18 novembre 2014
Kinshasa,
« La leçon »…
En couverture, « Vis-à-vis », un nouveau périodique apparu à Kinshasa a montré en pleine page un Blaise Compaoré déconfit et pensif, sous un titre qui exprimait la question que se posent tous les Congolais : quelle leçon leur pays tirera-t-il de la succession des évènements au Burkina Faso, où les militaires se sont finalement retirés au profit d’un civil qui dirigera la transition ?
Dès que les premières manifestations ont secoué Ouagadougou, de nombreux Congolais y ont vu des signes prémonitoires tandis que dans les cercles du pouvoir, on s’inquiétait de l’exfiltration discrète d’une délégation congolaise qui se trouvait dans la capitale burkinabe au mauvais moment et à la mauvaise heure…
Même si la situation des deux pays n’est pas comparable (Compaoré était au pouvoir depuis 27 ans…) en RDC aussi se pose la question des prochaines échéances électorales.
En effet, c’est en novembre 2016 qu’arrive à son terme le deuxième mandat de Joseph Kabila, qui occupe le fauteuil présidentiel depuis la mort de son père en 2001.
Depuis des mois, des ballons d’essai sont lancés depuis les rangs de la majorité présidentielle pour évoquer la modification de l’article 220 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de termes du chef de l’Etat.
Cette hypothèse a déjà suscité les critiques de l’opposition et le refus de la société civile tandis que, dans toutes les églises du pays, les évêques ont fait lire une lettre pastorale désavouant toute modification du prescrit constitutionnel.
En outre, les formations politiques qui appartiennent à la majorité présidentielle sont elles-mêmes divisées sur le sujet.
Très implanté à l’intérieur du pays, le Mouvement social pour le renouveau, deuxième force au Parlement, a reflété une opinion largement partagée : « la Constitution est le socle de la paix. Si on y touche, malgré le fait que j’ai la chance d’avoir un travail régulier, je suis prêt à descendre dans la rue et à perdre ma journée de salaire» nous assure Pierre, un jeune métis de Kinshasa, chauffeur de son état…
Mais aujourd’hui, ce débat semble s’essouffler. Alors qu’au sein de la majorité, la décision semblait acquise, tous aujourd’hui semblent frappés d’amnésie. « Jamais le chef de l’Etat ne s’est prononcé sur le sujet » nous assure un ancien ambassadeur.
« Il n’a pas encore tranché, ce qui compte pour lui, c’est la stabilité du pays » répète un autre proche. « Le meilleur discours, c’est le silence » nous assurait Kabila lui-même en juillet dernier…
Aujourd’hui l’attentisme de celui que l’on appelle souvent « Subiri » (attendre en swahili), joue en sa faveur :à ceux qui voulaient le pousser à « rempiler », le président peut démontrer, exemple du Burkina Faso à la clé, que la partie n’est pas jouable…
Cela étant, rien n’est réglé : depuis un an, le gouvernement est démissionnaire, les ministres ont déjà touché leur indemnité de sortie (six mois de salaire…) et, de l’avis général, toutes les grandes décisions sont suspendues. A
lors que la nouvelle équipe était attendue pour la rentrée parlementaire de septembre, cette fois, l’échéance de décembre, fin de la session, est citée, à moins que Kabila ne s’exprime lors de son discours à la Nation.
Cette paralysie officielle n’empêche pas les tractations de coulisses. En effet, comme il avait été décidé à l’issue des concertations nationales de 2013, des « poids lourds » de l’opposition devraient entrer dans le futur gouvernement.
Cet accès aux ressources du pouvoir devrait permettre à leurs formations de se doter des moyens de mener campagne lors des prochaines échéances électorales et…d’accepter quelques entorses au prescrit constitutionnel.
L’hypothèse la plus souvent citée est celle d’un report des élections présidentielles, d’une ou deux années : la sacro-sainte Constitution ne serait pas modifiée, mais tous se mettraient d’accord pour retarder l’échéance en invoquant des raisons pratiques.
