Vous venez d’être réélu avec 93% des votes pour un deuxième mandat de sept ans. Quel est votre principal motif de satisfaction à l’issue du premier mandat, et quel est votre objectif premier pour les années à venir ?
Au cours des sept dernières années, la vie des Rwandais ordinaires a été considérablement transformée, les succès obtenus nous donnent confiance pour l’avenir. Nous voulons qu’en 2020 le Rwanda cesse d’appartenir à la catégorie des pays pauvres pour devenir un pays émergent.
Le premier point qui me réjouit, c’est que la stabilité, la sécurité ont été rétablies. Après une histoire aussi tragique, les Rwandais ont recommencé à vivre, à travailler ensemble, à avancer, plus même que nous ne pouvions l’espérer. Cette coexistence pacifique est la fondation de notre stabilité et nous voulons la consolider.
En outre, les gens aussi expriment leur confiance dans l’avenir ; il est bon d’entendre que les plus pauvres d’entre les pauvres vous disent qu’ils ont de l’espoir car ils ont pu faire un pas en avant, réussir certains de leurs défis. Nous avons déjà remporté de grands succès en matière de santé, d’éducation, de sécurité alimentaire, et nous voulons consolider ces gains, multiplier les investissements, entre autres dans les infrastructures.
Bien sûr, il reste beaucoup à faire, les gens sont toujours pauvres et rencontrent de grands problèmes liés à cela mais même les plus pauvres vous disent qu’ils ont fait des pas en avant, que chaque année leur apporte quelque chose de neuf.
Cela en soi même, c’est déjà un pas en avant, au départ d’uns situation qui était désespérée, nous avons restauré l’espoir…
Qu’est ce qui vous a particulièrement irrité dans le rapport publié par la Commission de l’ONU pour les droits de l’homme ? La relation des faits qui se sont passés au Congo, ou l’usage du terme génocide ?
Il faudrait plutôt demander « qui » m’a mis en colère…Ce rapport manque d’honnêteté, il est tronqué et il révèle les intentions malveillantes de ses auteurs ; il est influencé par certaines organisations de défense des droits de l’homme, comme Human Rights Watch, par des groupes qui ont de mauvaises intentions à notre égard… Attention, parmi ces organisations, beaucoup sont correctes, mais d’autres ont été créées pour servir leurs propres intérêts, ou pour servir des visées politiques. Il s’est créé une sorte d’industrie qui prospère sur la souffrance des populations et qui n’apporte rien aux gens, ni aide matérielle, ni réconciliation, qui ne met pas fin aux tueries, aux viols…Ce rapport n’est pas neuf, il recycle de vieilles rumeurs, répète des accusations déjà formulées auparavant, ce sont toujours les mêmes déchets…Tout au long des seize dernières années, j’ai eu affaire à ces groupes ou ces individus, je les connais… Aujourd’hui ils se congratulent, non pas parce qu’ils ont fait quelque chose d’utile, mais parce qu’ils ont blessé le Rwanda. Ne me demandez pas pourquoi ils se comportent ainsi, je l’ignore…
Mais c’est au nom des victimes que ces organisations s’expriment…
C’est ce qu’elles disent, mais ces gens ne savent même pas qui sont les victimes, ils ne les connaissent pas. En réalité, ils sont du côté de ceux qui ont commis les crimes, les perpétrateurs… C’est un monde auquel nous commençons à être habitué, c’est ainsi…
Pourquoi avez vous dit que ce rapport représente une menace pour la sécurité régionale ?
Parce que cela ne fait aucun doute…Telle est d’ailleurs l’intention des auteurs du rapport. Au cours des dernières années, nous avons tenté d’établir des contacts avec nos homologues, nos frères et sœurs dans d’autres pays, au Congo entre autres. Nous avons essayé de résoudre ensemble certains problèmes ; j’ai le sentiment que ceux qui sont à la base de ce rapport essaient de torpiller nos efforts. J’ignore pourquoi. Alors que Rwandais et Congolais, qui souhaitent la paix, sont satisfaits de l’amélioration des relations entre leurs pays, voilà ces gens qui, parlant en leur nom, risquent de tout saboter…Si vous suivez l’histoire d’Umoja Wetu, (ndlr. l’opération conjointe menée au Kivu en 2009 contre les rebelles hutus) vous constatez que les politiciens et les organisations non gouvernementales critiquaient cette opération. Mais lorsqu’elle a eu lieu, les Congolais eux-mêmes en étaient très satisfaits, car ils savent discerner ce qui est dans leur intérêt. Ce rapport a été publié dans le but d’empoisonner l’atmosphère, de ternir les relations entre le président Kabila et moi, de créer des divisions entre nous, et cela alors que la situation sur le terrain est encore instable. Ces gens veulent ils créer le chaos dans la région ? Jeter de l’huile sur le feu, alors que la paix demeure fragile…
Il y a eu des contacts entre les leaders de la région, afin de répondre ensemble à ce rapport ; nous voulons empêcher ce rapport d’atteindre son objectif réel, qui est de prolonger l’instabilité, le chaos dans la région…
Gardez vous le contact avec Kinshasa afin que la situation reste sous contrôle ?
