samedi 12 avril 2014

Rwanda - Génocide - France : Kagamé fait du cinéma

samedi 12 avril 2014

Bien des gens continuent de parler du génocide rwandais en faisant abstraction de la chronologie des évènements, depuis le lancement de la rébellion du FPR, à partir de l’Ouganda, jusqu’aux guerres d’agression contre le Congo par l’armée de Paul Kagamé, en passant par l’attentat du 06 avril 1994. 

Ils font également abstraction de l’affrontement des grandes puissances occidentales, sur le sol africain, dans la foulée de la chute du Mur de Berlin. 

Suivant cette lecture réductrice, nous ne devrions retenir du génocide rwandais (ou des Tutsis) que la volée des machettes s’abattant sur des victimes sans défense et l’arrivée d’un héros mythique, le général Paul Kagamé, qui arrête le génocide là où toute la communauté internationale s’était avouée incapable. 

Nous devrions surtout nous mettre à plusieurs pour hurler à tue-tête contre la France dont les soldats n’auraient jamais dû se trouver dans les parages.

Une présentation comme celle-là relève des scénarios d’Hollywood, mais Kagamé, en "superman", peut encore compter sur un vaste réseau international de personnalités, d’associations, de journalistes et de dirigeants politiques, toujours prêts à relayer son « histoire à dormir debout ».
 

En réalité, dans un conflit armé, pas plus du Rwanda que d’ailleurs, les choses sont toujours infiniment plus compliquées qu’elles n’en ont l’air. Les premières impressions sont d’ailleurs, trop souvent, en totale contradiction avec ce qu’on découvre, lorsqu’on se donne juste la peine de « gratter un peu ». 

En tout cas, l’histoire officielle du génocide rwandais sert essentiellement d’écran de fumée pour que ne soient jamais posées les questions de fond comme cette question simple : « comment en est-on arrivé là ? »

Une guerre de transit

La réponse à cette question commence à apparaître deux ans après le génocide rwandais, lorsque Paul Kagamé fait parvenir ses combattants du FPR dans les rues de Kinshasa, la capitale du grand voisin Zaïre, à plus de deux mille kilomètres des frontières rwandaises. 

C’était donc ça, dès le départ, l’enjeu de cette affaire rwandaise. On aura ainsi sacrifié deux Présidents africains, près d’un million et demi de Rwandais, Hutus comme Tutsis, au Rwanda même et dans les forêts du Congo pour que les hommes de Kagamé prennent possession du Zaïre et permettent aux multinationales (anglo-saxonnes pour la plupart) de faire main basse sur ses immenses gisements miniers. 

La guerre du Rwanda, qui a culminé sur le génocide, n’aura été, sur le fond, qu’une « guerre de transit », l’enjeu étant, dès le départ, le Zaïre de Mobutu et ses gisements miniers.

Au début des affrontements entre les troupes de Kagamé et l’armée gouvernementale rwandaise, la France ne s’imagine pas encore que ces maquisards qui harcèlent son « régime ami » d’Habyarimana ont, en réalité, pour mission, d’aller jusqu’à Kinshasa. 

Une vaste coalition anglo-saxonne s’était formée autour du Président ougandais Yoweri Museveni avec pour objectif ultime : la conquête du « Zaïre de Mobutu ». 

Il fallait coûte que coûte que le Rwanda passât sous contrôle militaire de l’alliance Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Israël et l’Ouganda[1] pour que débute, dans la province congolaise du Sud-Kivu, une guerre qui, sur le plan géostratégique, va se solder par l’éjection de la France de cette région d’Afrique et la consolidation des intérêts anglo-saxons.

Depuis, Paris a encaissé le coup et ne cherche plus la confrontation avec Londres et Washington au sujet de la région des Grands Lacs africains, et encore moins au sujet du Rwanda, son ancien pré-carré. 

Ce qui lui permet de laisser l’histoire plaider librement sa cause alors que le Président rwandais livre au monde, jour après jour, son vrai visage et laisse transparaître les agendas cachés qui se concoctaient derrière l’indémêlable affaire qu’était cette guerre du Rwanda. On commence à comprendre…

Le temps joue contre Kagamé

Avec le temps, les mystères de la guerre du Rwanda s’estompent. Les secrets longtemps gardés en coulisse font surface au fil des révélations que vont livrer, l’un après l’autre, les très proches du « Maître de Kigali ». 

