mercredi 27 octobre 2010

15 ans après, Kinshasa mes premières nuits dans le noir



Écrit par Gervais Tshimankinda   
Mardi, 26 Octobre 2010 19:34
 





 


« C'est vrai, tu rentres au pays? ». C'est un aîné, docteur en littérature française, à qui j'annonçais la nouvelle de mon prochain séjour au pays, qui s'étonnait ainsi. Et pour cause : il venait de rentrer en Belgique après un séjour académique de deux mois au pays. On est le 22 septembre. « Tu rentres définitivement ou c'est pour un séjour temporaire? », renchérit-il. « C'est juste pour un séjour d'un à deux mois afin de me faire une idée sur le pays », répondis-je. Apparemment, il avait du mal à cacher l'anxiété qui se lisait sur son visage. « Sois prudent, très prudent dans tout ce que tu auras à faire et... surtout à dire. Il s'est installée une autre culture à Kinshasa, pas la notre, celle des autres, une culture de la violence gratuite... »
Puis, devant mon regard interrogateur, il changea de sujet. « Deux phénomènes m'ont impressionné à Kinshasa : la foule d'abord. Elle est partout, dense, très affairée, toujours en mouvement, car il faut survivre, trouver sa pitance quotidienne dans un environnement devenu impitoyable pour les pauvres... ou plutôt les appauvris. On aurait cru que toute la population congolaise s'est donné rendez-vous à Kinshasa comme jamais auparavant ». Ce n'est donc plus Kin-la-belle de notre enfance, non plus Kin Malebo d'il y a 15 ans au moment où je m'envolais pour l'Europe. Kinshasa, aux dires du compatriote, a complètement changé de visage. Mais lequel? En bien ou en mal? « La deuxième chose qui te tape à l'oeil, poursuivit-il, c'est le nombre scandaleux de limousines et de Jeeps[4x4] de toutes marques. Un luxe insolent dans un océan de misère ambiante. Les nouveaux riches friment sans scrupules et n'hésitent pas à exhiber leur richesse acquise on sait comment. Cela fait peine à voir ». Au moins, j'étais prévenu. Une chance inouïe, cette rencontre fortuite avec un aîné que je connais de longue date, depuis l'époque où, jeunes diplômés en journalisme, nous combattions avec fougue la dictature mobutiste. Depuis, les époques ont changé. Mobutu a été chassé du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila et son Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, lui-même assassiné en janvier 2001. La RD Congo a désormais un autre "patron", le Raïs, Joseph Kabila Kabange, le fils de Mzée.
Samedi 25 septembre, aéroport de Zaventem à Bruxelles. Prévu à 10h00, le décollage aura finalement lieu à 11h15. Le vol ne sera plus direct, une escale a été prévue à Douala au Cameroun. Ma place c'est le numéro 37, mais je peine à la trouver. Une jeune et belle métisse, ma voisine de voyage, m'aidera finalement à localiser mon siège. « Vous rentrez au pays? », me risquai-je. « Non, c'est la première fois que j'y vais. Je vais rendre visite à ma sœur. Son mari est pilote dans une compagnie aérienne de la place », me répondit-elle  « Et vous, c'est depuis quand vous n'y êtes plus allé? », me demanda-t-elle. « 15 ans, lui dis-je. J'ai perdu sans doute toutes mes immunités mais grâce à Internet, j'ai une idée plus ou moins nette du pays ». Ornella avait apparemment besoin d'informations sur le pays et pensait avoir trouvé en moi la personne qui allait lui en fournir. Chemin faisant, nous nous sommes mis à tailler bavette, dans une conversation bon enfant comme de vieux amis. J'appris que sa mère était congolaise et son défunt père un médecin coopérant belge. C'était son premier voyage au Congo et cela la stressait énormément au vu de la réputation de pays post-conflit qui colle depuis des années à la RD Congo.
17h35’, atterrissage à Douala. L’inquiétude m’envahissait de plus en plus. Les nouvelles du pays ne sont pas souvent bonnes, mais j’essaie de positiver. A 19h30 comme prévu par le commandant de bord, je foulerai à nouveau la terre de mes ancêtres, la mère-patrie. Mais dans quel état d’esprit ?
Dans l’avion, de petits groupes de Congolais habitués du pays s’étaient formés et parlaient de Kinshasa, des nouveautés architecturales qui font désormais la fierté de la ville : la Place du 30 juin et celle du Cinquantenaire, l’agrandissement et la modernisation des boulevards Triomphal et du 30 juin, etc. « Kabila akweyisi poto na Kinshasa [ Kabila a fait de Kinshasa une ville européenne] », clament certains Kinois euphoriques. A voir !
La nuit est tombée. L’Airbus 330-300 de Brussels Airlines amorce la manœuvre d’atterrissage. L’œil collé au hublot, la plupart des passagers, congolais comme étrangers, scrutent les éléments extérieurs. L’ambiance n’est apparemment pas celle d’autres aéroports. « Pourquoi cette foule de gens sur le tarmac ? Qui sont-ils ? », me demanda, ma voisine, perplexe. Car, en effet, dans la pénombre on distingue toutes sortes d’uniformes, bleu marine de la police, vert tacheté de l’armée, jaune, rouge… au bas de la passerelle et un peu partout sur le tarmac. Un minibus, don d’une compagnie de téléphonie, fait la navette entre l’avion et le salon d’arrivée. On s’entasse comme on peut dans une chaleur suffocante.