Entre nous rien n’a changé, la relation reste bonne. Tous, nous réalisons l’importance du bien commun, de la paix, de la sécurité, de la stabilité, nous voulons le développement…La région soutient et comprend les efforts que nous menons pour travailler ensemble, pour tenter de résoudre nos problèmes. Et cela d’autant plus que les racines de ces problèmes ne sont pas si profondes…
Nous voulons que la région continue à progresser, il ne faudrait pas que des évènements qui se sont produits voici dix ans viennent paralyser nos efforts… La publication de ce rapport confirme certains de mes soupçons : je me demande si certains ne souhaitent pas que l’Afrique se développe, qu’elle aille de l’avant…C’est comme s’il y avait deux mondes : l’un au Nord, qui continue à aider l’autre, qui se sent bien dans ce rôle, et l’autre, qui se maintient dans le chaos, la souffrance, l’incompréhension. Je veux briser ce cycle.
Alors que le président soudanais Omar el Bechir fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, pourquoi souhaitez vous mobiliser l’Union africaine à son sujet ?
Qu’il s’agisse de la justice internationale ou de tout autre sujet, l’Union africaine doit avoir une voix, l’Afrique doit pouvoir s’exprimer. Tout d’abord parce qu’elle en a les capacités, les ressources, l’intelligence ; elle doit avoir la possibilité de rechercher et de formuler ses propres solutions.
Il est certain que le chaos en Somalie ou ailleurs en Afrique affecte le reste du monde. C’est pourquoi la communauté internationale doit donner à nos pays, et au Rwanda en particulier les moyens qui manquent encore afin que nous puissions fournir les troupes qui contribueront au maintien de la paix, ces troupes doivent être soutenues. Mais nous devons faire plus, pour qu’à la fin nous puissions prévenir les conflits, puis les régler. Mais pour réussir cela, nous les Africains devons être unis.
Les Européens se posent aujourd’hui des questions : mais que font les Chinois en Afrique ? Ils feraient mieux de se demander ce que eux, ils ont réalisé au cours des 50 dernières années ? En quoi l’Afrique a-t-elle bénéficié de ses contacts avec l’Europe ? Les Chinois apportent quelque chose de différent… Au moins, depuis qu’ils sont là, il y a plus de compétition, des alternatives existent…Pourquoi l’Afrique devrait-elle se contenter de voir les autres exploiter ses ressources et se disputer entre eux ? Nous devons pouvoir définir nous mêmes les termes de la négociation. Parfois je me demande s’il n’a pas été assigné à l’Afrique la vocation de rester un lieu dont d’autres exploitent les richesses, où ils exercent leur compassion, un continent qui ne peut pas faire de choix par lui-même…L’Afrique doit pouvoir s’exprimer par elle-même…
Pourquoi, après avoir menacé de les retirer, avez vous finalement laissé vos 3.300 Casques bleus au Darfour ?
Après la parution du rapport, j’ai songé à retirer nos troupes, engagées pour essayer d’apporter la paix au Soudan. Si elles sont accusées de génocide, comment peut-on alors les envoyer au Soudan ? Ma première réaction était de dire « puisque vous nous traitez de manière aussi injuste, nous ferions mieux de nous retirer… » Ensuite, il y a eu des discussions (ndlr. Ban Ki Moon, le secrétaire général de l’ONU s’est rendu à Kigali) et nous avons constaté qu’en fait personne n’accordait de crédibilité à ce rapport…
Que pensez vous de l’arrestation de Callixte Mbarushimana, qui depuis Paris dirigeait les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) ?
Ce que je me demande, c’est pourquoi il a fallu tant de temps pour l’arrêter…Il est vrai que sur le terrain, au Congo, les FDLR sont devenus plus agressifs. Et cela en dépit de la présence des Nations unies, qui dépensent des millions chaque année…
Ce problème remonte à tant d’années…En réalité, les opérations militaires que nous avions entamé avec l’armée congolaise auraient du continuer. Elles ont été critiquées, nous avons arrêté, mais au bout du compte, les viols continuent. Bien sûr, au cours de ces opérations, des gens allaient mourir, mais à la fin, le problème allait finir par être réglé.
