Des membres du PPRD lors d’un congrès à Kinshasa. Photo d’archives.
Alternance 2016 :
C’est un débat orageux qui a eu lieu, dimanche 22 mars, entre d’une part des «jusqu’auboutistes» du PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie) et de l’autre, sept leaders des partis politiques de la majorité présidentielle (MP).
Le premier camp conseille au «raïs» de « résister » à ceux qui s’opposent à la révision constitutionnelle lui permettant de briguer un troisième mandat.
Le second, plaide pour l’alternance et demande au chef de l’Etat de se prononcer sur l’échéance 2016. Fidèle à sa philosophie de diviser pour régner, « Joseph Kabila » a ouvert les discussions avant de s’éclipser sous prétexte de laisser les participants parler librement.
Sans tabous. Des noms d’oiseau ont fusé. Modérateur, le président de l’Assemblée nationale et secrétaire exécutif de la MP a été bien incapable de «discipliner» les intervenants.
Certains participants ont même regretté la disparition d’Augustin Katumba Mwanke, tué dans un crash aérien en février 2012. «Depuis la mort de Katumba, la majorité présidentielle n’a plus de véritable chef capable de montrer le chemin ».
Pratiquant à merveille le «journalisme de connivence », une certaine presse kinoise a, le lendemain de cette rencontre, présenté «l’autorité morale» de la MP sous son meilleur jour alors que l’homme est en plein désarroi.
A en croire ces confrères kinois, « Joseph Kabila » préparerait une «grande annonce». Laquelle?
C’est bien mal connaître ce calculateur qui envoie depuis juin 2013 des messages non-verbaux qui cachent mal sa volonté de demeurer à la tête de l’Etat au-delà de 2016.
«La majorité présidentielle demeure unie, elle va se consolider davantage derrière son chef Joseph Kabila Kabange». C’est la déclaration faite, à la presse, par Aubin Minaku. Des propos qui ne trompent personne. L’unité de façade qui prévalait au bon vieux temps au sein de la majorité présidentielle semble accuser des fissures.
De quoi s’agit-il ?
Après les péripéties ayant émaillé le débat sur la révision constitutionnelle – pour permettre à « Joseph Kabila » de briguer un troisième mandat - et l’adoption de la loi électorale modifiée suivies des manifestations des 19, 20 et 21 janvier qui ont secoué la capitale congolaise, les leaders de sept formations politiques de la « majorité présidentielle» ont adressé une lettre alarmante à « Joseph Kabila ». Objet : solliciter une entrevue.
Au lieu de recevoir le groupe, « Kabila » a jugé bon de recevoir individuellement les rédacteurs de cette missive. Il s’agit de : Danny Banza Maloba (Alliance congolaise), José Endundo Bononge (Parti démocrate-chrétien), Olivier Kamitatu Etsu (Alliance pour le renouveau du Congo), Gabriel Kyungu wa Kumwanza (Union des nationalistes et fédéralistes du Congo), Pierre Lumbi Okongo (Mouvement social pour le renouveau) Christophe Lutundula Apala (Mouvement solidarité pour la démocratie et le développement), Charles Mwando Nsimba (Union nationale des démocrates fédéralistes).
« Lors de ces audiences, commente un membre de la majorité, Joseph Kabila s’est limité à écouter ses interlocuteurs successifs. Il n’a pris aucune position ».
Les « sept » sont revenus à la charge dans une seconde correspondance beaucoup plus explicite. Ils ont fait part de leur inquiétude face au mutisme présidentiel à l’approche des échéances électorales de 2016.
Les sept d’évoquer par ailleurs les manifestations de janvier dernier en soulignant la crise de confiance qui existe désormais entre les gouvernants et les gouvernés.
Sensibilisé, «Joseph Kabila» décide de convoquer une réunion pour la journée du dimanche 22 mars. Lieu : la ferme de Kingakati. Face aux sept « frondeurs », le « raïs », malin comme un singe, s’arrange pour aligner une quarantaine de «jusqu’auboutistes» - des «applaudisseurs» ? - estampillés « PPRD », le parti présidentiel.
