samedi 26 avril 2014
Les malheurs qui s’abattent sur les Congolais sont souvent précédés d’une série d’évènements auxquels l’opinion nationale et les autorités ne prêtent pas attention.
Ce qui se passe en Centrafrique depuis un an, et pire encore depuis janvier dernier, devrait préoccuper les dirigeants congolais au plus haut point.
La présence des troupes rwandaises à Bangui, acheminées à bord d’avions militaires américains, et l’importance du rôle qu’elles ont rapidement acquis dans le pays, confirment une inquiétude qui se lisait dans un article de Colette Braeckman de mars 2013.
La chute du Président Bozizé, un allié de la RDC et de l’Afrique du Sud, a pu être orchestrée par Kigali.
On s’est longtemps demandé quel intérêt Kigali avait dans la déstabilisation d’un pays aussi éloigné de ses frontières. On n’est plus loin de la réponse dont on se doutait.
Le Congo pour cible
Avec le départ de François Bozizé, toute la frontière nord de la RD Congo, longue de 1.577 km et couvrant deux provinces de la taille de la France[1], se trouvait dégarnie[2].
Plusieurs indices avaient trahi la main cachée du Rwanda pendant la conquête du pays par la Séléka, du Nord au Sud, jusqu’à l’assaut final sur la capitale Bangui malgré la résistance de l’armée sud-africaine. Treize soldats sud-africains avaient été tués durant les combats[3].
Contrairement à l’image des soudards qu’ils ont donnée une fois à Bangui, les hommes de la Séléka, durant la conquête du pays, étaient disciplinés, bien équipés et bien encadrés, ce qui trahissait la main cachée d’une puissance étrangère. Ils « descendaient de la province soudanaise du Darfour où se trouve déployé un contingent rwandais ».
Colette Braeckman fit remarquer que « Sur le plan militaire tout au moins, (les combattants de la Séléka) avaient peut-être bénéficié des conseils des stratèges du M23 ».
Les possibles liens entre la Seleka et les dirigeants rwandais avaient été ébruités au détour d’une maladroite allusion de Jean-Marie Runiga[4], l’ancien président du M23.
Un an plus tard, les agents rwandais, parrains du M23, ont discrètement, mais pratiquement, pris le contrôle de la Centrafrique sous couvert de la Misca (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique).
Si bien qu’ils peuvent impunément se livrer à des actes aussi graves que les assassinats des réfugiés rwandais qui vivaient en paix dans ce pays, semant, selon jambonews.net, la terreur dans la communauté rwandaise de Bangui[5].
Pour l’anecdote, au sujet de l’importance que le contingent rwandais de la Misca a prise en Centrafrique, la Présidente centrafricaine Catherine Samba-Panza est aujourd’hui sous la protection des soldats rwandais.
A Kinshasa, les autorités, depuis les guerres de l’AFDL, du RCD, du CNDP et du M23, savent mieux que quiconque ce que signifie « être sous la protection des soldats rwandais ».
SOS Province de l’Equateur ?
Ainsi la numéro un d’un pays aussi important, pour la sécurité du Congo, comme la Centrafrique devient-elle, comme certains dirigeants congolais à une certaine époque, une obligée du régime de Kagamé.
Et la capitale de son pays se trouve juste sur l’autre rive de la rivière Ubangui, en face de la ville congolaise de Zongo, Province de l’Equateur.
Cette région du Nord-Est du Congo n’a jamais été aussi proche de subir le même sort que la région du Kivu où les « gens qui assurent la sécurité de la Présidente centrafricaine » ont causé la mort de six millions de Congolais.
La relative paix qui régnait exceptionnellement dans cette partie du pays pourrait bientôt ne devenir que du passé. D’autant plus que les ingrédients de la déstabilisation sont tout à fait réunis.
En effet, dans cette province, parfois considérée comme la plus riche du Congo, on assiste à une accumulation des frustrations politiques[6] depuis la chute du Président Mobutu, natif de la région.
Par ailleurs, en dépit de ses immenses richesses, forestières notamment, la Province de l’Equateur bat des records en matière de pauvreté (93% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté[7]).
« En dépit de ses immenses richesses »… On a déjà entendu cette phrase un jour, quelque part… La République Démocratique du Congo se retrouve ainsi avec plusieurs voisins potentiellement dangereux, voire carrément menaçants, sur ses frontières : le Rwanda, bien évidemment (217 km), l’Ouganda (765 km), le Burundi (233 km), le Sud-Soudan (allié de Kampala et Kigali) (628 km) et maintenant la République Centrafricaine (1.577 km). Soit 3.420 km des frontières à surveiller rigoureusement, et encore.
