lundi 24 janvier 2011

L’année de notre destin- Réflexions sur la responsabilité des électeurs dans l’invention d’une nouvelle politique congolaise


Pour entrer fertilement dans une année électorale comme celle qui commence maintenant dans notre pays, il n’est sans intérêt de faire prendre conscience aux populations congolaises de la responsabilité qui nous incombe à tous et toutes pour la réussite de notre processus d’élections présidentielle et législative. A la fin de la première période d’expérimentation de la troisième République dans le fonctionnement de ses institutions ainsi que dans la vérité humaine des acteurs qui les ont animées, l’exigence aujourd’hui est de considérer qu’en cette année 2011 notre destin se jouera une fois de plus sur le choix ä faire pour inventer l’avenir. Dans ce choix des personnes, des orientations politiques et de la forme à donner à nos institutions, il s’agira ni plus ni moins que de nous donner à nous-mêmes le type de société que nous voulons en matière de gouvernance, d’action politique et de volonté collective pour bâtir une société conforme à nos rêves et à nos quêtes les plus ardentes au Congo.
Toute notre responsabilité citoyenne est engagée dans cette bataille de notre destin et il est bon que nous réfléchissions sérieusement sur les tâches qui pèsent sur nos épaules en tant qu’électeurs et électrices, si nous ne voulons pas que s’abatte sur nous le type de tragédie et de malheurs électoraux dont tout le monde voit les affres en Côte d’Ivoire. Pays où les hommes politiques ont conduit le processus électoral à un effondrement moral et un désarroi social qui n’ont rien à voir ni avec le développement de la nation, ni avec la promotion de la gouvernance communautaire fertile, ni avec les intérêts fondamentaux d’un peuple meurtri par des conflits absurdes et des conflagrations insensées.
UN REGARD SUR L’HISTOIRE DES ELECTIONS EN RDC
La première tâche qui me semble importante en ce début d’année, c’est de jeter un regard rétrospectif sur l’évolution des processus électoraux dans notre pays en vue d’y percevoir les tendances qu’il serait bon de revaloriser aujourd’hui et les négativités sombres contre lesquelles nous devons nous inscrire en faux de toutes nos forces de responsabilité citoyenne.
Une réalité doit être d’emblée mise en lumière. Pour peu que nous décidions de poser sereinement nos yeux sur les processus électoraux qui ont été organisés en République Démocratique du Congo depuis l’aube de l’indépendance du pays jusqu’à nos jours, nous ne pouvons pas ne pas nous apercevoir que la qualité, l’organisation et les résultats des élections ont été profondément liés au degré de conscience nationale et de maturité politique des populations congolaises.
Dans les premières batailles électorales qui opposèrent les premières formations politiques de notre pays à l’aube des indépendances, il est impressionnant de voir comment l’enjeu de la libération du Congo a forgé des clivages idéologiques profondément déterminés par ce que chaque parti considérait comme l’intérêt majeur de la nation en construction face aux affres de la situation coloniale au Congo. La primauté de ce type d’enjeux a vu triompher le Mouvement National Congolais (MNC) de Patrice Emery Lumumba dans une coalition supra-ethnique qui exigeait une indépendance immédiate et refusait des atermoiements injustifiables auxquels la puissance coloniale voulait se livrer. On sait aussi que ce camp de l’indépendance immédiate était en même temps le camp de l’unité nationale. Cette unité constituait une idée-force qui servit de lame de fond à la construction d’un Congo appelé à devenir concrètement une communauté de destin. C’est au nom de ce Congo-là que les électeurs dégagèrent une majorité que Patrice Emery Lumumba incarna contre les pesanteurs balkanisatrices et aux orageuses menées tribalo-ethniques. Le Congo de l’indépendance et de l’unité fut ainsi une immense espérance et une utopie concrète dans lesquelles prit corps la fascinante conscience citoyenne des Congolais qui votèrent à l’aube de notre autodétermination.