Des individus décidés à suivre le successeur de Mzee jusqu’au bout. C’est du moins ce que disent les intéressés. Les ex-Zaïrois ont encore frais en mémoire ce genre de "situationnistes" qui étaient légion sous le régime de Mobutu Sese Seko.
Parmi ces Pprdistes purs et durs, on peut citer : André Kimbuta Yango (gouverneur de la ville de Kinshasa), Ngoy Kasanji (gouverneur du Kasai Oriental), Marcellin Cishambo (gouverneur du Sud Kivu), Richard Muyej (ancien ministre de l’Intérieur), Ramazani Shadari, Adolphe Lumanu Mulenda (ancien ministre de l’Intérieur et actuel président de l’Office national d’identification de la population).
«Fumeur de chanvre»
Dimanche, « Joseph Kabila » rejoint les caciques de sa majorité. « C’est une réunion de famille, dit-il dans son mot d’introduction. Je vais vous laisser débattre. J’espère que vous parviendrez à trouver un compromis à l’issue de vos échanges ».
Le « raïs » s’éclipse aussitôt confiant à Aubin Minaku le rôle de modérateur.
Piqué par quelle mouche, André Kimbuta Yango prend la parole. « Il s’est mis à traiter les sept frondeurs de rebelles qui méritent d’être chassés de la majorité », rapporte un membre de la Majorité. A en croire celui-ci, Kyungu wa Kumwanza vit rouge.
Dans une réplique magistrale, le leader de l’Unafec et président de l’Assemblée provinciale du Katanga lance : « Toi Kimbuta, un fumeur de chanvre, tu oses nous traiter de rebelles ? Quel est ton poids politique alors que tu n’es même pas chef d’un parti ? Qu’attendez-vous pour nous chasser ?»
Selon notre interlocuteur, Cishambo et Shadari ont enfoncé le clou planté par Kimbuta provoquant les ripostes d’Olivier Kamitatu et de Charles Mwando Nsimba.
Sentant que la réunion allait dans une impasse, Minaku prend la parole pour rappeler aux intervenants le souci exprimé par le chef de l’Etat d’aplanir les dissensions. « Le chef de l’Etat veut un compromis », dit-il.
Juriste de formation, Lutundula prend à son tour la parole pour expliquer les motivations ayant conduit les « sept » à la rédaction de la correspondance querellée. L’orateur cite au moins trois.
Primo : la difficulté de mettre en oeuvre le calendrier électoral en ce qui concerne les élections au niveau des chefferies.
Secundo : le découpage territorial.
Enfin : la nécessité pour le chef de l’Etat de fixer l’opinion sur l’horizon 2016.
« Pour nous, conclut-il, il faut promouvoir l’alternance. Les élections locales devront avoir lieu après 2016. Les provinciales, les sénatoriales, les législatives et l’élection présidentielle ont priorité ».
Les partis de l’opposition ont transmis à la CENI (Commission électorale nationale indépendante) une contre-proposition de calendrier électoral qui va dans le même sens.
Piqués au vif, Kimbuta, Shadari et Cishambo réagissent quasiment en chœur : « C’est vous qui devez des explications au chef de l’Etat ou le contraire ?»
S’adressant au gouverneur de Kinshasa, Kyungu tonne : «Où étiez-vous lorsque les 13 parlementaires, dont Etienne Tshisekedi et moi-même, avaient adressé la lettre des treize parlementaires au président Mobutu? » (Ndlr : Kyungu wa Kumwanza fait partie des parlementaires qui avaient adressé au président Mobutu la fameuse « lettre des 13 parlementaires » en date du 1er novembre 1980).
« Glissement »
Maladroit, l’ancien ministre de l’Intérieur, Richard Muyej, s’écrie : « Vous refusez les élections locales alors que ce sont ces élections qui vont permettre au chef de l’Etat d’obtenir le glissement du calendrier électoral».
