mercredi 17 novembre 2010

RDC : De l’exclusion de la diaspora du processus électoral

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Armand TUNGULU - Des manifestants congolais opposés à Joseph Kabila défilent dans les rues de Bruxelles, le 23 octobre 2010 


Depuis 2006, la non-participation des Congolais de l’étranger au processus électoral, interprétée comme une exclusion, est un leitmotiv du discours politique au sein de la diaspora congolaise en Occident. L’article « Elections 2011 : Tshisekedi for President » démontre que cette préoccupation reste d’actualité. On peut en effet y lire : « En attendant l’arrivée de Tshisekedi wa Mulumba, un petit débat s’est engagé. Il a tourné essentiellement autour de l’exclusion des Congolais de l’étranger des opérations électorales dans leur pays. Alors que ceux-ci, a dit l’UDPS François Tshipamba Mpuila, constituent un facteur de paix sociale à travers l’argent en devise forte envoyé aux parents. Nous devons nous battre pour que les Congolais de la diaspora puissent avoir le droit de voter, a-t-il martelé ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces propos témoignent de la démagogie ou de l’ignorance de leur auteur ; ce qui, dans un cas comme dans l’autre, suscite de gros points d’interrogation quant à la qualité d’homme politique que ce dernier représenterait. Il est temps d’éclairer les Congolais à ce sujet. 
De 2004-2005, j’ai travaillé à la Mission des Nations Unies au Liberia comme conseiller électoral provincial, chargé de la formation du personnel électoral et de l’éducation électorale et civique des masses. Dans chaque province, la division électorale onusienne était représentée par trois leaders. Le premier était chargé des opérations de manière générale, le second de la formation et le troisième de la logistique. Les trois leaders étaient couplés à trois homologues de la Commission Electorale Nationale du Liberia à qui ils transmettaient par osmose le savoir en matière d’organisation électorale selon les normes internationales. Dans mes fonctions, j’étais à la tête d’une structure composée de neuf superviseurs électoraux venus des quatre coins du monde (Amérique, Afrique, Europe et Asie) et couplés à neuf homologues libériens à qui ils transmettaient également le savoir. Je supervisais aussi trois éducateurs civiques et coordonnais les activités des associations de la société civile accréditées par la commission pour l’éducation électorale et civique des masses.
La formation électorale se déroulait en cascade. Avant chaque opération électorale, les quinze conseillers provinciaux chargés de la formation que comptait le pays, en raison de ses quinze provinces, et leurs homologues libériens se rendaient dans la capitale pour recevoir une formation initiale. Une fois de retour dans leurs provinces respectives, ils donnaient la même formation aux superviseurs électoraux et leurs homologues. Après, ils supervisaient la formation des présidents des bureaux d’enregistrement des électeurs ou de vote par les superviseurs électoraux et leurs homologues. Dernière cascade, les présidents formaient à leur tour les autres membres des bureaux sous la supervision des superviseurs électoraux et leurs homologues. Chaque opération, on s’en doute, était précédée par le recrutement du personnel devant travailler à travers le territoire provincial. Cela était du ressort du responsable des opérations de manière générale et de son homologue libérien. Mais le conseiller chargé de la formation avait un rôle important à jouer dans l’administration des tests et leur correction ainsi que dans l’affectation du personnel à travers la province. Pour cette raison, c’est à lui que le quartier général de la division électorale de la Mission envoyait électroniquement les tests et réponses.
J’étais basé dans la province de Lofa qui, dans l’histoire libérienne, présente des similitudes avec le Kivu au Congo. Les Mandingo, populations qui avaient émigré de la Guinée frontalière des provinces de Lofa et Nimba, portent le même stigma que les Banyarwanda. Ils sont accusés d’être des citoyens à nationalité douteuse. A cela s’ajoute le fait qu’ils sont musulmans alors que les autres Libériens sont généralement chrétiens. Le travail abattu par mon équipe lors de l’enregistrement des électeurs, période au cours de laquelle les Mandingo installés dans la capitale nous accusaient sans raison d’ostracisme vis-à-vis des membres de leur ethnie tandis que la BBC annonçait également sans raison que nous enregistrions des Mandingo guinéens, avait porté cette province au premier rang. Mon équipe avait commis 9% d’erreurs pendant que ce taux variait entre 12 et 46% dans les autres provinces. Fort de cet exploit, j’étais plus tard invité par le quartier général de la division électorale à donner à mes propres collègues la formation initiale du « determination process », opération au cours de laquelle l’on statue sur les dénonciations par les citoyens des personnes qui se seraient faites enregistrées comme électeurs en violation de la loi.
