samedi 12 juillet 2014

Néo-patrimonialisme et impuissance des Etats africains


Professeur de science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux et responsable du DEA d’Etudes Africaines au Centre d’Etude d’Afrique Noire de Bordeaux, Jean-François Médard, qui a tiré sa révérence en septembre 2005, a découvert un virus que les Africains connaissent très bien mais contre lequel ils ne pensent même pas trouver de remède. 

Il s’agit du néo-patrimonialisme, cette « confusion de la chose publique et de la chose privée qui est si généralisée en Afrique qu’on en arrive à mettre en question la notion même de l’Etat, laquelle repose justement sur cette distinction ». 

Le néo-patrimonialisme n’est pas l’apanage des dictatures africaines d’hier et d’aujourd’hui. Il reste d’actualité dans toutes les « démocraties » africaines actuelles. Serait-ce une fatalité ?

Illustrations

L’acquisition des avions présidentiels défraient souvent la chronique en Afrique. Ce fut, par exemple, le cas sous la présidence d’Abdoulaye Wade au Sénégal. Quand celui-ci prend ses fonctions en avril 2000, il reçoit de ses prédécesseurs un avion de commandement, un Boeing 727 baptisé La Pointe de Sangomar. 

Que fait Wade quand il ne trouve pas cet avion à son goût ? 

Il interroge le Premier Ministre d’alors, Moustapha Niasse. Ce dernier, qui doit son poste juteux au Président de la République, recommande naturellement l’achat d’un nouvel appareil. 

Abdoulaye Wade pose ensuite la question devant le Conseil des ministres, ceux-ci lui devant également leurs postes tout aussi juteux. Même réponse. A l’unanimité ! 

Wade a tout de même quelques scrupules et décide plutôt de voir ce que coûterait la réhabilitation de l’appareil. Il consulte par ses propres soins des experts britanniques et français. Une fois le montant connu, 17 milliards de francs CFA, il ordonne au Ministre des Finances, qui lui doit tout aussi bien son poste juteux, de payer. 

La Pointe de Sangomar est réhabilité avec à son bord un salon de coiffure pour la première dame. Dix ans après, c’est-à-dire en avril 2010, Wade s’offre pour 32 millions d’euros un Airbus 319 de 30 places, un des deux avions du président français Nicolas Sarkozy retirés du service, suscitant un tollé dans son pays où les pénuries sont nombreuses et dont la majorité des habitants vit dans la pauvreté.

En août 2013, Ibrahim Boubacar Keïta dit IBK fut élu à la présidence de la République avec près de 78% des électeurs inscrits. Alors qu’on ne lui connaissait aucune réflexion ou stratégie sur la démocratie ou la bonne gouvernance, son élection avait suscité d’immenses espoirs à travers le Mali, en Afrique et dans le monde. 

Pour arriver au pouvoir, il avait juste frappé les esprits par des slogans simples mais parlants tels que : « Le Mali d’abord! », « Pour l’honneur du Mali, le bonheur des Maliens!», « la dignité du peuple!». Le genre même de slogans qu’on rencontre partout en Afrique de la part des hommes acclamés comme des novateurs. 

Sous l’ancien régime, pour les voyages présidentiels, l’Etat malien avait acquis un Boeing 727 déjà dans des conditions d’opacité totale. Alors que cet avion est en bon état et que l’assurance contractée auprès de l’assureur londonien, Allianz, a été renouvelée jusqu’en 2015, le nouveau Président refuse de l’utiliser et décide d’acquérir, dans des conditions tout aussi opaques, un nouveau Boeing 737-700 dont le coût serait de 17 milliards de francs CFA.

Comme Wade, IBK a eu juste à donner des ordres au Ministre des Finances qui lui doit son poste juteux.

Journaliste d’investigation et auteur dont les articles ont paru dans le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, The Atlantic Monthly, Newsweek, The New Republic, National Review, PJ Media.com, et Reader’s Digest ; ancien éditorialiste et chroniqueur pour le Wall Street Journal en Europe, ainsi que membre de l’équipe de reportage d’investigation du Sunday Times de Londres ; Richard Miniter, actuellement chroniqueur sur la sécurité nationale pour Forbes, fait des révélations non pas sur la nature mais sur l’étendue de ce que les Congolais connaissent déjà : « Joseph Kabila a érigé la kleptocratie en une affaire de famille. Son frère, Souleymane Kabila, est soupçonné d’avoir détourné $300 millions du trésor public. Le frère et la sœur de Kabila (Zoé et Jaynet), qui sont tous les deux députés nationaux, possèdent une société qui détient le monopole de tous les imprimés du gouvernement congolais. C’est le cas notamment du nouveau passeport biométrique ».

Démission de l’intelligence

Comment réagissent les Africains face à cette éternelle « confusion de la chose publique et de la chose privée » ? 

Dans le dernier cas sénégalais, Hélène Tine, une responsable de l’opposition hausse le ton : « C’est un crime contre le peuple sénégalais. Des gens qui font de telles dépenses ne sont pas équilibrés mentalement. C’est une dépense qui n’est autorisée ni dans le budget 2009 ni dans celui de 2010. Elle est illégale ». 

Au Mali, le Parti pour la renaissance nationale (PARENA) « invite IBK à annuler l’achat de ce nouvel avion », tout en sachant qu’il ne le fera pas. Et le Parena d’argumenter dans le désert : « Un pays comme le Mali, à peine sorti de la crise, sous perfusion internationale peut-il se permettre un tel luxe ? 