Recadrant Muyej, Minaku rétorque : «Le chef de l’Etat ne nous a pas donné mandat pour parler du glissement ». Le mal est fait.
Contrairement au discours politique serein tenu par Minaku selon lequel « la majorité présidentielle demeure unie », les « sept » ont dit haut et fort qu’ils maintenaient la teneur de la lettre adressée à « Joseph Kabila ». Ils ne renient rien.
Après six heures de discussion, les participants se sont quitté dos à dos. Surprise : « Joseph Kabila » n’est pas revenu dire le mot de clôture. A en croire notre interlocuteur, certains participants ont regretté l’époque ou « AKM » (Augustin Katumba Mwanke) régentait les affaires de la MP.
« Il y a un déficit de leadership, note-t-il. Joseph Kabila donne l’impression de fuir le débat alors que Minaku ne parvient pas à maîtriser tout ce monde ».
Dimanche 22 mars, des témoins ont constaté l’absence du gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe. Les «gouverneur-applaudisseurs » seraient-ils devenus majoritaires ?
Une chose paraît sûre : la majorité présidentielle n’existe plus que sur papier.
La corruption ? Quel vilain mot ! De quoi parlez vous ? Aucun de nos interlocuteurs ne se hasarde à le prononcer. Surtout au téléphone…
En revanche chacun reconnaît que quelques vieilles pratiques ont la vie dure et qu’elles prennent des formes nouvelles. La plus connue, c’est l’Opération Retour. C’est à l’occasion de la guerre à l’Est que la formule a fait florès : tel chef militaire, à Kinshasa, envoyait vers Goma ou Bukavu l’argent destiné à payer les soldes des militaires engagés sur le front.
Mais sur les listes figuraient aussi des « fantômes », morts, disparus, inexistants en tous cas. Les sommes non redistribuées aboutissaient dans des comptes privés, finançant la bulle immobilière locale, et une part non négligeable du butin était renvoyée à Kinshasa.
Retour à l’expéditeur. Aujourd’hui cependant, les paiements par voie bancaire et surtout l’établissement de fiches biométriques des militaires par la mission européenne EUSEC ont décimé les « fantômes ».
Mais les « retours » se pratiquent toujours : « même les bailleurs qui veulent faire aboutir leurs projets savent qu’il faut « convaincre » le fonctionnaire en charge du dossier » nous assure un coopérant, qui précise que « le choix des consultants, très bien payés, se fait aussi moyennant quelques « encouragements »… » »
Ce pays est une vache à lait pour tout le monde » poursuit-il « et, puisque le système ne peut ou ne veut se réformer, chacun sait que sur chaque projet, il y a un « coulage » de 15 à 20%… »
Le Dr Yasar Argun Irsin, conseiller en passation des marchés auprès du Premier Ministre, accepte cependant d’être cité lorsqu’il explique que « le travail n’est pas facile, mais nous multiplions les audits, nous vérifions les contrats, tentons de faire respecter les règles des marchés publics. C’est lent, mais cela s’améliore… » Pour sa part, notre coopérant poursuit : «le problème, c’est que les fonctionnaires sont encore sous payés et chacun est obligé de se débrouiller. En outre, il n’y a pas de culture de l’impôt. Les gens ne comprennent pas que les taxes qu’ils paient pourraient servir à construire le pays… »
En revanche, les « tracasseries » font partie du quotidien : un « café » pour le policier de faction, un « sucré » (limonade) pour le militaire, une barrière de bois sur les pistes de campagne, un petit billet à l’agent de la circulation qui vous coince indûment… Un homme d’affaires belge, actif dans le secteur bancaire, nous déclare cependant, la main sur le cœur : « nous, nous refusons de distribuer enveloppes et pots de vin. Tout est clair, vérifiable… Question de principes… »
Quelques instants plus tard, il reconnaît cependant que « cette rigueur nous fait rater pas mal d’affaires… Tout le monde passe avant nous, nos dossiers traînent… On peut réussir, mais il y faut de la patience…»
Lui cite-t-on, le cas d’un entrepreneur qui proclame haut et fort que lui, il ne corrompt jamais personne que notre interlocuteur éclate de rire : « mais évidemment, il ne dira jamais le contraire…
D’ailleurs, le système est infiniment plus subtil que la banale distribution d’enveloppes. Il faut « intéresser » ses interlocuteurs, répondre avec finesse à des questions délicatement avancées comme « et moi là dedans ? » ou, plus brutalement, « de combien est ma part ? » Dans les milieux d’affaires, les anecdotes abondent, à propos de délégations venues d’Iran, de Corée du Sud ou d’ailleurs et peu au fait des mœurs locales, qui sont reparties sans avoir réussi à rencontrer le moindre responsable, puisque refusant obstinément de « comprendre », autrement dit d’ « encourager » les intermédiaires.
