jeudi 30 décembre 2010

Le panafricanisme comme une réplique à la colonisation moderne

Séraphin Prao

15 Mars 2010

"L'avenir sera impitoyable pour ceux qui jouissant du privilège exceptionnel de pouvoir dire à leurs oppresseurs des paroles de vérité, se sont cantonnés dans une attitude de quiétude, d'indifférence muette et quelquefois de froide complicité" disait notre lucide frère Frantz Fanon. Nous nous proposons de fournir, ici, une modeste réflexion sur la colonisation. C'est un sujet qui a été beaucoup discuté.

En effet, il existe peu d'événements historiques chargés d'une connotation aussi négative que la colonisation et la dictature nazie. Je ne vais donc pas prétendre donner un texte résumant fidèlement le fait colonial, tant il est diffus. Je me bornerai donc à quelques indications qui me paraissent au moins essentielles. Des apprentis sorciers de l'histoire ont distillé au sein de la communauté scientifique des conceptions aussi fantaisistes qu'erronées : le révisionnisme injurieux. C'est ce dont nous parlons dans un premier temps. Dans un deuxième temps, nous essayerons de présenter un condensé du fait colonial. On verra que la colonisation continue encore sous une autre forme. Enfin, dans un troisième temps, nous pourrons, je crois, accepter le panafricanisme comme une réplique à la colonisation moderne.

Le révisionnisme injurieux

On entend dire, en Europe, surtout en France, qu'il faut en finir avec la repentance sur la colonisation. On voudrait simplement nous faire croire que la colonisation a eu des effets positifs comme si les colonisés avaient formulé une demande de colonisation. Par exemple, il revient, sans cesse dans l'actualité, l'idée que la colonisation aurait mis fin aux guerres et révoltes internes qui ravageaient les territoires colonisés. A en croire l'historiographie annamite, citée par Denise Bouche, on recense pas moins de 405 révoltes au cours des huit premières décennies du XIXème siècle. Au Fouta-Djalon (Guinée), entre 1747 et 1896, l'empire peul musulman n'aurait point connu une seule décennie sans bataille ni campagne militaire. Les européens seraient donc des "messies" que les africains attendaient. Lorsque les européens décidaient d'explorer la planète, ils se sentaient obligés d'exporter leurs principes humanistes au monde comme le rappelle Victor Hugo en 1841 : "nous sommes les Grecs du monde ; c'est à nous d'illuminer le monde".

En réalité, cette mission civilisatrice est un habillage hypocrite de visées mercantilistes. Découvrant des terres chaudes en Martinique, à Saint-Domingue ou en Jamaïque, Français, Espagnols, Anglais ont voulu exploiter ces terres soit avec une main-d'oeuvre locale (les indiens de l'espace caraïbe), soit avec une main-d'oeuvre susceptible de résister au chaud climat tropical, donc les Noirs africains, d'où leur déportation.

Dans un discours à Alger, le 2 février 1944, le général De Gaulle mettait en avant cette mission civilisatrice menée par la France dans ses colonies, dont les agents étaient "les administrateurs, les soldats, les colons, les instituteurs, les médecins, les missionnaires". Cette façon de lire l'histoire avec les "lunettes" de colons n'est pas respectueuse. Il est faux de dire que la colonisation a eu des effets positifs si tant est que les africains avaient besoin de cette imposture.

La vérité des faits

La vérité est loyale et les faits méritent une grande considération. Henri Lacordaire disait, entre autres, que " tout ce qui s'est fait de grand dans le monde, s'est fait au cri du devoir ; tout ce qui s'y est fait de misérable s'est fait au nom de l'intérê".

Aujourd'hui, grâce au travail accompli par les chercheurs, on sait que l'histoire de la colonisation a été "blanchie", puisque écrite par les "vainqueurs". Il nous revient, à juste titre d'ailleurs, de dire notre parcelle de vérités sur les humiliations subies par nos ancêtres. Sachons que la colonisation a concerné les africains restés sur le continent et les noirs africains déportés dans les champs de canne et de coton. La colonisation n'a rien apporté de positif comme la France officielle tente de distraire les africains que nous sommes et injurier la mémoire de nos ancêtres.

