mardi 19 août 2014

Emeutes de Ferguson: les noirs américains n'ont plus de leaders capables de défendre leurs droits

le 19/08/2014

   
Manifestations à Ferguson, Missouri, 19 août 2014 / REUTERS

Et où l'on comprend que les droits civiques des noirs représente une lutte permanente aux Etats-Unis.

Depuis le 9 août, des émeutes se succèdent à Ferguson, une petite ville de la banlieue de Saint-Louis, dans le Missouri, aux Etats-Unis. 

Cette nuit-là, un jeune homme noir de 18 ans, Michael Brown est abattu de six balles dont deux à la tête par un policier blanc. Les circonstances du drame ne sont pas encore élucidées. Mais les premiers résultats de l’autopsie n’indiquent aucune trace de bagarre. 

Certains témoins affirment que Michael Brown avait les mains en l’air avant d’être tué. La police, quant à elle, soutient la thèse d’une provocation de la part du jeune homme.

Les incidents qui ont suivi ce meurtre ont fait deux blessés et conduit à 31 interpellations. Ils avaient déjà atteint leur pic le 17 août, au point où un couvre-feu a été déclaré par le gouverneur du Mississipi et la Garde nationale appelée en renfort. 

À Ferguson, comme dans toute la région, des manifestations pacifiques font suite à des émeutes violentes et aux saccages.

Pour le magazine des cultures afro-américaines The Root, cela révèle une fracture au sein de la communauté noire, concernant notamment les politiques illisibles de l’administration Obama à son endroit. 

En effet, explique The Root, la question qui revient depuis le début des émeutes de Ferguson est celle de savoir si les noirs américains ont encore un leader, un vrai, capable de défendre leurs droits.

À Ferguson, par exemple, deux camps s’opposent: ceux qui optent pour des manifestations non-violentes et ceux qui préfèrent une démarche plus radicale, plus violente (et qui, de fait, sont donc assimilés à de vulgaires délinquants).

Si ces deux voies inconciliables sont aussi fortes l’une comme l’autre, c’est bien parce qu’aucune personnalité ni organisation noire n’est plus en mesure de parler au nom de tous, déplore encore The Root. 

Les militants des droits civiques et hommes politiques, les révérends Jesse Jackson et Al Sharpton, ont fait un déplacement sur les lieux du drame. 

Mais leurs appels au calme n’ont pas été entendus. La preuve que leurs voix n’ont plus que l’effet d’un ronron prodigieusement ennuyeux, soutient The Root. Et le refus de la jeunesse black de Ferguson de suivre les appels au calme de ces personnalités n’est pas une surprise.

«Quand on est oppressé par le racisme et tenaillé par la pauvreté, il est difficile de suivre la voie de la non-violence. Pour ces mêmes raisons, Martin Luther King avait lui-même été copieusement chahuté en 1965, dans l’Alabama, le Tennessee et à Los Angeles», peut-on lire sur The Root.

En effet, comme le fait si bien remarquer le magazine Quartz, le meurtre de l’adolescent noir Michael Brown n’est pas la principale cause des violences à Ferguson. Elle n’est que l’étincelle qui les a déclenchées.

«[Ce meurtre] est le produit direct de tensions nées des décennies de discrimination dans le logement, l’éducation, et à tous les niveaux. Il est le produit de la pauvreté intergénérationnelle, du chômage et du racisme anti-noir», écrit Quartz.

Tout ceci ravive le spectre du racisme aux Etats-Unis, où la police et les dirigeants sont majoritairement blancs. C’est très exactement le cas à Ferguson. 

Et le site d’information Salon souligne que ce qui est arrivé le 9 août, avec le meurtre du jeune noir Michael Brown, arrive tous les jours dans l’Amérique noire. 

Salon soutient aussi l’idée que pour qu’une Amérique noire sans oppression puisse exister, «il faudrait créer une Amérique noire à part, où nous ne figurerions pas et que nous ne reconnaîtrions pas». Avant de rappeler cette réflexion de pasteur King: les émeutes sont «le langage des incompris» (et des opprimés).

Mais la romancière féministe noire-américaine Hannah Giorgis va plus loin dans le blog The Frisky.

«En tuant un noir toutes les 28 heures, plongeant ainsi une famille dans le deuil, n’est-ce pas un assaut sur les droits reproductifs des noirs, pour [leur] refuser brutalement et systématiquement la possibilité d’élever leurs enfants, pour [leur] faire croire qu’ils ne donnent naissance qu’à des futurs criminels et non pas à des innocents?», s’interroge-t-elle.

Pour éviter cela, croit savoir The Root, il est nécessaire de repenser l’activisme des Africains-Américains. Aujourd’hui n’y a plus aucune organisation qui puisse véritablement canaliser la rage et la déception des jeunes noirs aux Etats-Unis. 

Les leaders noirs actuels sont en total déphasage avec la jeunesse et ne savent pas leur parler, les écouter, les défendre, déplore The Root.

Le magazine met en cause la fébrilité de ces leaders noirs à remettre à critiquer la feuille de route de Barack Obama, le premier président noir des Etats-Unis, en matière de lutte contre la pauvreté et les inégalités (que la jeunesse juge insatisfaisante).

La situation est si grave que cette même jeunesse africaine-américaine, remarque Salon, a du mal à percevoir les réels acquis de la grande époque de la lutte pour les droits civiques.

Du coup, pour les sans-voix noirs de Ferguson et de toute l’Amérique, la voix des leaders noirs actuels n’est pas différente de celle parfois bruyante et ennuyeuse des politiciens blancs.
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Slate Afrique
Raoul Mbog*
*Il s'intéresse principalement aux thématiques liées aux mutations sociales et culturelles et aux questions d'identité et de genre en Afrique.

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