Toi aussi « ma sœur » ?
La République « sœur » du Congo-Brazza inquiète depuis un curieux rapprochement entre les Présidents Denis Sassou-Nguesso et Paul Kagamé[8]. Ce rapprochement avait été concrétisé par la signature d’un accord de coopération dans le domaine du transport aérien.
Un premier vol, un cargo, avait décollé de Kigali vers Brazzaville le 06 mai 2013 avec à bord, officiellement, 30 tonnes de marchandises.
Selon le ministre rwandais du commerce et de l’industrie, François Kanimba, l’avion transportait essentiellement des produits agricoles[9] comme la viande, le haricot et de petits poissons séchés. Il était prévu qu’un appareil effectue chaque semaine un vol avec à bord des produits agricoles (farines de manioc, maïs, haricot, fruits, légumes). Une information officielle qui aurait dû mettre la puce à l’oreille.
En effet, quelle logique économique justifierait qu’on mobilise un avion pour transporter 30 tonnes de légumes, de fruits, de farine de manioc,… d’un pays comme le Rwanda qui manque d’espace agricole (419 hab./km²) vers un pays comme le Congo-Brazza disposant de vastes terres inexploitées (13 hab./km²) ?
On voit mal une compagnie aérienne rester longtemps rentable en convoyant des légumes d’un pays comme le Rwanda vers un pays agricole comme le Congo-Brazza.
Les « stratèges militaires du Congo-Kinshasa » seraient ainsi bien inspirés d’ajouter le Congo-Brazza sur la liste des pays dont la frontière commune (2.410 km) mérite une attention accrue.
Il est encore trop tôt d’établir un lien entre les expulsions des ressortissants du Congo Kinshasa par les autorités du Congo-Brazzaville[10] et le péril sur la Patrie de Lumumba qui prend forme sur l’axe Kigali-Bangui-Brazzaville.
La stratégie de l’encerclement
En tout cas, si la coopération militaire entre Kigali et Brazzaville, maquillée en convoyage des denrées agricoles, se confirme, les stratèges de Kigali auront réussi de main de maître, à l’échelle régionale, ce qui a toujours fait leur force sur les champs de bataille : encercler une cible militaire (ville, village, base ennemie), mener des infiltrations puis passer à l’attaque[11].
Kinshasa va devoir briller d’imagination pour « briser » l’encerclement. Peut-être en renforçant le contingent des FARDC[12] à Bangui. Mais tous les efforts pourraient être vains si la phase « infiltrations » a atteint, dans les institutions congolaises, le point de non-retour.
________________
Boniface MUSAVULI
[1] La Province de l’Equateur et la Province Orientale.
[2] « La chute de Bangui dégarnit la frontière nord du Congo Kinshasa », Le carnet de Colette Braeckman, 23 mars 2013, < http://blog.lesoir.be/colette-braec... ;
[3] « Centrafrique : 13 soldats sud-africains tués, les rebelles à Bangui », euronews.com, 25 mars 2013, < http://fr.euronews.com/2013/03/25/w... ;
[4] « Jean-Marie RUNIGA : La rébellion Séléka nous a beaucoup inspirés », kongotimes, 03 janvier 2013, < http://afrique.kongotimes.info/rdc/... ;
[5] « RCA : Terreur contre les réfugiés rwandais à Bangui : les témoins se confient à Jambonews », jambonews.net, 22 avril 2014, < http://www.jambonews.net/actualites... ;
[6] « RDC : Pourquoi « KABILA » veut le Chaos dans la Province de l’Equateur ? », kongotimes, 24 avril 2014, < http://afrique.kongotimes.info/rdc/... ;
[7] « RDC : 93% des habitants de l’Equateur vivent dans la pauvreté, selon la Banque mondiale », radiookapi.net 12 mai 2012, < http://radiookapi.net/economie/2012... ;
[8] « Congo-Brazza – RD Congo – Rwanda : A quoi joue Sassou-Nguesso ? », agoravox.fr, 17 août 2013, < http://www.agoravox.fr/actualites/i... ;
[9] « Ce que les Rwandais disent du Congo-Brazzaville de Sassou Nguesso », INGIHE.com, 12 mai 2013, <http://fr.igihe.com/l-investisseur/... ;
[10] « Congo-Brazzaville : les expulsions d’étrangers vers la RDC se poursuivent », rfi.fr, 11 avril 2014, < http://www.rfi.fr/afrique/20140411-... ;
[11] Jean-Jacques Wondo, Les armées au Congo – Radioscopie de la Force Publique aux FARDC, Ed. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, 2013, pp. 213-214.
[12] Forces Armées de la République Démocratique du Congo.