Dans le salon d’arrivée, l’ambiance est cocasse : le contrôle des papiers se fait dans une sorte d’anarchie qu’on ne voit nulle part ailleurs à raison d’une multitude de services. La récupération des bagages, un autre parcours de combattant. Sur un rouleau d’un autre âge, s’est agglutinée une foule de gens qui n’ont rien à y faire. Tout ce monde propose ses services moyennant rémunération. « N’aie pas peur, tout ira pour le mieux. On te sortira tes bagages », me répétaient inlassablement mes deux bagagistes autoproclamés. Il m’a fallu me délester de 80 dollars US pour les bagagistes et attendre plus d’une heure pour les récupérer. Le marchandage a été rude. « Nous devons une part au colonel et au capitaine. Ils ont retenu nos téléphones portables et ne nous les rendront que quand ils auront obtenu leur part », ne cessaient de me rappeler les deux « bagagistes » improvisés et à qui je n’avais rien demandé.
Les formalités terminées, sur le chemin qui mène à la ville, l’obscurité est à couper au couteau. Le boulevard Lumumba jadis éclairé n’est plus qu’un sombre tunnel. « Depuis quelques années, c’est cela le nouveau Kinshasa, celui du délestage. Dans notre quartier dans la commune de Ngaba, nous n’avons plus le courant depuis six mois », me susurre ma sœur venue m’accueillir avec mon grand-frère.
Dans la pénombre des phares blafards, des véhicules d’une époque révolue vous dépassent en même temps à gauche et à droite. Ici, personne ne se soucie… ou plutôt ne connaît le code de la route. Et surtout, n’en faites pas la remarque à un chauffard qui a failli vous « éperonner », il vous vous couvrira d’insultes et de menaces. « D’où viens-tu, toi ! Ici c’est pas l’Europe ».  La Rd Congo est une petite planète à part. On y ignore les normes universelles les plus élémentaires.
Ma première nuit, j’ai dû la passer dans le noir. Les lampes halogènes chinoises prévues pour me dépanner en cas de défaillance de la Snel, la société nationale d’électricité aux abonnés absents depuis belle lurette, ne me sont d’aucun secours. Car, paradoxe de la situation, il faut les recharger. Pas de courant de la Snel, pas de recharge… et donc l’obscurité. « Papa, tu finiras par t’habituer. Nous aussi, on a eu du mal au début de ce phénomène. Je suis née à Kinshasa, mais je n’ai jamais vécu ça », m’encourage en permanence ma bailleresse.
Il n’y a pas que le problème de l’énergie, les rues sont dans un tel état qu’on croirait que certains quartiers de Kinshasa ont subi des semaines de bombardement. « Tu as peut-être remarqué une chose qu’on ne connaissait pas non plus : les immondices et la crasse partout. C’est invivable, mon fils », gémit-elle. D’un ton optimiste, elle essaie cependant de me rassurer : « Le Chef de l’Etat est décidé à arranger tout ça. Lui au moins est déterminé, mais ses collaborateurs ne l’aident pas. Ils s’occupent plus à s’en mettre plein les poches que du travail de la reconstruction du pays, à ce que l’on nous dit ». Et pourquoi ne les sanctionne-t-on pas, demandai-je ? « Ah ! ça, il faut poser la question à qui de droit, nous, on n’en sait rien ». A qui de droit !
La visite de l’ancienne Place de la gare devenue la Place du 30 juin tant vantée par certains Kinois m’a laissé dubitatif. Rien qui justifie le flot d’éloges entendus, sinon juste une certaine embellie urbanistique. Rien à voir avec les beaux joyaux architecturaux qu’on voit ailleurs, à Paris, Barcelone, Rome, Nairobi, Abidjan, Luanda, etc. Mais la volonté de moderniser le pays est, apparemment, bien présente. A leur finition, le boulevard Triomphal et celui du 30 juin seront, on l’espère, des œuvres architecturales d’envergure. Avec, malheureusement, les arbres qui faisaient le charme du célèbre boulevard du 30 juin en moins !
En attendant mieux, le flot de limousines et de Jeeps[4x4] de nouveaux riches continuent d’arpenter les rues retapées et défoncées de Kinshasa, narguant les marées humaines désemparées à la recherche permanente d’un moyen de transport hypothétique. « C’est un pays de paradoxes, mon frère, me répète tout le temps, un ami. Une minorité se tape une fortune à vue d’œil et en un temps record, roule carrosse alors que l’écrasante majorité ploie dans une misère sans nom ». A quoi je lui rétorque que c’est un problème de culture, de mentalités. Comment, en effet, peut-on célébrer des richesses dans un champ de ruines et de misère ?  Et l’ami de me rappeler : « Et pourtant l’hymne national dit que [nous peuplerons ton sol et nous assurerons ta grandeur] ». Et moi de répliquer : « Nous avons peuplé le sol, certes, mais la grandeur, nous l’avons ensevelie. Il nous faudra l’exhumer et la porter haut, très haut afin qu’elle puisse couvrir le maximum des enfants de ce beau et riche pays. Sinon… »
Congoone

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