Par la suite, on a fait du bruit, placardé des affiches disant « stop au viol » mais au bout du compte, il y a eu plus de violence encore. Je pense qu’au lieu de dénoncer les conséquences, il faut traiter la cause du problème…
Revenons au Rwanda : pourquoi le général Kayumba Nyamwasa et le général Patrick Karegeya ont-ils fait défection ?
Je ne veux pas gaspiller mon temps à parler de cela. Vous n’avez qu’à demander aux gens dans la rue si cela les préoccupe…
Dans un processus comme le nôtre, où il s’agît de construire notre pays, il y a toujours des gens qui ne comprennent pas… Kayumba et Karegeya n’interfèrent pas dans le futur de ce pays, ils ne signifient rien…
Moi aussi, j’ai entendu que ces hommes recrutaient des combattants au Nord Kivu, il y a des rapports convergents sur ce sujet. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, ces généraux ont même noué des liens avec les rebelles hutus et pris des contacts en Europe.
Leur but ? Tenter de déstabiliser le président Kabila, le Congo et le Rwanda, de détruire les bonnes relations entre les deux pays. Je peux dire que ces dernières n’en seront pas affectées, que notre pays n’en souffrira pas. Ils ont choisi la mauvaise période : le Rwanda est plus fort aujourd’hui qu’il ne l’était hier. Tenter quelque chose contre nous, c’est suicidaire, car la population est de notre côté… Mauvais timing, mauvaise stratégie, mauvaise action aussi, ils n’ont aucune chance. Importance zero…
Pourquoi l’opposante Victoire Ingabire, qui voulait se présenter à l’élection présidentielle, a-t-elle été arrêtée ?
Les faits sont connus depuis longtemps, déjà démontrés devant les tribunaux : elle exprime l’idéologie du génocide, elle a eu des contacts avec les FDLR…Il y a longtemps qu’elle aurait du comparaître et désormais, elle va devoir répondre de ses responsabilités. A mes yeux, lorsque l’on collabore avec des groupes génocidaires, qu’on leur donne de l’argent, que l’on s’associe à eux, cette seule charge devrait suffire. Nous avons des preuves, des témoins. Comment pouvez vous frayer avec des génocidaires et ensuite venir ici ?
La même chose s’est produite avec Erlinder, ce professeur américain qui avait été arrêté à Kigali. Je crois qu’il s’agissait de nous tester, voir si nous allions tolérer une politique négationniste, l’expression de l’idéologie du génocide. Nous nous attendions, et nous avons maintenu notre ligne, point final. Même s’il s’agît d’un professeur américain… Nous ne laisserons pas à d’autres le soin de défendre nos droits.
A ce sujet là, et aussi au sujet du Congo, vous êtes vivement critiqué dans la presse internationale…
Bien sûr, nous sommes très critiqués dans le monde des médias, parfois de manière très offensive. Tout se passe parfois comme si les droits des Rwandais étaient subordonnés à ceux des Congolais… Le monde s’indigne des viols et des tueries qui ont lieu au Congo, mais ces crimes n’ont pas plus de poids que s’ils se s’étaient passés au Rwanda…Les problèmes du Congo sont plus vieux que moi-même. Le génocide au Rwanda n’a pas explosé en une nuit, et au Congo aussi, les problèmes ont des racines très anciennes…
Ce qui importe, c’est de faire les bonnes analyses : si le monde se soucie tellement du Congo, pourquoi ne pas soutenir ce que nous essayons de construire dans la région ?
Quelles solutions envisagez vous au niveau régional ?.
Nous nous réunissons avec les leaders de la région, dont les Congolais, nous encourageons la communauté économique des pays des Grands Lacs, qui réunit le Congo, le Rwanda et le Burundi, nous y travaillons sur des questions socio économiques qui sont susceptibles d’améliorer la vie des gens dans les trois pays. Au delà des contacts entre ministres ou responsables de la sécurité, nous voulons aussi développer la coopération économique, entreprendre des projets communs, dans les domaines de l’énergie, de l’électricité…
Quel rôle voyez-vous pour le Rwanda dans la région ?
Nous sommes très conscients du fait que notre ressource principale, c’est notre population. C’est pourquoi nous voulons investir dans les capacités, la connaissance, l’organisation. Améliorer la gouvernance, renforcer les institutions, devenir plus compétitifs. Investir dans l’éducation, la santé, les infrastructures, la technologie, en plus de servir nos propres intérêts, ce sera notre contribution au développement de la région.
