samedi 19 avril 2014

Les jours et les années à venir pourraient être durs pour l’Afrique (et la RDC)

le mardi 15 avril 2014


« Un peuple sa mémoire ne peut pas être un peuple libre. » D. MITERRAND

Il est toujours intéressant de relire l’histoire critique des relations tumultueuses entre l’Afrique et l’Europe pour mieux comprendre certains faits d’actualité et les principes qui les fondent. 

Si l’équivalence entre la colonisation et la civilisation a été un mensonge cousu de fil blanc, celle entre le néolibéralisme et la démocratie en est aussi un. 

Les guerres menées hier au nom de la civilisation le sont aujourd’hui au nom de la démocratie et des droits de l’homme en Afrique. C’est quand même curieux ! Celles de demain risquent d’être menées pour la protection de l’eau africaine. 

Pourquoi sommes-nous plusieurs Africains à ne pas comprendre cette instrumentalisation des valeurs civilisationnelles et démocratiques au nom des intérêts des ‘’petites mains du capital’’ ?

Après la chute du mur de Berlin, l’impression aurait été que le monde soit plus sûr pour tout le monde. Cela n’a pas été le cas pour l’Afrique. Il y a eu le génocide rwandais, les massacres à grande échelle des Hutu et des Tutsi et ‘’le génocide silencieux’’ au Congo (RD). 

Ensuite, la Côté d’Ivoire et la Libye ont été la cible des ‘’défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme’’ : Laurent Gbagbo est allé à la CPI et Kadhafi a été tué. 

Enfin, le Mali et la Centrafrique sont, à leur tour, tombés sous les coups des ‘’défenseurs du droit humanitaire international’’. 

Pendant tout ce temps, la Libye est en train de sombrer dans l’ensauvagement ; le Mali n’est pas encore pacifié ; la Centrafrique non plus. Le Rwanda et la RDC ploient sous le joug des ‘’nègres de service’’, ennemis de la vie africaine.

Dans presque tous ces pays, une infime minorité de compatriotes africains tire son épingle du jeu en travaillant en réseau avec la maffia transnationale. 

Face à cette situation, des auto-accusations se multiplient : c’est la faute des Africains ; de tous les Africains égoïstes et malades du pouvoir et de l’argent.

Si les élites compradores existent dans tous les pays du monde, les auto-accusations africaines semblent négliger une réflexion profonde sur ‘’les guerres humanitaires’’. 

Pour les initier, il faut être membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU. Jusqu’à ce jour, aucun pays africain n’est membre permanent de ce conseil (composé de la Russie, de la France, de la Chine, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne). 

Presque toutes ces ‘’guerres’’ ont été initiées par l’un ou l’autre membre permanent de ce conseil avec l’approbation explicite ou tacite des autres et de l’ONU.

Il est arrivé que leurs conséquences ne puissent pas être prévisibles. L’assassinat de Kadhafi et le pillage de la Libye par certaines entreprises des pays y ayant livré ‘’la guerre humanitaire’’, par exemple, ont créé un antécédent fâcheux entre la Russie, la Chine et les pays Occidentaux. 

Ces deux puissances émergentes ont opposé leur véto contre le vote pour ‘’la guerre humanitaire’’ programmée contre la Syrie comme réaction à ce qui s’est passé en Libye.

Il est quand même curieux que les mêmes qui, hier, ont cru qu’il était préférable que ‘’les sauvages africains’’ puissent être ‘’civilisés’’ soient encore aujourd’hui sur le devant de la scène martiale pour tirer les pays africains des griffes des dictateurs violant à tout bout de champ les droits de l’homme et les règles démocratiques ! 

Curieusement, les auto-accusations africaines semblent faire fi de la question qu’Aimé Césaire posait déjà en 1955 : « Qu’est-ce en son principe la colonisation ? ». 

Il s’en prenait à ‘’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions’’. 