Même si, dans les fibres des batailles de cette époque prenaient déjà corps un certain discours politique dangereux et certaines pratiques nuisibles de campagne de mobilisation publique qui visaient à exciter les atavismes tribaux et à exacerber les identités de terroir contre la fécondité des débats idéologiques et la confrontation des projets de société, cette tendance ne fut ni dominante, ni déterminante, ni décisive pour l’orientation à donner à l’avenir du pays. Lorsque les sécessions katangaises et kasaïenne s’inscrivirent dans une volonté de placer la tribu et la région dans une logique de pure valorisation du séparatisme et de la balkanisation, elles ne le furent pas selon une perspective d’élections libres et honnêtes. Elles eurent plutôt recours aux logiques des mensonges politiques, des affabulations dénigrantes à l’encontre de Lumumba, d’appel aux instincts de violence et de basculement de la nation dans la guerre civile. C’était le signe que les acteurs majeurs de ces sécessions ainsi que leurs thuriféraires savaient bel et bien qu’au jeu du processus électoral, ils étaient perdants d’avance. Ils l’étaient parce que la majorité du peuple congolais avait quelque part compris que l’indépendance ne pouvait réussir qu’avec des personnalités d’une certaine hauteur de vue et d’une certaine qualité d’humanité. Elle avait l’intuition qu’au-delà des intérêts locaux manipulables à merci se profilaient l’impératif d’une nation à construire, un destin communautaire à bâtir et un avenir à forger. Si Patrice Emery Lumumba a pu s’imposer dans les premières élections libres et transparentes au Congo, c’est parce sa tendance correspondait à ces aspirations des populations congolaises face aux pesanteurs balkanisatrices. Ce qu’il proposait rejoignait les lignes de la maturité idéologique du désir d’indépendance et du désir d’avenir au plus profond des affects politiques de notre peuple.
Malheureusement, cette conscience s’effondra vite à cause de l’élite politique néocoloniale dont les ambitions et les intérêts conduisirent rapidement les populations à troquer la conscience nationale contre la calamiteuse irruption des consciences tribalo-ethniques nuisibles. L’élan nationaliste faiblit d’année en année et les élections se tribalisèrent. Ce fut le règne de la balkanisation psychique du Congo indépendant, idéologie sur l’autel duquel Lumumba fut sacrifié en fonction d’une indépendance néocoloniale qui fut incarné par Mobutu et qui put atteindre son apogée dans les élections organisées par le parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR).
La stratégie du parti unique, ce fut essentiellement de casser le désir de liberté et de briser l’élan de la maturité politique, deux ressorts qui auraient permis à la nation de s’organiser sur la base de confrontation de débats, d’affrontements sereins idéologies pluralistes et de mise face à face de projets de sociétés antagonistes pour des choix clairement fondés en raison. Quand un peuple n’est plus capable de débattre, de confronter ses points de vue à travers une diversité de voie de pensée et une quête pluraliste de chemins d’avenir, on peut craindre que sa capacité de penser s’effrite et son énergie d’invention politique s’effondre. Il ne peut plus être un peuple capable de se choisir ses dirigeants en connaissance de cause et en fonction des intérêts supérieurs de la nation. Il devient un peuple de moutons de Panurge. Le Mobutisme nous a condamnés à ce destin et toutes les élections organisées sous sa houlette furent des farces. Tout y était orchestré de telle manière que les bulletins verts, symboles du parti au pouvoir, soient les seuls à être proposés aux électeurs qui n’avaient qu’ä les glisser dans les urnes, quand celles-ci n’étaient pas remplies d’avance afin de garantir au « Président-Fondateur « et « Guide clairvoyant » le résultat de 99,99% dont il savourait la proclamation avec un plaisir non dissimulé.
Pour arriver à imposer ces élections de moutons de Panure, le régime mobutiste prenait soin de formater le peuple selon une culture d’animation politique dans l’énergétique des chants et des danses révolutionnaires, belle manière de briser la volonté par le ludisme populaire et de conditionner les mentalités par le délire sans fin et la culture de la médiocrité intellectuelle.
Le régime avait pris aussi soin d’enrégimenter des membres influents de la classe intellectuelle qu’il gavait ostensiblement pour qu’elle lui serve de faire valoir en lui fabriquant allégrement des slogans mobilisateurs, des incantations affabulatoires et des idées directrices pour imposer au peuple la chape de plomb d’une dictature aveugle et autiste.
Plus encore, en vue de mieux faire comprendre aux populations qu’elles n’avaient pas d’autre choix que de se soumettre, un système de terreur et de peur systématique fonctionnait à merveille. Avec des faux coups d’Etat éventrés, des exécutions capitales abondamment commentées par la radio et la télévision nationale, des équipes de renseignements généraux très performants, des militaires rançonnant en permanence les populations et une garde présidentielle dressée comme des chiens de chasse pour réprimer dans le sang toute velléité de résistance et tentative de révolte.
Avec un pays ainsi conditionné, l’idée même d’élection perdit tout sens. On proposait même aux populations d’apprendre à applaudir et à réclamer pour le « Guide » un règne perpétuel au lieu de perdre de l’énergie, du temps et de l’argent à imiter les Occidentaux dans leur idée inutile d’élections, alors que nous avions chez nous une philosophie de l’authenticité ancestrale qui permettait au Chef de règne jusqu’à la mort, seul caïman dans le marigot d’un peuple dompté et mentalement conditionné.