En effet, l’abbé Malu Malu, président de la Commission électorale, s’est engagé à organiser un recensement général avant tout scrutin et Adolphe Lumanu, ancien ministre de l’Intérieur, a été chargé de diriger l’exercice.
Or, aussi nécessaire, sinon indispensable soit-il ( les Congolais ignorent le chiffre exact de leur population !) un recensement techniquement impeccable coûte cher, prend du temps et se prolongera sans doute au-delà de l’échéance de fin 2016.
Pour que le cap soit franchi sans hostilité majeure, l’appui de l’opposition sera nécessaire, d’où l’inclusion probable de certains ténors au sein du gouvernement.
Cependant, l’issue du procès de Jean-Pierre Bemba à La Haye, en décembre prochain, pèse sur ce scénario car une éventuelle remise en liberté du fondateur du Mouvement pour la libération du Congo après cinq années de détention aurait, à Kinshasa et dans l’Equateur, des effets imprévisibles…
Voilà pour le schéma, esquissé en secret dans les état majors et… débattu à tous les coins de rue. Mais la leçon du Burkina Faso, où Compaoré n’avait rien vu venir, c’est aussi que des vagues de fond peuvent se produire, où la population, écoeurée par les inégalités et les injustices, se soulève soudain pour réclamer un changement en profondeur.
Jamais, dans les rues de Kinshasa, on n’a vu autant de Hummer et de Porsche Cayenne, les voitures les plus chères du monde…
Une « révolution de la moralité » à côté de la « révolution de la modernité » tant vantée aujourd’hui…
Et là, au Congo comme à Ouagadougou, on pourrait alors voir apparaître de nouvelles têtes, des leaders issus de la société civile et des forces citoyennes, qui prendraient de court les calculs des politiciens et les ambitions des militaires…
_________________________
Le carnet de Colette Braeckman
Kinshasa,
« La leçon »…
En couverture, « Vis-à-vis », un nouveau périodique apparu à Kinshasa a montré en pleine page un Blaise Compaoré déconfit et pensif, sous un titre qui exprimait la question que se posent tous les Congolais : quelle leçon leur pays tirera-t-il de la succession des évènements au Burkina Faso, où les militaires se sont finalement retirés au profit d’un civil qui dirigera la transition ?
Dès que les premières manifestations ont secoué Ouagadougou, de nombreux Congolais y ont vu des signes prémonitoires tandis que dans les cercles du pouvoir, on s’inquiétait de l’exfiltration discrète d’une délégation congolaise qui se trouvait dans la capitale burkinabe au mauvais moment et à la mauvaise heure…
Même si la situation des deux pays n’est pas comparable (Compaoré était au pouvoir depuis 27 ans…) en RDC aussi se pose la question des prochaines échéances électorales.
En effet, c’est en novembre 2016 qu’arrive à son terme le deuxième mandat de Joseph Kabila, qui occupe le fauteuil présidentiel depuis la mort de son père en 2001.
Depuis des mois, des ballons d’essai sont lancés depuis les rangs de la majorité présidentielle pour évoquer la modification de l’article 220 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de termes du chef de l’Etat.
Cette hypothèse a déjà suscité les critiques de l’opposition et le refus de la société civile tandis que, dans toutes les églises du pays, les évêques ont fait lire une lettre pastorale désavouant toute modification du prescrit constitutionnel.
En outre, les formations politiques qui appartiennent à la majorité présidentielle sont elles-mêmes divisées sur le sujet.