Qu’en penseront les contribuables des pays qui apportent une aide budgétaire à notre pays ? 

Qu’en penseront les populations maliennes aujourd’hui éprouvées par les difficultés en tous genres dont les coupures d’eau et d’électricité ? 

Qu’en penseront les populations des villes du Nord qui baignent dans le noir ? 

Dix-sept milliards, c’est le coût de construction d’une trentaine de lycées modernes (environ 600 millions par lycée) avec bibliothèques, salles informatiques, salles de professeurs, laboratoires et bureaux pour l’administration. 

Dix-sept milliards, c’est presque trois hôpitaux modernes du type Dolo Sominé de Sévaré qui a coûté 6 milliards 268 millions ». 

Faut-il expliquer comment réagissent les Congolais, eux qui le 24 avril 1990 dansaient déjà au rythme du Mutwashi rien qu’en entendant Mobutu prononcer les mots multipartisme et démocratie ?

En Afrique, on a la fâcheuse tendance à prêter de bonnes intentions à ceux qu’on élit. On s’imagine que par amour patriotique, nationalisme ou bien d’autres fadaises si fréquentes dans leurs discours et dissertations politiques, les présidents élus se comporteraient comme Joyce Banda, la Vice-présidente de la République du Malawi devenue présidente (7 avril 2012-31 mai 2014) en succédant au défunt Bingu wa Mutharika. 

Joyce Banda fut en effet l’un des rarissimes chefs d’Etat à emprunter les avions de lignes pour ses déplacements présidentiels, après avoir vendu son aéronef, acquis par son prédécesseur pour 22 millions de dollars et dont l’entretien coûtait chaque année plus de 300 milles dollars au contribuable. 

Le produit de cette vente, qui devrait atteindre 15 millions de dollars, sera consacré à l’achat de maïs et de légumes pour faire face à la pénurie alimentaire dont 10% de la population était victime. 

Femme battue par son premier mari, Joyce Banda, qui consacrera l’essentiel de ses efforts à lutter pour l’émancipation des femmes et l’éducation des filles avait également réduit ses émoluments de 30% et mis en vente les 35 voitures Mercedes Benz qui composaient le parc auto de son cabinet. 

Mais il ne s’agit-là que d’une exception qui confirme la règle générale qui voudrait que l’on ne prête pas la moindre bonne intention aux chefs d’Etat. 

L’expérience du pouvoir en Afrique démontre clairement qu’on doit toujours leur prêter de mauvaises intentions néo-patrimonialistes et qu’à cet égard, on doit chercher à les coincer à travers des institutions bien appropriées du genre de celles dont nous avons dessiné les contours pour l’avènement d’une démocratie endogène au Congo-Kinshasa. 

Mais quand pour acquérir un bien qui profiterait au président de la République, les institutions du pays laisse à ce dernier la possibilité d’être à la fois juge et partie, où est le check and balance ? 

Que fait-on de la transparence tant vantée au nom de la démocratie ? 

Faut-il être un spécialiste en sciences politiques pour se rendre compte que les institutions sont alors éminemment défaillantes ?

La nature ayant horreur du vide, le vide crée par les Africains en matière institutionnelle et qui pérennise le néo-patrimonislisme, est parfois comblé par les « méchants impérialistes occidentaux ». 

Face à l’impuissance de la loi fondamentale malienne de sanctionner IBK pour ses pratiques néo-patrimonislistes, le bras de fer avec les autorités maliennes est engagé par le Fonds monétaire international. 

Le FMI demande depuis le mois de mai dernier des explications sur l’achat du nouvel avion présidentiel à 30 millions d’euros, et sur un contrat d’équipements passé par le ministère malien de la Défense pour 105 millions d’euros. 

En attendant, le versement de ses crédits est gelé. Au Congo-Kinshasa, pays où le peuple ne peut mettre en branle aucune institution démocratique pour exiger le respect de sa loi fondamentale ou sanctionner celui qui la viole sans arrêt alors qu’il est censé garantir son respect, ce sont une fois de plus les « méchants impérialistes occidentaux » qui sont aujourd’hui déterminés à imposer ce respect afin de mettre un terme à la prise en otage de l’Etat par une fratrie, pour son enrichissement personnel. Où est l’intelligence des Africains ?

Conclusion

Quand s’adressant au parlement ghanéen, le 11 juillet 2009, le président américain Barack Obama martèle que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, elle a besoin des institutions fortes », il ne fait qu’indiquer une voie. Il appartient aux Africains de la déblayer. Mais rien de tel n’est entrepris en Afrique et cela depuis les indépendances. 

S’imaginerait-on que les institutions fortes tombent du ciel ou de l’Occident ? 

Faut-il être un savant pour s’apercevoir qu’il s’agit-là d’un travail de conception ? 

N’est-ce pas l’absence criante de ce travail de conception qui explique que l’Afrique aille de mal en pis en dépit des déclarations tonitruantes des démocrates autorisés à penser qui promettent la vraie démocratie ou l’Etat de droit sans jamais expliquer comment y parvenir ? 

Quand le président de la République confond la chose publique et de la chose privée sans pour autant violer la moindre disposition constitutionnelle, n’est-ce pas qu’il y a clairement quelque chose qui ne tourne pas rond ? 

Comment peut-on être aveugle au point de suivre des hommes politiques qui ne proposent aucune innovation concrète au chapitre de la démocratie et de la bonne gouvernance et qui promettent des horizons qui chantent dans le contexte des institutions et constitutions actuelles ? 
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Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
© Congoindépendant

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