C’est pour cela que des investisseurs étrangers, venus de contrées lointaines et désireuses de s’engager dans le domaine minier, recourent volontiers à des intermédiaires belges « eux au moins nous comprennent », assurent les Congolais soulagés, « ils nous ont tout appris ».
Installé en Afrique pour y développer une société d’éclairage, un homme d’affaires de dimension moyenne se souvient :«en Belgique aussi je devais lâcher 10% pour obtenir le moindre contrat. On appelait cela un discount… » _________________________ Le carnet de Colette Braeckman
Un long-métrage diffusé sur Netflix et nommé aux oscars revient sur les comportements douteux d'une firme pétrolière dans le parc naturel des Virunga, en RD Congo.
Jamais le drame qui menace la conservation du parc national des Virunga (RD Congo), classé au patrimoine mondial de l'Unesco, n'avait trouvé un tel écho.
La nomination aux oscars du film Virunga, produit par Leonardo DiCaprio, a propulsé à l'avant-scène l'enjeu éminemment politique de l'exploitation du pétrole au coeur du dernier refuge des gorilles de montagne.
Une chance inespérée pour les gardes du parc et leur directeur, Emmanuel de Merode, qui se battent au quotidien pour préserver ce réservoir de la biodiversité.
Le film, qui fait montre d'un militantisme assumé, propose une balade entre documentaire animalier et journalisme d'investigation. Les images d'archives nous transportent du Congo de Léopold II, en 1885, à la prise de Goma par le groupe armé M23, en 2012, une histoire au cours de laquelle les richesses naturelles du pays ont fréquemment été convoitées et pillées par des intérêts étrangers.
Entre scènes de guerre et plans bucoliques, on comprend que le parc n'a pas qu'un seul ennemi : la compagnie pétrolière Soco International ; les groupes rebelles, qui veulent leur part du gâteau ; et le gouvernement congolais, qui ferme les yeux.
"La meilleure solution effective pour tout le monde, c'est qu'on recolonise ce pays. [...] Ils sont incapables de se gérer eux-mêmes. Ce sont comme des enfants", lance l'un d'eux, filmé à son insu lors d'un dîner au restaurant.
Des propos grossiers qui relèvent du racisme tout sauf déguisé et qui convainquent de la mauvaise foi de la compagnie pétrolière dans ce dossier.
Au sujet de la conservation des gorilles de montagne, principal enjeu du film, un autre lance même : "Who gives a fuck about a fucking monkey!" ("qui en a quelque chose à foutre de ces putains de singes !").
Soco International, compagnie britannique enregistrée au London Stock Exchange, a obtenu du gouvernement congolais une concession dont la moitié se trouve à l'intérieur des limites du parc des Virunga.
Le gouvernement congolais détient le pouvoir de protéger ou non le parc des Virunga. Pourtant, il brille par son absence tout au long du film.