En outre, je veux combattre la corruption, même si la tendance est d’acquérir des bénéfices au détriment des autres. Combattre la corruption, cela peut amener des gens à fuir le pays en invoquant des motifs politiques…Mais si on laisse la corruption s‘enraciner, les conséquences seront pires encore. Le pire, c’est l’impunité, car à ce moment la corruption tue votre pays. Si je suis aussi décidé, aussi ferme, c’est parce que je veux que la lutte contre la corruption prenne racine dans la culture du Rwanda. Je veux que cela continue même après moi, car les gens verront les bénéfices qu’ils en retirent.
Lorsque des ministres sont arrêtés, les gens ordinaires se disent : « nous avons des leaders qui nous défendent, qui se soucient de nos intérêts. » Ils comprennent, ils souhaitent qu’il y ait davantage de gens comme moi. Lorsque les administrés voient que leurs dirigeants détournent l’argent qui devrait aller dans l’éducation, la santé ou les infrastructures, qu’ils constatent que la route n’est qu’à moitié construite, ils voient qu’on prend ce qui en réalité leur appartient…Lorsqu’ils voient que, par exemple, quelqu’un qui s’est construit une belle maison avec l’argent qui était destiné à la route est tenu pour responsable de ses actes, ils se font leur jugement… Quand nous luttons contre la corruption, nous avons la population avec nous mais les élites, ceux qui ont accès à la BBC, à la Voix de l’Amérique, font beaucoup de bruit. Moi, je sais que les gens ordinaires sont satisfaits. Et je sais que dans les pays voisins aussi, les citoyens souhaitent la même chose…
Au lendemain des élections, on a le sentiment que l’espace de liberté se rétrécit, dans la presse, dans la vie publique…
C’est à l’homme de la rue qu’il faudrait poser cette question. Durant les dernières élections, la presse, des groupes d’opinion, nous ont critiqués. Quand je vois leur raisonnement, je ne peux croire qu’ils soient intelligents, ou bien intentionnés. Voyez les faits : lors des élections, les gens étaient littéralement euphoriques. Des centaines de milliers de personnes ont fêté le résultat. On voudrait faire croire que ces gens étaient forcés ? Mais comment pouvez vous obliger des centaines de milliers de personnes à montrer leur bonheur, à sourire, à faire la fête ? Comment pouvez vous contraindre 5,5 millions d’électeurs ? S’ils ne sont pas d’accord avec moi, ou s’ils veulent voter pour Victoire Ingabire, ils peuvent toujours voter blanc, griffonner sur leur bulletin, le détruire…… Il y a toujours moyen de s’exprimer…
Je reviens sur le cas Ingabire : avez-vous déjà vu un pays où quelqu’un arrive en disant qu’il veut être candidat à la présidence, alors qu’il faut tout de même une base, un processus…
Les gens voudraient peut-être que nous soyons un pauvre petit pays mendiant sa nourriture, que nous soyons comme une réserve où les étrangers viendraient pour nourrir les animaux, à condition que ces derniers disent merci…
Croyez moi, ce que nous faisons, c’est pour nous mêmes. Pas pour faire plaisir à qui que ce soit. Nous voulons être de fiers Rwandais, de fiers Africains, progressant autant que nous le pouvons, sans que d’autres viennent nous dicter…
Dans ce processus, nous savons que d’autres Africains souffrent aussi et que nous devons unir nos forces, le Rwanda n’est pas une île, nous devons partager cet esprit avec d’autres…
C’est cette aspiration à l’indépendance qui est la cause profonde de l’hostilité que nous suscitons. Tout le monde ne se réjouit pas des progrès d’un pays comme le nôtre…
Que vaut aux Belges de devoir attendre 21 jours pour obtenir un visa pour le Rwanda ? N’est ce pas discriminatoire à leur égard ?
Cette mesure découle de la manière dont les Belges eux-mêmes nous traitent. Nous avons souvent entendu les plaintes des gens qui doivent attendre durant des heures, sous le soleil ou la pluie, avant d’être reçus dans votre consulat à Kigali.
Il y a aussi beaucoup de cas de mauvais traitements à l’égard des Rwandais dans votre aéroport. Tout récemment, un groupe d’étudiants qui revenaient des Etats unis pour des vacances a transité par Bruxelles. Comme l’avion avait 24 heures de retard, tous les autres passagers furent autorisés à se rendre à l’hôtel, y compris des Ougandais. Seuls les Rwandais furent obligés de rester à l’aéroport, sans qu’il leur soit permis de sortir. C’est pourquoi nous avons répliqué. Avec le Canada nous avons connu le même problème, mais là c’était pire, ils devaient même indiquer sur leurs formulaires de demande de visa dire s’ils étaient Hutus et Tutsis.
Les Belges doivent attendre 21 jours pour recevoir un visa, mais pour les Rwandais qui veulent se rendre en Belgique, c’est plus long encore…
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