Un rapport de l'Organisation des Nations unies ternit l'image du " libérateur " Paul Kagamé, dont l'Armée patriotique aurait bien exécuté des centaines de milliers de civils hutus après le génocide de 1994.
Le New York Times a entamé ce travail de correction dans un article intitulé " Une nouvelle perspective sur le génocide ", alors qu'au mois de juillet 2007 le quotidien new-yorkais présentait encore Kagamé comme un chef d'Etat " honnête, intelligent et capable ". Et, certes, un brin " autoritaire ". " Sanguinaire " semblerait plutôt le qualificatif approprié, à en croire les conclusions de l'enquête transmise au Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU. Accusation centrale des 545 pages dont le Monde a dévoilé le contenu : un autre génocide a peut-être été commis dans la région des Grands Lacs après celui qui fit près de 800 000 morts au Rwanda en 1994, essentiellement des Tutsis mais aussi des Hutus modérés. Cette fois, les victimes de ces nouveaux " crimes de guerre " furent des dizaines de milliers de civils hutus, réfugiés dans l'est du Congo par peur des représailles exercées par le Front patriotique rwandais (FPR) de Kagamé, à dominante tutsie. Un scoop ? Même pas. Dès la fin des années 90, Roberto Garreton, autre commissaire onusien, dénonçait les exactions commises par les troupes rwandaises lors de la première guerre du Congo (1996-1998).
De l'équation simpliste...
A l'époque, celles-là encadraient l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila (père de l'actuel président congolais), lancée dans une opération de nettoyage des camps de réfugiés hutus dans le nord et le sud du Kivu. Kigali a toujours justifié son intervention en territoire congolais en invoquant un droit de poursuite légitime mais limité aux seuls ex-miliciens génocidaires interahamwe, au prétexte qu'ils franchissaient la frontière pour déstabiliser le " nouveau Rwanda ". Les deux rapports de l'ONU décrivent pourtant une autre réalité : " Des exécutions systématiques, souvent à l'arme blanche, de femmes, de personnes âgées, d'enfants qui ne représentaient aucune menace. " Combien ? Emma Bonino, la commissaire européenne, avait déjà évoqué la disparition corps et biens d'au moins 200 000 Hutus sur le million et demi de réfugiés que comptait alors le Kivu. Roberto Garreton a rappelé, de son côté, que son rapport lui avait valu insultes et coups bas.
La " communauté internationale " a longtemps préféré se boucher les oreilles pudiquement, tout à sa culpabilité, attisée par la rhétorique de fer de Kagamé la rendant responsable du génocide de 1994. L'équation était simple, pour ne pas dire simplette : l'homme qui avait mis fin au génocide ne pouvait se transformer en bourreau. En outre, pour tous les tiers-mondistes amoureux d'une Afrique imaginaire, à l'image de l'association Survie, il incarnait le leadership d'une coalition s'opposant aux troubles menées de la Françafrique. Cette lecture idéale, encouragée par les intérêts américains, se heurtait pourtant à quelques faits dont un certain Lénine disait qu'ils sont têtus.
... à la révision critique
Quid, ainsi, de la responsabilité même du FPR dans le drame rwandais ? Au fil du temps, Kagamé a réussi à imposer une écriture de l'histoire contemporaine de son pays dont il sort immaculé, auréolé de la légende des libérateurs auxquels les peuples doivent vouer une reconnaissance éternelle. Or, comme l'a montré le remarquable ouvrage d'André Guichaoua, Rwanda, de la guerre au génocide*, la stratégie de la tension du FPR, organisée à l'extérieur du pays, son refus de tout compromis avec le régime de Juvénal Habyarimana ont favorisé la montée de la violence et les extrémismes. Reste ensuite une interrogation récurrente sur sa responsabilité factuelle dans l'attentat qui coûta la vie à l'ancien président hutu et signa le déclenchement du génocide. Les investigations controversées de l'ancien juge Jean-Louis Bruguière n'ont pas permis de trancher la question et une partie des médias français n'a eu de cesse de disqualifier le travail du magistrat. C'est qu'attaquer Kagamé équivalait, il n'y a encore pas si longtemps, à l'infamant soupçon de complicité avec les tueurs hutus. Plutôt que de regarder froidement la réalité postgénocidaire du Rwanda, certains procureurs autoproclamés avaient une autre priorité : débusquer de pseudo-négationnistes ; en clair, tous ceux qui n'adhéraient pas aveuglément à la " success story " estampillée Kagamé. Enquêteur chevronné et auteur de nombreux livres sur l'Afrique, Pierre Péan l'a appris à ses dépens quand SOS Racisme l'a poursuivi pour " incitation à la haine raciale ", véritable procès en sorcellerie contre son livre Noires fureurs, blancs menteurs consacré au génocide. Face aux avocats de l'association, les mêmes que ceux d'un dignitaire du régime de Kagamé, Péan a été relaxé et se félicite des derniers rebondissements. " Il y a eu un tel aveuglement chez certains, dit-il. Leur détestation de la France les a totalement braqués, il n'y avait que cela qui comptait à leurs yeux. " On aurait ainsi aimé savoir si le nouveau rapport de l'ONU trouble Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, à l'initiative des poursuites contre Péan. Contacté, son service de presse n'a pas daigné rappeler Marianne. Parmi les plumes autrefois plutôt indulgentes à l'égard de Kagamé, les plus sérieuses avaient déjà amorcé la révision critique. Le cas du Monde est à cet égard emblématique. Sous la plume du journaliste Stephen Smith, excellent connaisseur de l'Afrique, le quotidien du soir avait déjà pris ses distances avec le régime de Kagamé, qui l'avait un temps charmé par son anticolonialisme de façade. Mais le changement, cette fois, est spectaculaire puisque le journal a été choisi parmi tous les grands quotidiens internationaux pour organiser la fuite préventive du rapport. En l'annonçant à la une, il lui a donné tout le retentissement nécessaire. A Libération que l'on avait connu plus enclin à taper sur Péan, Sabine Cessous a longuement interviewé André Guichaoua. Il ne manque que Bernard Kouchner à montrer un peu de lucidité. Quand il sera viré du gouvernement, peut-être...
* La Découverte.
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