Ouvrons une dernière parenthèse pour souligner la médiocrité de l’environnement dans lequel évolue la classe politique congolaise. Une délégation du Congo avait séjourné à Monrovia pour observer le processus électoral. L’initiative était louable dans la mesure où plus tard, les élections congolaises allaient être organisées également avec le concours d’une Mission des Nations Unies. La délégation était reçue par le directeur de la division électorale de la Mission, un citoyen belge. Le « notable » de la communauté congolaise du Liberia d’alors, un condisciple des années collège et directeur national de l’ONG américaine Center for Victims of Torture, avait organisé dans sa résidence une réception en leur honneur. Tous les deux, le directeur et le « notable », leur avaient fait part des résultats obtenus par une équipe dirigée par un Congolais lors de l’enregistrement des électeurs. Sous d’autres cieux, on se serait empressé d’avoir au moins un entretien avec un tel compatriote. Mais au Congo, on est avant tout sélectionné suivant un mécanisme népotiste et clientéliste bien huilé juste pour jouir de frais de mission. Ce que l’on peut apprendre pour le bien du pays ne compte guère.
La dernière parenthèse fermée, revenons à nos moutons. Dans le cadre de l’éducation électorale et civique des masses, l’une des questions les plus posées était le pourquoi de la non-participation des Libériens de l’étranger au processus électoral. Les choses ne sont pas aussi simples que se l’imaginent les élites congolaises dont les hommes politiques qui devraient pourtant éclairer la masse. Il ne suffit pas de vouloir donner le droit de vote aux membres de la diaspora. Encore faut-il obtenir l’autorisation des pays hôtes ; ce qui n’est pas garanti d’avance.
Que se passerait-il en cas de refus d’autorisation par certains pays ? Imaginons, par exemple, un « oui » de la Belgique et un « non » de la France. Serait-il juste que les « Belgicains » participent au processus électoral pendant que les « Parisiens » en seraient exclus ? La sécurité est un autre défi à relever. Quand on voit le spectacle désolant qu’offre l’Afrique, quel est ce pays occidental qui accepterait facilement que des élections d’un Etat africain s’organisent sur son territoire ? Qui prendrait en charge le coût de la sécurité ? Autre défi de taille, la transparence du scrutin. Qui peut l’assurer à ce niveau ? Les ambassades qui sont toutes entre les mains des clients des pouvoirs en place ? En réclamant aujourd’hui le droit de vote des Congolais de l’étranger, l’opposition ne s’aperçoit même pas que celui-ci se retournerait vite contre elle. Cette myopie en rappelle une autre : la victoire que l’opposition avait arrachée à Mobutu pour le multipartisme intégral, au lieu du multipartisme à trois décidé par ce dernier et perçu à tort comme un piège. Enfin, il y a le coût financier de l’organisation des élections à l’extérieur du pays. Il est simplement colossal. La sagesse populaire Bambala dit : « Musungu ukenda ayi mbi ugondamana ! ». Traduisez : « On vous offre un morceau de canne à sucre gratuitement et vous avez le culot de vous plaindre qu’il est courbé ! » Déjà avec l’électorat interne, les pays africains sont incapables de mobiliser des ressources financières suffisantes pour organiser leurs propres élections. A chaque échéance, ils attendent la contribution des puissances occidentales comme si celle-ci était un droit. Dans ce contexte, ce serait un manque de décence que de vouloir inclure les membres de la diaspora dans le processus électoral, car cela constituerait un luxe pour tout donateur, fut-il un pays « ami » ou une institution financière internationale.