D'autres scènes de caméra cachée nous plongent dans les méandres de la corruption, modus operandi de Soco International pour faciliter son accès aux richesses du parc. Rodrigue Katembo, l'un de ses 400 gardes, se voit offrir des milliers de dollars en échange de sa collaboration.
Et il n'est pas le seul. Avant le lancement du film, Katembo a dû s'exiler avec sa famille à Nairobi, au Kenya, pour assurer sa sécurité. Signe d'un climat de tension extrême.
Virunga est donc beaucoup plus qu'un film sur la protection des gorilles. Au-delà de la bande-annonce aux accents hollywoodiens, ce documentaire d'une rare puissance raconte le rôle crucial du parc au centre d'une communauté fragilisée par plus de vingt années de conflits armés.
Soco International a bien entendu nié l'illégalité de ses activités, les allégations de corruption, de même que toutes opérations au sein de l'habitat naturel des gorilles.
En France, le film a été lancé dans le plus grand anonymat : il n'est disponible que sur Netflix, plateforme qui lui aura donné une vitrine sur la scène internationale. ___________ Sabrina Myre Jeune Afrique
Apparu au Sénégal en 2011, "Y'en a marre" a inspiré plusieurs mouvements citoyens dans différents pays d'Afrique francophone. Du Sénégal à la RDC en passant par le Burkina Faso, tous reprennent les mêmes ingrédients avec succès.
Ils ont fait la une des médias internationaux pendant plusieurs jours.
Des activistes sénégalais, de Y'en a marre, et burkinabè, du Balai citoyen, ont été arrêtés le 15 mars à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), où ils avaient été invités par leurs homologues congolais du mouvement Filimbi.
Accusés d'avoir porté "atteinte à la sécurité de l'État" par les autorités congolaises, ils ont finalement été relâchés puis expulsés manu militari vers leurs pays d'origine.
Cette arrestation a rappelé à quel point certains gouvernements africains observent avec méfiance ces mouvements citoyens d'un nouveau genre, connectés et s'inspirant les uns les autres... Voici les valeurs et les modes d'actions qui font leur force.
Ils ne sont pas formellement structurés comme peuvent l'être des partis ou des syndicats. Tout citoyen, qu'il soit en âge de voter ou non, peut se joindre à eux.
Aucune carte d'adhésion n'est distribuée et aucune cotisation annuelle fixe n'est demandée – ce qui n'empêche pas leurs membres de fournir ou collecter des fonds.
Ainsi, au Burkina Faso, aucune inscription formelle n'est demandée par le Balai citoyen pour être "Cibal" ou "Cibelle", c’est-à-dire militant du mouvement.
Une jeunesse engagée pour la démocratie
Il suffit d'assister à une réunion ou à une action de Y'en a marre ou du Balai citoyen pour rapidement s'en rendre compte : les activistes sont jeunes pour la plupart, allant de l'adolescence à la trentaine.
"Il y a un vrai effet générationnel, analyse Séverine Awenengo Dalberto, historienne française à l'Institut des mondes africains. La grande majorité des membres de ces mouvements sont des gens jeunes ou au moins considérés comme tel, car certains, dont plusieurs leaders, ont la petite quarantaine."
Des jeunes, donc, mais des jeunes politisés. Burkina, RDC, Gabon… Tous défient ouvertement, et pacifiquement, les régimes autoritaires en place dans leurs pays tout en prônant des valeurs démocratiques.
"Nous sommes conscients de notre condition de 'génération sacrifiée', mais nous ne comptons pas nous laisser sacrifier, explique Kilifeu, rappeur du groupe Keur Gui et cofondateur de Y'en a marre. En tant que citoyens, nous avons le devoir de participer à la gestion de la chose publique et à la démocratie. C'est par nous que viendront les changements."
De Dakar à Ouagadougou, tous défendent ainsi le droit de vote et encouragent régulièrement leurs compatriotes à s'inscrire sur les listes électorales.