Ils peuvent parler parce qu’ils sont en exil, après avoir fui le pays qu’ils avaient pourtant conquis au prix de leur sang. Ils continuent de parler même lorsque leur ancien camarade de maquis envoie des sbires à leur trousse pour les assassiner. A l’étranger.

Ainsi ne reste-t-il plus qu’un secret de polichinelle de l’attentat du 06 avril 1994 contre l’avion du Président Juvénal Habyarimana, qui coûta la vie au chef d’Etat rwandais, au Président burundais Cyprien Ntaryamira et aux Français Jean-Pierre Minaberry, Jack Héraud et Jean-Marie Perine, membre de l’équipage. 

L’acte est considéré par l’ONU comme étant l’élément déclencheur du génocide rwandais, et ses commanditaires étaient conscients des conséquences de leur acte. La CIA, qui soutenait Kagame, avait évoqué, dans un rapport, la possibilité de 500 mille morts.

Dans une interview accordée à RFI, en juillet dernier, le général Patrick Karegeya accuse directement Kagamé, qu’il connait de longue date, d’être l’instigateur de l’attentat et de préciser « Nous savons d’où les missiles sont partis, qui les a acheminés, qui a tiré. Nous ne spéculons pas. On parle de quelque chose que l’on connait. »[2] 

L’homme est assassiné cinq mois plus tard, à Johannesburg, ce dont se réjouis Kagamé qui promet à tous ceux qui le trahissent de devenir des victimes. 

La prochaine cible sera un autre général rwandais en exil, Faustin Kayumba, dont la résidence est attaquée le 04 mars dernier par des hommes armés, attaque qu’il attribue à son ancien camarade de maquis, Paul Kagamé. Il avait déjà échappé à une tentative d’assassinat en juin 2010.

Ces intimidations ne suffiront toutefois pas à discréditer la thèse d’un attentat orchestré par le Président actuel et bien des noms y souscrivent. 

Dernier en date : Jean-Marie Micombero, un ancien major du FPR et officier de renseignement du 3ème bataillon de l’APR, qui a assisté à la préparation de l’attaque de l’avion du président Habyarimana. Il affirme que « Paul Kagamé est le seul auteur de l’attentat terroriste »[3].

Autant d’éléments qui confortent la thèse retenue dès le départ par l’avocat australien Michael Hourigan, fonctionnaire de l’ONU et que le TPIR, avait chargé d’enquêter pour identifier les commanditaires et les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994. 

C’est aussi la thèse retenue depuis le départ par le juge espagnol Fernando Andreu Merelles, qui a ouvert un dossier contre les dirigeants du Front Patriotique Rwandais pour crimes contre l’humanité et actes de terrorisme. 

D’autres noms, et non les moindres, renforcent cette thèse comme les journalistes (Pierre Péan, Charles Onana,…) qui, constants dans leurs ouvrages successifs, apportent des éclaircissements qui ne laissent plus planer aucun doute.

Le Président rwandais est ainsi tout simplement « rattrapé par ses propres faits »[4]. « Ses propres turpitudes », pour reprendre la formule de Paul Quilès, Président de la mission parlementaire d’information sur le Rwanda en 1998, réagissant aux nouvelles provocations du dictateur rwandais contre la France.

Kagamé au futur, au présent ou au passé ?

Sur le plan régional, Kagamé continue de s’accrocher, avec des procédés déraisonnables, sur ce Congo que les Anglo-Saxons l’avaient chargé de conquérir. 

Mais les Congolais l’exècrent après les millions de morts qu’il a occasionnés dans ce pays et des centaines de milliers de femmes qu’il y a fait violer. Les Congolais font la fête sur une simple rumeur, même démentie, annonçant la mort du dictateur

Son homme de main, Joseph Kabila, imposé à Kinshasa, se sait menacé par la population s’il continue de sacrifier les Congolais pour honorer ses accords secrets avec Kagamé. 

Kabila doit sauver son fauteuil et s’allie sournoisement avec les Sud-africains, première puissance économique d’Afrique, qui ont de gros intérêts au Congo, et les Tanzaniens que Barack Obama semble préférer à Kagamé.

Un premier face-à-face militaire se déroule dans le Kivu en août 2013. Les tireurs d’élite sud-africains et les soldats tanzaniens déployés dans le cadre de la brigade d’intervention de la Monusco tiennent tête aux hommes de Kagamé du M23 qui battent en retraite. 

Pendant ce temps une coalition des opposants rwandais comprenant des Tutsis et des Hutus continue de se renforcer. Même les FDLR sur qui pèse la culpabilité du génocide sont devenues une force tout à fait fréquentable pour les opposants rwandais en exil - cas de l’ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu[5] - des Hutus comme des Tutsis.