Donnons un exemple pour mieux faire comprendre le manque de décence de même que la pertinence de la sagesse populaire Bambala dont il est question ci-dessus. La loi électorale libérienne prévoit qu’une majorité absolue est requise pour emporter non seulement l’élection présidentielle, mais aussi l’élection législative. Dans un pays où l’appartenance ethnique ou géographique est le facteur le plus déterminant du choix des électeurs, ce qui est le dénominateur commun des pays africains, cela signifie qu’on devrait s’attendre à un deuxième tour lors de toute élection législative alors que l’Etat n’a déjà pas assez des moyens pour organiser seul le premier tour. En 2005, cette provision de la loi électorale était suspendue par les accords de paix d’Accra de 2003 pour ne pas imposer à la communauté internationale un lourd fardeau financier. Une majorité simple était requise pour emporter un siège au parlement ou au sénat. A la suite de l’installation du gouvernement issu de ces élections, l’accord de paix d’Accra était devenu caduque. Résultat, en l’absence d’un referendum pour modifier la loi électorale, toutes les élections législatives qui se sont déroulées de 2005 à ce jour pour remplacer des députés ou sénateurs décédés ou révoqués ont connu un second tour. Le Liberia s’apprêtait à organiser les élections de 2011 sur base de la même loi. Le calendrier électoral était déjà publié. Soudain, il y a eu une nouvelle donne. Désormais, le pays doit organiser un referendum pour modifier la loi de manière à ce qu’il n’impose ni à lui-même ni à la communauté internationale un fardeau financier inutile. Soyons sérieux ! Quand les pays riches qui financent vos élections disposent des lois électorales selon lesquelles les législatives sont gagnées à la majorité simple, ils ne peuvent comprendre que vous vous permettiez le luxe d’une loi à majorité absolue. Comme diraient les Bambala, quand on vous offre un « musungu ukenda », vous n’avez pas le droit de dire : « Musungu ugondamana».
Certes, le régime de l’imposteur « Joseph Kabila » n’aurait aucun intérêt à associer les Congolais de la diaspora occidentale, qui lui sont majoritairement hostiles, à un processus électoral. Mais il serait injuste de l’accuser de vouloir les exclure. Il ne s’agit nullement d’exclusion, mais de l’impossibilité d’organiser des élections à l’extérieur du pays dans le contexte africain actuel. Par ailleurs, quand l’UDPS Mpuila avance comme argument le fait que les Congolais de la diaspora « constituent un facteur de paix sociale à travers l’argent en devise forte envoyé aux parents », faut-il en déduire que les membres de la diaspora dans les autres pays pauvres du monde notamment ceux d’Afrique devraient être tenus à l’écart ? Si oui, au nom de quel principe ? Si non, a-t-on seulement une idée de l’ampleur de la tâche qui consisterait à donner le droit de vote à tous les Congolais de l’étranger ? De quel fichier d’état civil viable dispose le Congo pour pouvoir les identifier tous ? Comment séparer l’ivraie d’avec le bon grain quand on connait la complexité des réalités de l’émigration qui fait qu’on change de nationalité au gré des opportunités offertes par les pays hôtes ? N’avons-nous pas des Congolais qui portent la nationalité d’autres pays africains tandis que d’autres Africains portent la nationalité congolaise tout simplement parce que tel était le meilleur moyen d’entrer ou de s’enraciner dans le pays hôte à un moment donné de son histoire?
On ne s’attend pas à ce que nos hommes politiques maîtrisent tous les dossiers possibles et imaginables. Mais quand ils prennent la parole au sujet d’un dossier bien déterminé, ils se doivent de le maîtriser par respect pour le peuple et pour eux-mêmes. Ceci est valable non seulement pour les hommes de la caste enchanteresse du pouvoir, mais aussi pour les opposants. Il est facile de critiquer le pouvoir quand on est dans l’opposition. Mais faire des propositions concrètes et responsables pour faire avancer la société demeure une tâche ingrate dans laquelle les oppositions africaines se mouillent rarement. Accorder le droit de vote aux Congolais de l’étranger équivaudrait à créer un cafouillage monstre. Qui en aurait intérêt ?
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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