Des têtes d'affiches célèbres
Y'en a marre et le Balai citoyen ont pour autre point commun d'être menés par des personnalités connues : les rappeurs Thiat et Kilifeu du groupe Keur Gui pour le premier, le rappeur Smockey et le reggaeman Sam's K le Jah pour le second.
Ces artistes populaires maîtrisent l'art de la parole et bénéficient de tribunes publiques régulières, dont ils profitent pour faire passer leurs messages.
"Nous nous servons de cette popularité, c'est évidemment plus facile pour attirer des gens dans nos rangs", confie, lucide, le Burkinabè Smockey.
Outre ces artistes, ces mouvements sont aussi menés par des figures intellectuelles, comme le journaliste Fadel Barro pour Y'en a marre ou l'avocat Me Guy Hervé Kam pour le Balai citoyen.
Des slogans et des symboles chocs
Ingrédient central de la recette gagnante de ces mouvements citoyens : un nom qui claque, souvent en forme un slogan choc.
"Y'en a marre" au Sénégal, le "Balai citoyen" au Burkina, "Ça suffit comme ça" au Gabon, "Filimbi" ("sifflet", en swahili) en RDC… Tous adoptent une dénomination imagée exprimant clairement leur défiance aux pouvoirs en place.
Ces différentes organisations maîtrisent parfaitement leur communication, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans l'espace public.
À Dakar, les tee-shirts noirs barrés du slogan "Y'en a marre" ressurgissent régulièrement durant les manifestations, tandis qu'à Ouagadougou, le balai est devenu un symbole de la lutte victorieuse contre le régime de Blaise Compaoré.
Avec leurs milliers d'abonnés, ces mouvements citoyens utilisent aussi Facebook et Twitter pour mobiliser leurs troupes et toucher le plus de jeunes possible.
Des valeurs panafricaines communes
Ces différents mouvements citoyens s'inscrivent également dans la mythologie révolutionnaire africaine. Ils se posent volontiers en héritiers de figures respectées et admirées du continent, comme Thomas Sankara ou Patrice Lumumba.
Leurs meneurs se posent en défenseurs du panafricanisme, fustigeant sans ménagement l'impérialisme occidental. Voyageant aux quatre coins du continent, ils se considèrent comme des frères et estiment que l'union fera leur force.
"Un de nos objectifs est de lancer une Union africaine des peuples, qui représenterait vraiment les Africains, pas comme l'UA actuelle qui est une institution déconnectée des gens", explique Thiat, cofondateur de Y'en a marre.
Un réseau transfrontalier
Que ce soit au Sénégal, au Burkina, ou en RDC, ces mouvements citoyens ont vu le jour dans des pays au contexte politique et social troublé. Tous se renforcent mutuellement à travers des échanges, des rencontres, ou encore des ateliers.
Apparu en 2011 au Sénégal contre un nouveau mandat d'Abdoulaye Wade, Y'en a marre a largement servi de déclencheur au niveau continental.
Leur popularité médiatique leur a permis de se faire connaître, de voyager, et de mettre en place ce que l'historienne Séverine Awenengo Dalberto qualifie "d'entreprenariat politique et citoyen", c’est-à-dire un soutien et un transfert de compétences aux activistes d'autres pays africains.
"Il y a une vraie dynamique qui est en train de se mettre en place, explique Kilifeu. Nos mouvements sont connectés : on se rencontre, on partage, on discute sur les meilleures façons de se mobiliser et de s'ériger en sentinelles face à nos dirigeants."
Les leaders de ces différents mouvements s'invitent les uns les autres, se retrouvant un jour à Dakar, un autre à Ouagadougou, un troisième à Kinshasa.
Et leur influence ne cesse de s'étendre dans les pays qui s'apprêtent à vivre des élections présidentielles dans les mois à venir : une délégation du Balai citoyen était récemment au Niger et une de Y'en a marre doit prochainement se déplacer au Burundi. ___ Benjamin Roger Jeune Afrique