Pour lui, « l’essentiel est (…) de voir clair, de penser clair, entendre dangereusement » en se rendant compte que la colonisation n’est « ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit » et « d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force (…) et d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes. »[1]

Césaire s’en prenait à ‘’une hypocrisie collective’’ occidentale en son principe mensonger posant l’équivalence entre la colonisation et la civilisation. Pour lui, la colonisation était abrutissante et décivilisatrice pour le colonialiste. 

Elle contribuait à sa dégradation en le réveillant aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale et au relativisme moral. Elle l’était aussi pour le colonisé opposé à ses frères et sœurs pour le triomphe du principe du ‘’diviser pour régner’’.

Cette décivilisation participait de la régression universelle et de l’ensauvagement du continent européen. Et celui-ci en a subi l’effet boomerang avec la naissance et la montée du nazisme.

A ce point nommé, Césaire est très intéressant et mérite d’être lu et relu. Il estime qu’ «il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, des démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arables, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. »[2] 

Le regain des extrêmes et du néonazisme en ce XXIe siècle pose sérieusement la question de la décivilisation de la bourgeoisie contemporaine, ‘’petite main du capital’’, réduite à 1% de la population de plusieurs pays occidentaux au moment où ‘’le cirque politique’’ lutte farouchement contre la souveraineté populaire.

Sans verser dans l’alarmisme, il y a lieu de soutenir que la décolonisation des pays africains n’a pas marché de pair avec la recivilisation de ‘’la petite main du capital’’. Elle ne s’est pas décolonisée[3]. 

 Et si hier elle organisait des guerres et des pillages, l’école et certaines confessions religieuses pour ‘’civiliser’’ ; aujourd’hui, elle les organise, instrumentalise l’école, l’université, les médias dominants et certaines confessions religieuses (et surtout pentecôtistes) pour que les pays africains accèdent à la démocratie et au respect des droits de l’homme. 

L’idéologisation de la démocratie et des droits l’homme ethnocentrés est, encore une fois, ‘’une hypocrisie collective’’ fondée sur un principe mensonger établissant une équivalence entre le néolibéralisme et la démocratie et les droits de l’homme.

Hier, au cours de la colonisation, l’Europe (son 1% dominant) a travaillé main dans la main avec les tyrans féodaux africains ; aujourd’hui, elle travaille avec le 1% de la bourgeoisie américaine, les ‘’tyrans féodaux modernes’’ de l’Afrique qu’elle se charge de temps en temps de remplacer (ou de tuer) pour donner l’impression d’un ‘’changement démocratique respectueux des droits de l’homme’’. 

En Afrique, ces ‘’tyrans’’ se chargent, encore aujourd’hui, de payer leur dette coloniale à leurs ex-métropoles.

Les jours, les mois et les années à venir ne semblent pas augurés de lendemains qui chantent pour l’Afrique. La présence de l’Africom en Afrique, des armées des pays proxys US, la chasse de la Chine des matières premières ne sont pas de nature à créer un climat propice à ‘’la pax africana’’. 

Dans un article[4] où sont évoquées les interventions de la France en Syrie, au Mali et en Centrafrique, Thierry Meyssan finit par poser cette question : « Où va la France ? » Et il répond : « Vers la reprise de la colonisation et la défense des intérêts du Medef ». 

Il ajoute : « Cette politique a sa logique : en temps de crise, il est impossible d’accroître l’exploitation de la classe ouvrière, il faut aller chercher les superprofits à l’étranger, chez des peuples qui n’ont pas les moyens de se défendre. Le sang va encore couler en Syrie et en Afrique (…). »

Ce chercheur et journaliste français est convaincu que François Hollande, l’actuel Président français, reconduit le modèle sociétal de Jules Ferry qui, pour défendre les intérêts du grand capital, développa le colonialisme. 

Il pourra détourner l’attention de la classe ouvrière exploité en programmant des ‘’guerres humanitaires pour la défense de la démocratie et les droits de l’homme’’ en Afrique. Il le fera, main dans la main avec l’oncle Sam.