Seul contre tous ?

Kagamé fait ainsi l’unanimité contre lui, et il le sait. Il sait surtout qu’il est le principal responsable de la situation dans laquelle il se trouve. Il saisit le 20ème anniversaire du génocide rwandais pour tenter une énième propagande en essayant de se mettre au centre de l’actualité internationale, histoire de s’octroyer la sympathie des Occidentaux qui commencent à découvrir le vrai visage de l’homme qu’ils ont longtemps chouchouté, et qui, peu à peu, prennent du recul[6]. Cette fois-ci ça ne marche pas.

La France boycotte et sauve l’honneur de ses soldats qu’un dictateur, quelque part en Afrique, ne cesse d’accabler avec des accusations grotesques. Alors même que ces jeunes gens furent les seuls soldats occidentaux qui risquèrent leurs vies dans le pays, sous le mandat de l’ONU, pour sauver des vies rwandaises que les grandes puissances avaient décidé de sacrifier. 

On n’oubliera jamais la phrase : « s’il y a un prix à payer… » qui condamna les « Tutsis de l’intérieur ».

La France s’honore surtout en refusant d’aller présenter des excuses à un tyran qui, dans ses campagnes meurtrières, n’aura même pas pris la précaution d’épargner des rescapés du génocide[7], contraints, comme bien d’autres Rwandais, de partir en exil pour fuir une dictature parmi les plus atroces de la planète. Un comble !

Que reste-t-il des gesticulations du Président rwandais et des accusations contre la France ?

Du cinéma !
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Boniface MUSAVULI

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[1] Patrick Mbeko, Le Canada dans les guerres en Afrique centrale – Génocides & Pillages des ressources minières du Congo par Rwanda interposé, Le Nègre Editeur, 2012

[2] « Nous savons d’où les missiles sont partis », Interview de Patrick Karegeya par Sonia Rolley, rfi.fr du 09 juillet 2013, < http://www.rfi.fr/afrique/20130708-... ;

[3] « J'ai assisté à la préparation de l'attentat qui a déclenché le génocide », témoignages recueillis par Pierre Péan, marianne.net du 31 mars 2014, < http://www.marianne.net/Rwanda-J-ai... ;

[4] « Vingt ans après, Kagame rattrapé par ses propres faits ? », Jean-Jacques Wondo, DESC-WONDO du 09 avril 2014, < http://desc-wondo.org/vingt-ans-apr... ;

[5] « Rwanda : l'opposant Faustin Twagiramungu se rapproche des FDLR », jeunafrique.com du 17 janvier 2017, < http://www.jeuneafrique.com/Article... ;

[6] Très édifiant ce passage de l’ouvrage de la journaliste belge Colette Braeckman « J’avoue que c’est au Congo, au vu du comportement des hommes de Kagame, que j’ai pris la mesure des accusations de crime de guerre qui pesaient sur le FPR pour son comportement durant le génocide – et même durant les années précédentes. C’est au vu de la violence déployée hors des frontières, de ce mépris manifesté à l’égard des Congolais, dont la mort ou la vie ne pesaient d’aucun poids, que s’est dissipé le crédit accordé au FPR rwandais (…). Les dramatiques événements du Congo, où l’exportation de la violence a de loin dépassé la nécessaire sécurisation des 260 kilomètres de frontière commune, m’ont obligée à prendre du recul, incité à me rappeler les origines du mouvement et la trajectoire personnelle de ses principaux membres. » (C. Braeckman, Les nouveaux prédateurs Ed. Aden Belgique, 2009, p.265).

[7] Le cas emblématique est sûrement celui de René Mugenzi, militant des droits de l’Homme. Un rescapé du génocide exilé en Angleterre. Le 12 mai 2011, il reçoit la visite de la police métropolitaine de Londres. Un certain détective James Boyd l'informe que sa vie est en danger. Dans le document de notification de Scotland Yard, il est précisé que « le gouvernement rwandais menaçait sa vie de façon imminente ». Le très sérieux MI5 aurait découvert en avril 2011 que Kigali projetait d'assassiner certains de ses ressortissants sur le sol britannique, dont, justement, le rescapé du génocide, René Mugenzi. Cf. « René Mugenzi sur l'assassinat d'opposants rwandais : « La communauté internationale n'a rien fait », rfi.fr du 08 janvier 2014, <http://www.rfi.fr/afrique/20140108-... ;

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