolaise dont il comptait se servir pour mener lui-même cette offensive.

Les nations indépendantes voisines du Congo avaient fourni l'essentiel des troupes de l'O.N.U. Elles-mêmes hésitaient sur le rôle à jouer. Elles redoutaient des explosions tribales et régionalistes sur leur propre territoire : le séparatisme katangais constituait à cet égard un ferment dangereux, qui pouvait encourager des forces centrifuges.

Mais, d'un autre point de vue, elles répugnaient à créer le précédent d'une immixtion dans les affaires internes d'un Etat voisin. Elles s'accordaient en revanche dans leur haine du néo-colonialisme représenté par les appuis occidentaux de Moïse Tschombé et dans leur soutien à l'attitude intransigeante de Lumumba. Mais elles allaient se révéler impuissantes à empêcher sa chute.

L'assassinat de Lumumba


Joseph Kasavubu

Lorsque Lumumba menaça d'en appeler à l'aide soviétique, les Occidentaux modifièrent leur attitude à l'égard du régime de Tschombé : leur appui tacite se changea en un soutien déclaré.

Le 5 septembre, Kasavubu, président du Congo, démit Lumumba de ses fonctions, au grand soulagement de Washington et de Bruxelles. Mais le Premier ministre refusa de s'incliner. A son tour, il déposa Kasavubu.

La situation fut dénouée neuf jours plus tard : un jeune colonel de l'armée congolaise, Joseph Mobutu, prit le contrôle du pouvoir pour le remettre après deux mois à Kasavubu, et se proclamer commandant en chef des forces armées.

Lumumba fut mis en résidence surveillée et les premiers techpiciens soviétiques arrivés au Congo furent expulsés. Puis, en janvier 1961, Lumumba fut transféré au Katanga et mis à la merci de son ennemi juré, Moïse Tschombé. Il fut assassiné moins d'un mois plus tard. Tschombé assura qu'il avait été tué lors d'une tentative de fuite.

Lumumba devint aussitôt le grand symbole du nationalisme africain. La nouvelle de sa mort provoqua de violentes réactions dans le monde entier et jusqu'au quartier général des Nations unies : le 15 février 1961, des Noirs manifestèrent dans la galerie des Visiteurs de l'Assemblée générale.

A l'automne de 1961, la lutte s'intensifia entre les unités des Nations unies et l'armée katangaise dirigée par des mercenaires européens. Les forces de l'O. N. U. occupèrent Elisabethville, la capitale du Katanga.

Le secrétaire général Hammar- skjôld tenta alors une ultime démarche pour la pacification et la réunification du Congo. Il arrangea une rencontre avec Tschombé. Celle-ci devait se dérouler à Ndola, en Rhodésie du Nord — l'actuelle Zambie.

L'avion d'Hammarskjôld approchait de l'aéroport de Ndola quand le pilote perdit le contrôle de l'appareil. L'avion s'écrasa et le secrétaire général fut tué. Les causes de l'accident ne furent jamais véritablement élucidées.

Retour à la paix

La mort d'Hammarskjôld dressa l'opinion mondiale contre le régime de Tschombé et ses mercenaires. Il faudrait pourtant attendre décembre 1962 pour que les forces de l'O. N. U. entreprennent une ultime campagne contre la sécession katangaise.

Presque tout le territoire du Congo était alors en rébellion. Les héritiers politiques de Lumumba tentaient d'instaurer un régime progressiste. Les régionalistes — dont certains disposaient d'armées privées — revendiquaient l'autonomie de leur région, quand ce n'était pas son indépendance.

Tout était prêt pour l'intervention d'un homme fort : en novembre 1965, le général Joseph Mobutu renversa Kasavubu sans effusion de sang et s'empara de la présidence.

L'accession au pouvoir de Mobutu marquait la fin de la guerre civile. Avec l'appui de l'armée, le général réprima très vite les mouvements séparatistes. Mais c'était aussi le glas d'une espérance : celle d'établir une démocratie parlementaire dans l'ancienne possession belge.

La création du Zaïre


Mobutu

Au cours des années 1960, le scénario allait se répéter un peu partout. De nombreux pays — en particulier le Dahomey (l'actuel Bénin), la Sierra Leone, le Ghana, l'Ouganda et le Nigeria — rejetèrent les formes démocratiques au profit de dictatures militaires.

Le régime militaire apportait au Congo la paix qui lui avait manqué sous les précédents gouvernements. Afin d'éliminer le souvenir de la période coloniale, on lui donna en 1971 le nom de Zaïre, selon l'appellation africaine du fleuve Congo.

Léopoldville devint Kinshasa, et le Katanga la province du Shaba. Mobutu nationalisa en 1966 l'Union minière et sut obtenir une aide importante des principaux pays occidentaux. La situation économique est pourtant extrêmement préoccupante, causée notamment par la diminution considérable des productions agricoles d'exportation, et par la chute ou l'instabilité du prix du cuivre.

Elle explique, conjuguée aux rivalités ethniques toujours vives, la défection d'une partie de la population à l'égard du gouvernement lors des deux nouvelles guerres du Shaba. Le 8 mars 1977, les hommes du Front de libération du Congo — parmi lesquels d'anciens combattants katangais — venus d'Angola, arrivèrent à 100 kilomètres de la ville minière de Kolwezi.

Le général Mobutu les repoussa avec l'aide matérielle française et un contingent militaire marocain. Mais une nouvelle attaque a lieu le 14 mai 1978, et cette fois Kolwezi fut occupée. Mobutu reprit à nouveau le contrôle de la province, mais des parachutistes français et belges durent intervenir pour évacuer les Européens.

Ces graves événements démontrent, outre la fragilité du gouvernement légal, que le temps des épreuves n'est pas terminé pour le Zaïre.



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