mercredi 29 décembre 2010

A quoi servent les élections?

A l’approche des élections de 2011, les Congolais retrouvent leurs vieilles habitudes consistant à inviter la nation à la vigilance afin de barrer la route du pouvoir aux « aventuriers » et autres « opportunistes », surtout quand il s’agit de l’élection présidentielle. On scrute la vie de tout candidat potentiel. On met en lumière ses « qualités » ou « défauts ». On stigmatise les casseroles que certains traîneraient derrière eux. On condamne leur participation à telle ou telle autre dictature. On jure d’être objectif dans l’évaluation de chaque candidat. Tout se passe comme si le but d’une élection était de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Une telle attitude démontre, si besoin en était, qu’on ne sait pas ce que l’on veut quand on chante les mérites de la démocratie ou qu’on l’appelle de tous ses vœux.


Quel que soit le régime politique en place, la fonction première de l’élection est de permettre aux citoyens de choisir leurs gouvernants et leurs représentants. Pour ce faire, chaque État dispose d’une loi électorale qui traite entre autres des conditions d’éligibilité et d’inéligibilité pour tout poste électoral. Pour l’élection présidentielle congolaise de 2006, par exemple, la loi électorale stipulait que le candidat devait remplir les conditions suivantes: « avoir la qualité d’électeur et détenir la carte d’électeur; présenter une attestation de résidence; posséder la nationalité congolaise d’origine; être âgé de 30 ans au moins à la date de clôture du dépôt de candidatures; jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques; faire acte de candidature auprès de la commission électorale; avoir résidé en République Démocratique du Congo d’une manière permanente pendant au moins un an avant la date des élections ». Qu’on ne nous tienne pas rigueur si certaines de ces conditions avaient été amendées avant la tenue de l’élection. Ceci n’est qu’un exemple pour souligner que c’est seulement à la lumière de la loi électorale qu’une candidature doit être examinée et retenue ou rejetée. 

Notons à l’intention de ceux que les échéances électorales agitent au point de rechercher « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » que la compétence ne fut nullement une condition à remplir en 2006. Rationnellement, leurs agitations devraient donc se situer au niveau de la loi et non à disqualifier certains candidats pour des raisons d’éthique politique. En outre, de toutes les conditions citées ci-dessus, une seule renvoie au profil moral du candidat: « jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques »; ce qui ne signifie nullement qu’on ait les mains propres au chapitre des crimes tant économiques que contre l’humanité. Donnons un exemple. Il est de notoriété publique que l’actuel président de la république est un grand criminel sur ces deux plans. Mais tant qu’il n’a pas été condamné par un tribunal, il jouit de la plénitude de ses droits civils et politiques et peut se porter candidat à l’élection présidentielle de 2011. 

Certes, même si les candidatures sont examinées seulement à la lumière de la loi électorale, ce sont les citoyens qui, à travers leurs votes, demeurent les ultimes juges. Mais même à ce niveau, ce jugement dépend de plusieurs facteurs qui n’ont aucun rapport avec la morale politique. Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2006, par exemple, la visibilité des candidats fut le premier facteur déterminant le choix des électeurs. « Joseph Kabila » et Jean-Pierre Bemba étaient arrivés en tête non pas parce qu’ils étaient moralement plus recommandables que leurs concurrents ou que leurs partis respectifs avaient des programmes plus attrayants, mais tout simplement parce qu’ils s’étaient enrichis sur le dos de ce même peuple qui les avait ainsi préféré aux autres candidats. A côté de la visibilité du candidat, on peut citer le charisme ou encore l’appartenance ethnique ou régionale qui sont autant des facteurs déterminants également étrangers aux considérations morales. Tel fut justement le cas du vote de l’est et de l’ouest au second tour de l’élection présidentielle de 2006. Et ceci n’est pas particulier au Congo. 