Sera-t-il possible aux Africains et à l’Afrique de rompre avec ‘’ce principe mensonger’’ des ‘’guerres humanitaires’’ ? Cela sera très difficile et compliqué. Pour plusieurs raisons. 

La colonisation et le néocolonalisme ont ensauvagé plusieurs d’entre nous au point d’en faire les partisans de la guerre de tous contre tous. 

En s’engageant dans des ‘’oppositions non-maîtrisées’’, ils seront livrés aux conflits menant aux massacres, du pain béni pour les commanditaires des ‘’guerres humanitaires’’. 

L’ignorance ou la méconnaissance de l’histoire, le goût du pouvoir pour le pouvoir et la complicité avec ces commanditaires des ‘’guerres humanitaires’’ conduiront certains ‘’tyrans africains des temps modernes’’ à provoquer des guerres civiles, pain béni des va-t-en guerre ‘’ internationaux‘’. 

L’Amérique Latine déjoue ce piège depuis tout un temps. Plusieurs de ses pays organisent des élections respectueux tant soit peu des règles de l’art. Les gouvernements socialistes issus de ces élections constituent des grands ensembles pour parer aux éventualités des attaques extérieures. 

Ils commencent par se doter des armées et des politices majoritairement patriotes. Là où les conflits éclatent violemment malgré toutes ces précautions, la main est tendue au camp opposé pour le dialogue. 

Les traîtres de la cause nationale sont arrêtés et emprisonnés après un jugement en bonne et due forme. Là où les ambassadeurs et les ONG étrangers sont impliqués dans des conflits internes des pays concernés, ils sont renvoyés dans leurs propres pays. 

La Bolivie, l’Equateur et le Venezuela, etc. sont engagés sur cette voie. Et ça marche tant bien que mal.

Il peut aussi se faire que toutes les bonnes précautions prises ne puissent pas éviter à un pays une ‘’guerre humanitaire’’. Elle sert souvent (et même toujours ?) de moyen pour avoir accès aux matières premières stratégiques ou tout simplement pour éliminer des populations jugées ‘’inutilisables’’ par ‘’les maîtres du monde’’. 

Souvent, ces guerres sont fondées sur des motifs racistes et/ou racialistes comme en témoigne l’échange corsé entre Jules Ferry et Georges Clémenceau à l’Assemblée nationale française du 28 au 30 juillet 1885[5].

Ou les dignes filles et fils de la mama Africa comprennent que les conflits violents sont les viviers où viennent puiser les commanditaires racistes des ‘’guerres humanitaires’’ et décident collectivement des les éviter en optant pour le débat démocratique, la justice transitionnelle reconstructive (des pays déchirés par la guerre, les massacres et les assassinats ciblés) et le dialogue permanent ; ou ils décident de fermer les yeux et d’abandonner notre continent entre les mains des ‘’tyrans féodaux modernes’’, assoiffés du pouvoir pour le pouvoir et complices d’une éventuelle disparition de l’Afrique de la carte du monde. 

Un activisme citoyen et politique conséquent, une reconstruction patriotique des services de sécurité, etc. peuvent aider à rompre avec ‘’les guerres humanitaires’’. Petit à petit. 

Car ‘’les grands changements sont moléculaires’’. Les guerres, même ‘’humanitaires’’, sont une insulte à l’humanité de l’homme, au ‘’bomoto’’, au ‘’bumuntu’’, au ‘’ubuntu’’.
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Mbelu Babanya Kabudi
Congoone
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[1] A. CESAIRE, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 4.

[2] Ibidem, p. 6-7.

[3] Lire A. MBEMBE, Sortir de la gran La Bolivie, l’Equateur et le Venezuela, etc. sont engagés sur cette voie. de nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Dévouverte, 2013.

[4] T. MEYSSAN, François Hollande se révèle, dans Voltaire.org, du 14 avril 2014.

[5] P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, 138-141.

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