Abdoulaye Sidy
16 Novembre 2010
interview
De passage à Dakar, Lanciné Camara, président de l'Union internationale des journalistes africains (Uija) basée à Paris et directeur de publication du magazine Le Devoir Africain, comprend mal que, dans un continent assis sur des mines d'or, de diamant et parfois sur des puits de pétrole, des gens meurent de faim. Un défi que la presse africaine doit relever en faisant prendre conscience à nos dirigeants leurs lacunes. Il aborde, en outre, la misère des journalistes, la relation entre presse et pouvoir... Entretien.Quel est l'état actuel de la pratique journalistique en Afrique
Dans la pratique journalistique en Afrique, il y a des hauts et des bas. Il y en a qui sont des journalistes incendiaires, provocateurs. Malheureusement, ils ne respectent pas souvent la déontologie.
Ces journalistes qui désinforment, ont intérêt dans un continent qui est à feu et à sang par les guerres ethniques, à informer sans rajouter de l'huile sur le feu.
Heureusement, ici au Sénégal, vous avez des journalistes qui sont très responsables et sérieux dans leur métier. Il faut que la presse africaine soit de bonne qualité et que les journalistes soient de très bonne formation.
C'est une exigence morale et déontologique. Il y a partout de très bons journalistes. Mais, évidemment, on en trouve aussi de très mauvais.
Vous mettez l'accent sur la formation. Mais où se situe la faille ?
Il faut des écoles de journalisme de bonne qualité. Je sais qu'à Dakar, vous avez des centres où vous êtes formés par de grands professionnels qui vous disent que la rigueur est de mise et qu'il ne faut rien faire ni dire à la légère.
Mais il y a des pays africains où ce type de centre de formation de journalisme n'existe pas ou, en tout cas, existe peu. La faille, c'est cela.
Parce que c'est dès l'école de journalisme qu'il faut apprendre à être rigoureux, responsable, à être compétitif, rentable intellectuellement et journalistiquement, mais aussi à être un communicateur qui apporte un plus à la communication et non pas être un journaliste alimentaire.
C'est vrai qu'il faut que les journalistes soient payés, mais la presse, c'est une entreprise comme les autres, ce sont les meilleurs qui gagnent. C'est cela la vérité, et plus il y a de meilleurs, plus la presse se porte bien.
Le respect de la profession de journaliste se pose-t-il en Afrique ?
Ah si ! Quand je crée un journal, au départ, c'est une entreprise dans laquelle je mets de l'argent. Si je veux que cette entreprise prospère, je ne peux que travailler avec des journalistes compétents.
Le 'Devoir Africain, c'est simple, je prends des journalistes qui savent écrire, lire et qui savent apporter la bonne nouvelle. Mais il faut qu'au départ, les journalistes soient payés en fonction de leur qualité, de leurs articles, cela coule de source.
Quels sont les défis de la presse africaine, cinquante ans après les indépendances ?
Les défis sont colossaux. Ce sont des défis énormes. D'abord, il y a que les populations africaines sont sous informées.
Sinon, comment est-ce que vous pouvez expliquer que, dans un continent assis sur des mines d'or, de diamant et parfois sur des puits de pétrole, les gens meurent de faim ? C'est parce qu'il y a la sous-information d'une part, et d'autre part, il y a des dirigeants qui n'en valent pas la peine.
Un bon dirigeant que ce soit au Sénégal, en Côte d'Ivoire, en Guinée, au Nigeria, c'est d'abord s'entourer de cadres compétents, de gens qui créent, qui inventent, qui innovent.
Ce sont ces gens-là qui créent la richesse. Ce sont ces gens qui font qu'on peut transformer sur le terrain à Dakar, à Bamako, etc., nos matières premières pour que nos populations puissent en bénéficier. Malheureusement, ce n'est pas le cas.
On vient prendre nos matières premières avec des dirigeants complaisants, on va les transformer à Paris, à Londres, aux Etats-Unis, et l'on vient nous les revendre au prix fort. Mais il faut sortir de là et le journaliste, en informant les populations, doit faire prendre conscience à nos dirigeants ces lacunes.
Il y en a qui le font, mais qui sont traqués par les pouvoirs publics...
S'ils sont traqués par les pouvoirs publics ou par des régimes au pouvoir, il faut qu'ils s'adressent à toutes les agences internationales pour dire que ce n'est pas normal qu'un journaliste qui dénonce nos défauts, particulièrement ceux de nos dirigeants soit persécuté.
Si un jour, un journaliste sérieux qui dénonce nos tares, est traqué, l'Union internationale des journalistes africains est là pour le soutenir.
Combien de journalistes sont-ils détenteurs de la carte de presse de l'union que vous dirigez ?
Nous faisons cent soixante journalistes africains, dont soixante-dix sont basés en Afrique, le reste étant éparpillé aux Etats-Unis et en Europe.
Comment ce rôle de défenseur des droits des journalistes peut-il impacter positivement sur un jeune reporter au Sénégal qui croupit sous le poids de la misère ?
Il faut, à ce moment-là, des états généraux de la presse pour que les journalistes sénégalais s'en sortent. Faire la part des choses, voir ce qui n'a pas marché et ce qu'il faut maintenir comme déjà acquis.
Ce seront des décisions que vous allez soumettre aux autorités. Je sais que le gouvernement sénégalais a toujours contribué, d'une façon ou d'une autre, à la promotion de la presse.
Il vous verse une certaine somme et c'est à vous de bien partager ce qu'on vous donne. Il faut que cet argent ait un impact positif sur les journalistes pour qu'ils ne croupissent pas dans la misère. Ceci n'est pas normal, c'est à corriger.
Mais cette subvention ne peut-elle pas servir d'arguments à l'Etat pour étrangler la presse ?
Non ! La subvention, c'est quelque chose de normal. Les entreprises de presse sont des entreprises privées que l'Etat assiste selon ses moyens. Que l'Etat accorde cette subvention à la presse, c'est tout à fait normal.
C'est une règle universelle. Mais, les agences de presse doivent, en fonction de cela, s'organiser pour avoir des sponsors autres que l'Etat, et puis faire en sorte que les investisseurs viennent vers eux dans le cadre de leur promotion, tout en restant dans le cadre de la déontologie.
C'est comme cela que la presse elle-même pourra tenir debout financièrement, payer ses journalistes et avancer dans la bonne direction. Ce n'est pas du tout incompatible.
Mais, dans ce cas, l'organe partenaire n'est-il pas tenté d'étouffer une information qui ne plaît ?
Mais, que non ! Je vous donne mon propre cas. Quand j'ai dit au président Omar Bongo (paix à son âme) que ce qui est arrivé à Mobutu, à Bokassa peut lui arriver, il ne me croyait pas.
Je lui ai dit que la françafrique avait fait croire à Bokassa que c'était un empereur, mais c'étaient les diamants qui intéressaient Giscard.
De la même manière, quand Mobutu était encensé par une certaine presse française et européenne en disant que c'était le meilleur, j'ai dit non, que tout cela n'est pas bon.
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