Très implanté à l’intérieur du pays, le Mouvement social pour le renouveau, deuxième force au Parlement, a reflété une opinion largement partagée : « la Constitution est le socle de la paix. Si on y touche, malgré le fait que j’ai la chance d’avoir un travail régulier, je suis prêt à descendre dans la rue et à perdre ma journée de salaire» nous assure Pierre, un jeune métis de Kinshasa, chauffeur de son état…
Mais aujourd’hui, ce débat semble s’essouffler. Alors qu’au sein de la majorité, la décision semblait acquise, tous aujourd’hui semblent frappés d’amnésie. « Jamais le chef de l’Etat ne s’est prononcé sur le sujet » nous assure un ancien ambassadeur.
« Il n’a pas encore tranché, ce qui compte pour lui, c’est la stabilité du pays » répète un autre proche. « Le meilleur discours, c’est le silence » nous assurait Kabila lui-même en juillet dernier…
Aujourd’hui l’attentisme de celui que l’on appelle souvent « Subiri » (attendre en swahili), joue en sa faveur :à ceux qui voulaient le pousser à « rempiler », le président peut démontrer, exemple du Burkina Faso à la clé, que la partie n’est pas jouable…
Cela étant, rien n’est réglé : depuis un an, le gouvernement est démissionnaire, les ministres ont déjà touché leur indemnité de sortie (six mois de salaire…) et, de l’avis général, toutes les grandes décisions sont suspendues. A
lors que la nouvelle équipe était attendue pour la rentrée parlementaire de septembre, cette fois, l’échéance de décembre, fin de la session, est citée, à moins que Kabila ne s’exprime lors de son discours à la Nation.
Cette paralysie officielle n’empêche pas les tractations de coulisses. En effet, comme il avait été décidé à l’issue des concertations nationales de 2013, des « poids lourds » de l’opposition devraient entrer dans le futur gouvernement.
Cet accès aux ressources du pouvoir devrait permettre à leurs formations de se doter des moyens de mener campagne lors des prochaines échéances électorales et…d’accepter quelques entorses au prescrit constitutionnel.
L’hypothèse la plus souvent citée est celle d’un report des élections présidentielles, d’une ou deux années : la sacro-sainte Constitution ne serait pas modifiée, mais tous se mettraient d’accord pour retarder l’échéance en invoquant des raisons pratiques.
En effet, l’abbé Malu Malu, président de la Commission électorale, s’est engagé à organiser un recensement général avant tout scrutin et Adolphe Lumanu, ancien ministre de l’Intérieur, a été chargé de diriger l’exercice.
Or, aussi nécessaire, sinon indispensable soit-il ( les Congolais ignorent le chiffre exact de leur population !) un recensement techniquement impeccable coûte cher, prend du temps et se prolongera sans doute au-delà de l’échéance de fin 2016.
Pour que le cap soit franchi sans hostilité majeure, l’appui de l’opposition sera nécessaire, d’où l’inclusion probable de certains ténors au sein du gouvernement.
Cependant, l’issue du procès de Jean-Pierre Bemba à La Haye, en décembre prochain, pèse sur ce scénario car une éventuelle remise en liberté du fondateur du Mouvement pour la libération du Congo après cinq années de détention aurait, à Kinshasa et dans l’Equateur, des effets imprévisibles…
Voilà pour le schéma, esquissé en secret dans les état majors et… débattu à tous les coins de rue. Mais la leçon du Burkina Faso, où Compaoré n’avait rien vu venir, c’est aussi que des vagues de fond peuvent se produire, où la population, écoeurée par les inégalités et les injustices, se soulève soudain pour réclamer un changement en profondeur.
Jamais, dans les rues de Kinshasa, on n’a vu autant de Hummer et de Porsche Cayenne, les voitures les plus chères du monde…
Une « révolution de la moralité » à côté de la « révolution de la modernité » tant vantée aujourd’hui…
Et là, au Congo comme à Ouagadougou, on pourrait alors voir apparaître de nouvelles têtes, des leaders issus de la société civile et des forces citoyennes, qui prendraient de court les calculs des politiciens et les ambitions des militaires…
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Le carnet de Colette Braeckman
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