Partout au monde, le profil moral du candidat est rarement le meilleur argument de vente lors d’une élection. Le serait-il que cela ne garantirait pas forcément la bonne gestion de la res publica une fois le candidat élevé à un poste de responsabilité. Deux raisons valident cette affirmation. D’abord, en plus des criminels notoires qui n’ont jamais été condamnés, tout candidat vierge ou moralement recommandable peut très bien dissimuler sa véritable nature. Qu’on pense ici, par exemple, à tous les grands princes de l’Église catholique aujourd’hui éclaboussés par des scandales de pédophilie. Pendant des années, ils ont célébré la messe et distribué tranquillement le corps du Christ au cours du rituel cannibale des chrétiens. Ce faisant, ils ont joui d’une réputation de sainteté. Des milliers sont entrés dans l’au-delà avec cette belle réputation. Mais désormais, les victimes des pratiques sexuelles criminelles des princes de l’Église brisent la loi du silence et l’humanité découvrent avec effroi l’impensable. Qui pourrait séparer le vrai de l’ivraie en identifiant avec exactitude le nombre de couilles saintes ou criminelles se cachant sous les soutanes pendant les messes de dimanche à travers le monde? Ensuite, il est connu que le pouvoir corrompt. Et ils sont légion les libérateurs et autres opposants africains qui sont devenus les bourreaux de leurs peuples en exerçant le pouvoir. Il n’y a donc aucune raison de faire confiance en ceux qui donnent aujourd’hui de la voix au sein de l’opposition congolaise, nous faisant miroiter des lendemains qui chantent si jamais le peuple leur donnait le pouvoir. 

Certes, il y a des hommes exceptionnels ou providentiels dans toute société. Une fois au pouvoir même dans des structures étatiques bancales, à l’instar de la démocratie de surface en vigueur dans les Etats africains, ils sont en mesure de mettre leur autorité au service du peuple. Mais il n’est écrit sur aucun visage qu’on est un homme providentiel. De l’homme providentiel, le peuple ne peut qu’avoir une perception vague, elle-même sujette à l’erreur d’appréciation. L’homme providentiel se découvre pendant l’exercice du pouvoir et non avant. Pour cette raison, quand on milite pour l’avènement d’un Etat de doit, ce serait perdre son temps que de s’attarder sur les profils moraux des candidats ou la recherche de l’oiseau rare. Dans la lutte pour l’État de droit, les élites nationales devraient être animées par un et un seul souci: mettre en place un système de gouverne qui ferait que même si le diable en personne venait à être élu président de la république, qu’il n’ait pas la possibilité d’imposer au peuple une seule de ses œuvres sataniques en toute impunité. 

De nombreux Congolais s’imaginent que le problème de leur pays est un problème d’homme. Aussi se lancent-ils à la recherche du candidat qui pourrait apporter le changement tant voulu et attendu par le peuple. Certains se lancent à la création des partis dits chrétiens comme si être chrétien ou croyant est un gage de respectabilité. Il ne s’agit là que des errements d’une élite incapable d’utiliser l’imagination créatrice de l’homme congolais, pourtant débordante dans moult domaines, pour construire un État démocratique. Si les hommes politiques congolais brillent dans la médiocrité parce qu’il y aurait un problème d’homme au sein de la communauté nationale, on devrait expliquer pourquoi les Congolais qui font de la politique ailleurs ne brillent pas par la même médiocrité. On devrait également expliquer comment un même individu, le Roi Léopold II pour ne pas le citer, a donné le meilleur de lui-même en tant que monarque belge et le pire de ce qu’il y a dans la nature humaine à la tête de sa propriété privée que fut l’État Indépendant du Congo. Par ailleurs, si le problème congolais est un problème d’homme, comment expliquer qu’ailleurs en Afrique, la démocratie de surface soit la règle générale, comme au Congo, et la démocratie véritable l’exception? 

L’élection présidentielle de 2011 ne présente de l’intérêt que dans la mesure où elle pourrait faire partir l’actuel président de la république dont le meilleur bilan au sommet de l’État se limite à l’infiltration des institutions du pays par des Rwandais et à la main mise du Rwanda sur l’est du pays. S’imaginer que cette élection pourrait enfin ouvrir la voie à l’État de droit tant attendu et espéré dans le cadre institutionnel actuel, il y a un pas que seuls les myopes peuvent franchir. Tant qu’on aura pas compris que la démocratie de surface offre peu de chance de placer le président de la république en dessous de la loi comme tout autre citoyen, on ira de désillusion en désillusion. Par contre, une fois la voie de la démocratie balisée effectivement, il n’y aurait aucune raison de craindre l’arrivée au pouvoir d’un nul, car les contre pouvoirs se mettraient en branle aussitôt que sa nullité deviendrait une nuisance pour l’intérêt général. Et les élections pourraient enfin être envisagées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire un mécanisme devant permettre aux citoyens de choisir leurs gouvernants et représentants, sans garantir que ceux-ci se montreraient à la hauteur des attentes des citoyens. La garantie des peuples contre l’autoritarisme, l’arbitraire, l’impunité et bien d’autres violations des droits de l’homme si courants au Congo et ailleurs en Afrique ne repose pas sur les épaules d’un individu quelles que soeint ses qualités morales. Cette garantie repose sur la solidité et l’effectivité des contre pouvoirs.

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo 

© Congoindépendant 2003-2010

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