mercredi 27 octobre 2010

La dernière lettre de Patrice Lumumba à Pauline, sa femme
















    


Patrice Emery Lumumba, figure emblématique du patriotisme congolais et africain, sera exécuté à Elisabethville [ex-Congo belge] le 17 janvier 1961, quelques mois après sa nomination au poste de premier ministre. Tous les pays Occidentaux présents au Congo, Belgique, USA via la CIA, France, l’Onu ont intérêt à éliminer physiquement un jeune homme au charisme irrésistible qui trimballe pour seul défaut, rédhibitoire, son amour immodéré pour son pays trop riche pour être indépendant, son refus de la domination post-coloniale et de l’injustice. Par dessus tout, Lumumba croit fermement en l’Afrique en sa victoire sur les forces liberticides.


Le temps passant ce leader associé aux grandes figures résistantes modernes des Nkrumah, Um Nyobe, Olympio, etc. est devenu une icône, une référence d’anticolonialisme, de cet engagement jusqu’au sacrifice de sa vie. Les politologues s’entretiennent désormais sur la dimension tacticienne du combat de Lumumba, déplorant pour certains, une précocité de son action anti-colonialiste, face à un rapport de force défavorable. Il est heureux que l’héritage de Lumumba serve non pas pour inaugurer les chrysanthèmes, mais fructifie un nouveau capital politique en formation.

Testament politique et Adieu émouvant. La dernière lettre de Lumumba à sa femme Pauline, écrite en prison en décembre 1960, nous rapproche d’un leader terriblement humain, dans la pudique tendresse de ses mots à la mère de ses enfants, en même temps, d’une quintessence au dessus du commun des mortels. Celle de celui qui va vers le sacrifice de sa vie, avec dignité et cran, pour une cause qui dépasse les existences individuelles, la sienne au premier, et qu’il voit triompher un jour. Ce jour où l’histoire se souviendra de lui.
 

Ma compagne chérie,

Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux – qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu. Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance.


Que pourrai je dire d’autre ?


Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur.


Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres.


Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.


Vive le Congo ! Vive l’Afrique ! 


Patrice Lumumba
AFRIKARA

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