Les malheurs qui s’abattent sur les Congolais sont souvent précédés d’une série d’évènements auxquels l’opinion nationale et les autorités ne prêtent pas attention.
Ce qui se passe en Centrafrique depuis un an, et pire encore depuis janvier dernier, devrait préoccuper les dirigeants congolais au plus haut point.
La présence des troupes rwandaises à Bangui, acheminées à bord d’avions militaires américains, et l’importance du rôle qu’elles ont rapidement acquis dans le pays, confirment une inquiétude qui se lisait dans un article de Colette Braeckman de mars 2013.
La chute du Président Bozizé, un allié de la RDC et de l’Afrique du Sud, a pu être orchestrée par Kigali.
On s’est longtemps demandé quel intérêt Kigali avait dans la déstabilisation d’un pays aussi éloigné de ses frontières. On n’est plus loin de la réponse dont on se doutait.
Le Congo pour cible
Avec le départ de François Bozizé, toute la frontière nord de la RD Congo, longue de 1.577 km et couvrant deux provinces de la taille de la France[1], se trouvait dégarnie[2].
Plusieurs indices avaient trahi la main cachée du Rwanda pendant la conquête du pays par la Séléka, du Nord au Sud, jusqu’à l’assaut final sur la capitale Bangui malgré la résistance de l’armée sud-africaine. Treize soldats sud-africains avaient été tués durant les combats[3].
Contrairement à l’image des soudards qu’ils ont donnée une fois à Bangui, les hommes de la Séléka, durant la conquête du pays, étaient disciplinés, bien équipés et bien encadrés, ce qui trahissait la main cachée d’une puissance étrangère. Ils « descendaient de la province soudanaise du Darfour où se trouve déployé un contingent rwandais ».
Colette Braeckman fit remarquer que « Sur le plan militaire tout au moins, (les combattants de la Séléka) avaient peut-être bénéficié des conseils des stratèges du M23 ».
Les possibles liens entre la Seleka et les dirigeants rwandais avaient été ébruités au détour d’une maladroite allusion de Jean-Marie Runiga[4], l’ancien président du M23.
Un an plus tard, les agents rwandais, parrains du M23, ont discrètement, mais pratiquement, pris le contrôle de la Centrafrique sous couvert de la Misca (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique).
Si bien qu’ils peuvent impunément se livrer à des actes aussi graves que les assassinats des réfugiés rwandais qui vivaient en paix dans ce pays, semant, selon jambonews.net, la terreur dans la communauté rwandaise de Bangui[5].
Pour l’anecdote, au sujet de l’importance que le contingent rwandais de la Misca a prise en Centrafrique, la Présidente centrafricaine Catherine Samba-Panza est aujourd’hui sous la protection des soldats rwandais.
A Kinshasa, les autorités, depuis les guerres de l’AFDL, du RCD, du CNDP et du M23, savent mieux que quiconque ce que signifie « être sous la protection des soldats rwandais ».
SOS Province de l’Equateur ?
Ainsi la numéro un d’un pays aussi important, pour la sécurité du Congo, comme la Centrafrique devient-elle, comme certains dirigeants congolais à une certaine époque, une obligée du régime de Kagamé.
Et la capitale de son pays se trouve juste sur l’autre rive de la rivière Ubangui, en face de la ville congolaise de Zongo, Province de l’Equateur.
Cette région du Nord-Est du Congo n’a jamais été aussi proche de subir le même sort que la région du Kivu où les « gens qui assurent la sécurité de la Présidente centrafricaine » ont causé la mort de six millions de Congolais.
La relative paix qui régnait exceptionnellement dans cette partie du pays pourrait bientôt ne devenir que du passé. D’autant plus que les ingrédients de la déstabilisation sont tout à fait réunis.
En effet, dans cette province, parfois considérée comme la plus riche du Congo, on assiste à une accumulation des frustrations politiques[6] depuis la chute du Président Mobutu, natif de la région.
Par ailleurs, en dépit de ses immenses richesses, forestières notamment, la Province de l’Equateur bat des records en matière de pauvreté (93% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté[7]).
« En dépit de ses immenses richesses »… On a déjà entendu cette phrase un jour, quelque part… La République Démocratique du Congo se retrouve ainsi avec plusieurs voisins potentiellement dangereux, voire carrément menaçants, sur ses frontières : le Rwanda, bien évidemment (217 km), l’Ouganda (765 km), le Burundi (233 km), le Sud-Soudan (allié de Kampala et Kigali) (628 km) et maintenant la République Centrafricaine (1.577 km). Soit 3.420 km des frontières à surveiller rigoureusement, et encore.
