mercredi 29 décembre 2010

Jeux et enjeux des commissions électorales indépendantes en Afrique


Créées dans la quasi- totalité des pays d’Afrique subsaharienne, les commissions électorales indépendantes ont acquis au fil du temps depuis l’ouverture politique dans les années 90 dans ces pays un rôle capital dans les processus électoraux et font débat pour leur pouvoir quelquefois aliéné aux yeux des observateurs, à la lumière de la situation en Côte d’Ivoire.
"Les commissions électorales indépendantes sont des formes de courte échelle pour pouvoir parvenir à un minimum de conjugaisons politiques lorsque les acteurs, qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition, notent que leurs vues sont en forte contradiction et sont susceptibles de bloquer la marche ou l’évolution des processus politiques", a expliqué à Xinhua Laurent Mbassi, analyste politique enseignant à l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC).
Reconnues comme une exigence des bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale ou le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), ces structures installées sous des appellations diverses tant des pays anglophones que francophones du continent sont généralement chargées de l’organisation, de la gestion et de la supervision des élections.
Contrairement à la Côte d’Ivoire, au Tchad, à la Centrafrique, au Burkina Faso, au Rwanda, au Burundi ou même encore au Nigeria par exemple où elles sont simplement désignées sous le nom de Commissions électorales indépendantes (CEI) ou Commissions électorales nationales indépendantes (CENI), le Cameroun a plutôt baptisé la sienne Elections Cameroon (ELECAM), créée sur les cendres de l’Observatoire national des élections (ONEL).
Dans pratiquement tous les cas, la contestation est au rendez- vous, avec parfois de chaudes empoignades entre le pouvoir et l’opposition sur le travail de ces organes, comme le témoigne à l’envi l’exemple malheureux de la Côte d’Ivoire où de profonds désaccords au sein de la CEI contrôlée par 22 membres sur 29 par l’opposition dont le président, ont provoqué une nouvelle crise politique au sommet.
Au Cameroun, alors qu’elle n’a même pas encore organisé une élection, ELECAM, portée sur les fonts baptismaux par une loi votée par l’Assemblée nationale (Parlement) camerounaise en novembre 2006 et opérationnelle depuis 2009, fait déjà l’objet d’une levée de boucliers des partis de l’opposition qui la jugent non porteuse de garantie de crédibilité et d’impartialité dans le jeu électoral entre le régime du président Paul Biya et ses adversaires.
Or, note Laurent Mbassi, "les commissions électorales indépendantes n’ont pas vocation à remplacer les institutions nationales. Le principe d’une cellule, d’un comité ou d’une commission ad hoc est toujours d’avoir à agir dans l’urgence et avec une mission. Donc, son mandat spécial est limité. Lorsque les enjeux majeurs dont notamment les enjeux de contrôle de pouvoir remontent à la surface, il s’est souvent vu que lesdites commissions sont doublées et on met en exergue les institutions nationales connues".
Selon lui, "la plupart des membres des commissions électorales indépendantes généralement ne détiennent pas de mandats électoraux, donc ils peuvent avoir une légitimité qui est sujette à caution. Les élections sont d’abord une question de souveraineté et on ne peut pas abandonner la souveraineté d’un Etat à des acteurs qui n’ont pas de légitimité politique véritable et sont donc appelés à gérer des processus aussi importants".
Les lois nationales provenant des représentants du peuple, on peut estimer qu’elles sont l’émanation directe du peuple, insiste- t-il citant le cas de la Côte d’Ivoire où il estime que, au regard de l’imbroglio politique déclenché à la suite du second tour de l’élection présidentielle le 28 novembre opposant le chef de l’Etat sortant Laurent Gbagbo et son rival Alassane Ouattara, la primauté revient en tout état de cause à l’ordre constitutionnel.
Chercheur à la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale (FPAE) ayant pignon sur rue à Yaoundé, l’historien Joseph Owona Ntsama soutient que "les commissions électorales indépendantes sont des structures imposées de l’extérieur, au nom du sacro-saint principe de la démocratie qu’il faut rétablir et de la gouvernance qu’il faut réhabiliter, avec un certain nombre de prérogatives. Mais imbues de leur puissance, elles les outrepassent allègrement et continuent d’être soutenues par la communauté internationale".
Et pour cause ? "Quand on vous impose ces CEI, on sait exactement ce qu’on vise. Ça veut dire le maintien de la tutelle le contrôle absolu des décisions que vous êtes susceptible de prendre. Ça veut dire également en réalité que nos Etats sont dirigés de l’extérieur, nous ne sommes des Etats que de nom. L’on sait très bien que ces grandes puissances que l’on retrouve sous le vocable de la communauté internationale ont toutes leurs intérêts d’une manière ou d’une autre dans les anciens pré-carrés africains, les survivances de ladite Françafrique, etc.".
S’agissant de la nécessité des CEI, l’historien souligne qu’" elle est pratique, politique et davantage dans un aspect de pragmatisme politique. On a besoin d’une commission électorale indépendante, parce qu’on estime qu’il faut un organe, une structure de contrôle plus ou moins supranationale qui va avoir un droit de regard sur tout ce qui va être fait pour que la démocratie qui va avec soit quelque chose qui sera respecté de bout en bout".
Maintenant pour ce qui est de la pertinence, dit-il, "je suis de ceux qui pensent que les Africains devraient pouvoir prendre leur avenir en main. Prenons les fameuses commissions vérité et réconciliation. C’est des initiatives qui partent de nous, qui ne sont pas imposées par qui que ce soit. Mais, les commissions électorales indépendantes ne sont pas financées par les pays qui requièrent leur expertise. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, c’est la communauté internationale qui l’impose et qui finance tout. Par conséquent, comme on dit, c’est celui qui banque qui décide".
Pourtant, la mission d’une CEI au terme d’un processus électoral est sans équivoque : elle regarde, consulte les procès verbaux et transmet à qui de droit, c’est-à-dire à la Cour suprême comme c’est le cas du Cameroun ou bien au Conseil constitutionnel pour le cas de la Côte d’Ivoire.
Pour sortir de l’auberge et surtout éviter les situations de chaos, Laurent Mbassi et Joseph Owona Ntsama préconisent l’un et l’autre de mettre en place des institutions nationales consensuelles, fiables et crédibles pour ne pas avoir besoin à chaque élection de créer une commission ad hoc dont les pouvoirs sont limités et dont les conclusions seront contestées.
Il est notamment question, selon eux, de travailler sur la durée, à l’échelle étatique, nationale plutôt que de travailler sur une forme d’érection d’acteurs ou de représentants de la société civile en acteurs politiques majeurs.
Par Raphaël MVOGO
(Xinhua)

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