On nous a dit que la colonisation a été profitable aux peuples colonisés, puisqu'ils ont bénéficié de l'instruction, des infrastructures routières, portuaires et des avancées en matière de santé et de technologie.

La véritable vérité est tout autre. Le médecin colonial protège les troupes, les premiers administrateurs et colons. Les territoires colonisés étaient les lieux d'expérimentation des nouveaux vaccins et sérums, car les tropiques sont devenues à l'orée du 20ème siècle un libre et luxuriant terrain d'observation ; l'accumulation du savoir est colossale sur les bilharzioses, leishmanioses, l'amibiase, la filariose et le paludisme.

Dire également que les colons ont apporté l'instruction aux africains relève d'un pur fantasme de ceux qui veulent se donner de l'importance.

Dans une conférence à Albi, en 1884, Jean Jaurès déclare ceci : "nos colonies ne seront françaises d'intelligence et de coeur que quand elles comprendront un peu le français. Pour la France surtout, la langue est l'instrument de la colonisation. Il faut que les écoles françaises multipliées, où nous appellerons l'indigène, viennent au secours des colons français dans leur oeuvre difficile de conquête morale et d'assimilation". cette confession du tribun montre bien l'importance de la langue dans la consolidation de l'identité. Cheikh Anta Diop nous mettait d'ailleurs en garde sur ce fait, car ce serait une aberration que d'imaginer qu'un peuple batisse son unité linguistique à partir d'une langue étrangère, c'est-à-dire une langue appartenant à une autre sphère culturelle que la sienne.

L'esclavage et la colonisation ont été d'une violence extrême, de sorte qu'il est impossible de les décrire.

Alors que les maîtres étaient dans les palaces, les esclaves eux dormaient dans des maisons de pacotilles. Alors qu'ils, c'est-à-dire les maîtres, mangeaient à satiété, les noirs mouraient de faim. Alors que nos frères travaillaient dans les champs de coton et de canne à sucre, les colons n'avaient que leurs fouets pour les encourager.

Pour assouvir leurs besoins sexuels, il arrivait que les colons abusent de nos braves soeurs. Parfois, comme un signe de refus de cette humiliation, les noirs préféraient se donner la mort. Les esclaves les mieux traités étaient les valets des maîtres. Pour avoir commis une faute, le noir était fouetté jusqu'à la mort ; même enceinte, les femmes devaient travailler jusqu'à terme.

Même la sainte ordonnance du seigneur Jésus-Christ en disant dans Mathieu 28 :18-20 "allez et faites de toutes les nations mes disciples" a été dévoyée. Les missionnaires européens ont été pires que les autres. Pour nous faire une idée du rôle des missionnaires à l'époque coloniale, il suffit de lire la déclaration faite en 1920 par M. Jules Renquin, ministre des colonies de Belgique au Congo-Belge. Dans son allocution de bienvenue aux missionnaires arrivés dans sa seconde patrie, le Congo-Belge : "Révérends pères et chers compatriotes, soyez les bienvenus dans notre seconde patrie, le Congo-Belge. La tâche que vous êtes conviés à y accomplir est très délicate et demande beaucoup de tact. Prêtres, vous venez certes pour évangéliser. Mais cette évangélisation doit s'inspirer de notre grand principe : tout avant tout pour les intérêts de la métropole (la Belgique). Le but essentiel de votre mission n'est donc point d'apprendre aux noirs à connaître Dieu. Ils le connaissent déjà. Ils parlent et se soumettent à un Nzambé ou un Nvindi-Mukulu, et que sais-je encore. Ils savent que tuer, voler, calomnier, injurier est mauvais. Ayez le courage de l'avouer, vous ne venez donc pas leur apprendre ce qu'ils savent déjà. Votre rôle consiste, essentiellement, à faciliter la tâche aux administratifs et aux industriels. C'est donc dire que vous interpréterez l'évangile de la façon qui sert le mieux nos intérêts dans cette partie du monde"

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