Toi aussi « ma sœur » ?
La République « sœur » du Congo-Brazza inquiète depuis un curieux rapprochement entre les Présidents Denis Sassou-Nguesso et Paul Kagamé[8]. Ce rapprochement avait été concrétisé par la signature d’un accord de coopération dans le domaine du transport aérien.
Un premier vol, un cargo, avait décollé de Kigali vers Brazzaville le 06 mai 2013 avec à bord, officiellement, 30 tonnes de marchandises.
Selon le ministre rwandais du commerce et de l’industrie, François Kanimba, l’avion transportait essentiellement des produits agricoles[9] comme la viande, le haricot et de petits poissons séchés. Il était prévu qu’un appareil effectue chaque semaine un vol avec à bord des produits agricoles (farines de manioc, maïs, haricot, fruits, légumes). Une information officielle qui aurait dû mettre la puce à l’oreille.
En effet, quelle logique économique justifierait qu’on mobilise un avion pour transporter 30 tonnes de légumes, de fruits, de farine de manioc,… d’un pays comme le Rwanda qui manque d’espace agricole (419 hab./km²) vers un pays comme le Congo-Brazza disposant de vastes terres inexploitées (13 hab./km²) ?
On voit mal une compagnie aérienne rester longtemps rentable en convoyant des légumes d’un pays comme le Rwanda vers un pays agricole comme le Congo-Brazza.
Les « stratèges militaires du Congo-Kinshasa » seraient ainsi bien inspirés d’ajouter le Congo-Brazza sur la liste des pays dont la frontière commune (2.410 km) mérite une attention accrue.
Il est encore trop tôt d’établir un lien entre les expulsions des ressortissants du Congo Kinshasa par les autorités du Congo-Brazzaville[10] et le péril sur la Patrie de Lumumba qui prend forme sur l’axe Kigali-Bangui-Brazzaville.
La stratégie de l’encerclement
En tout cas, si la coopération militaire entre Kigali et Brazzaville, maquillée en convoyage des denrées agricoles, se confirme, les stratèges de Kigali auront réussi de main de maître, à l’échelle régionale, ce qui a toujours fait leur force sur les champs de bataille : encercler une cible militaire (ville, village, base ennemie), mener des infiltrations puis passer à l’attaque[11].
Kinshasa va devoir briller d’imagination pour « briser » l’encerclement. Peut-être en renforçant le contingent des FARDC[12] à Bangui. Mais tous les efforts pourraient être vains si la phase « infiltrations » a atteint, dans les institutions congolaises, le point de non-retour.
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Boniface MUSAVULI
[1] La Province de l’Equateur et la Province Orientale.
[2] « La chute de Bangui dégarnit la frontière nord du Congo Kinshasa », Le carnet de Colette Braeckman, 23 mars 2013, < http://blog.lesoir.be/colette-braec... ;
[3] « Centrafrique : 13 soldats sud-africains tués, les rebelles à Bangui », euronews.com, 25 mars 2013, < http://fr.euronews.com/2013/03/25/w... ;
[4] « Jean-Marie RUNIGA : La rébellion Séléka nous a beaucoup inspirés », kongotimes, 03 janvier 2013, < http://afrique.kongotimes.info/rdc/... ;
[5] « RCA : Terreur contre les réfugiés rwandais à Bangui : les témoins se confient à Jambonews », jambonews.net, 22 avril 2014, < http://www.jambonews.net/actualites... ;
[6] « RDC : Pourquoi « KABILA » veut le Chaos dans la Province de l’Equateur ? », kongotimes, 24 avril 2014, < http://afrique.kongotimes.info/rdc/... ;
[7] « RDC : 93% des habitants de l’Equateur vivent dans la pauvreté, selon la Banque mondiale », radiookapi.net 12 mai 2012, < http://radiookapi.net/economie/2012... ;
[8] « Congo-Brazza – RD Congo – Rwanda : A quoi joue Sassou-Nguesso ? », agoravox.fr, 17 août 2013, < http://www.agoravox.fr/actualites/i... ;
[9] « Ce que les Rwandais disent du Congo-Brazzaville de Sassou Nguesso », INGIHE.com, 12 mai 2013, <http://fr.igihe.com/l-investisseur/... ;
[10] « Congo-Brazzaville : les expulsions d’étrangers vers la RDC se poursuivent », rfi.fr, 11 avril 2014, < http://www.rfi.fr/afrique/20140411-... ;
[11] Jean-Jacques Wondo, Les armées au Congo – Radioscopie de la Force Publique aux FARDC, Ed. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, 2013, pp. 213-214.
[12] Forces Armées de la République Démocratique du Congo.
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