Lorsqu’au début de la décennie 1990, un certain vent de la démocratisation souffla sur l’Afrique et obligea notre « Chef-Léopard » à vouloir s’accommoder des réalités nouvelles, c’est la classe politique tout entière qui montra, lors de la Conférence Nationale Souveraine (CNS), à quel point elle était héritière des pathologies tribalo-ethniques et des pesanteurs du mobutisme. Au moment où l’énergie positive issue du lumumbisme et de sa force d’idéologique orientait les élections vers le haut pour changer le Congo de fond en comble, les pesanteurs mobutistes tiraient tout le bas en usant de toutes les ficelles tribalo-ethniques, même au sein des hautes instances qui dirigèrent cette Assemblée historique. Celle-ci n’alla jamais au bout de sa logique du changement. On s’attendait ä la voir accoucher d’un ordre démocratique, elle nous donna plutôt la souris d’une comédie politique où les mobutistes et les tshisekedistes détruisirent notre pays en l’affaiblissant politiquement, militairement, économiquement et idéologiquement.
Le résultat est connu : l’invasion rwando-ougandaise du pays, les errances du régime de Laurent-Désiré Kabila, le chaos de la guerre et des violences à l’Est, l’erratique transition 1+4 dans la comédie d’un pouvoir sans pivot de pensée ni orientation féconde, l’affaiblissement globale de la nation et l’avènement d’une Troisième République jaillie d’un ordre électoral ni ne fut ni réellement réfléchi, ni rationnellement organisé, ni profondément accepté dans ses résultats comme reflet de la volonté même du peuple congolais dans toutes ses composantes, malgré les efforts médiatiques pour dire et prouver le contraire.
En 2006, nous avons voté sans avoir pris vraiment le temps de savoir ce que nous voulions et ce que nous faisions. Nous avons joué les seules cartes de notre histoire électorale en misant sur le vote ethnico-tribalo-régionaliste et la tradition des Moutons de Panurge. L’ordre qui a jailli de nos élections a reflété ces tendances profondes que les multiples partis politiques de notre pays n’ont pas pu juguler de manière satisfaisante.
Pour la première fois depuis notre indépendance, nous avons l’opportunité d’exercer en toute transparence, en toute responsabilité et en toute force de volonté citoyenne notre droit à élire, après mûre réflexion face à tous les projets de société qui nous sont proposés, des hommes que nous voulons, des idées qui nous guideront et des énergies d’un changement de société auquel nous aspirons pour vaincre le sous-développement politique, économique, social, éthique et idéologique qui nous caractérise.
Voilà pourquoi il n’est pas exagéré de dire que 2011 est l’année de notre destin. Tout notre avenir dépend de la manière dont, nous, peuple du Congo-Kinshasa, nous nous comporterons dans la modulation du processus électoral dont nous devons être les acteurs majeurs.
NOTRE RESPONSABILITE POUR DES ELECTIONS REUSSIES
Si l’enjeu est celui que je viens de dégager, il y a une deuxième tâche que le peuple congolais devra assumer à côté de celle du regard sur notre histoire. Il s’agit de la refondation du sens des élections dans notre pays.
Dans la mesure où toute refondation signifie la redécouverte d’une énergétique originelle dont on aperçoit à nouveaux frais l’unité de vision pour produire de nouvelles significations vitales à l’existence, il est question pour notre nation aujourd’hui de s’atteler à un triple travail de fond. - Un travail de réflexion sur les conditions de réussite des élections dans un pays comme le nôtre. Il faut pour ce faire réinterroger les premiers processus électoraux au Congo à l’aube de notre indépendance. Si ces processus ont été exemplaires à beaucoup d’égards, c’est parce qu’elles ont eu un enjeu vital dont tout le peuple a pris conscience avec une exceptionnelle vigueur. L’enjeu, c’était la liberté après la longue nuit d’oppression et d’exploitation coloniale. On doit donner ici au mot liberté son sens le plus radical et le fort celui où il s’agit de comprendre que c’est de l’être même de la personne et de la société qu’il s’agit. L’être destiné à se tendre vers une nouvelle réalité en rompant avec une autre jugée insupportable concrètement et inacceptable dans l’esprit.
Aller aux élections avec un tel enjeu, c’est comprendre que le processus électoral est le reflet de notre être profond. Il dit qui nous sommes et qui nous voulons être. Il exprime ce que nous pensons et ce que nous portons comme ambition.
A l’aube de notre indépendance, il y avait une ébullition politique socialement partagée qui faisait sentir même aux plus simples de citoyens que quelque chose de grand en nous-mêmes était en jeu. Confusément, tout le monde avait une idée haute du moment historique et les grands leaders de l’époque avait su orchestrer une théâtralisation solennelle qui engageait toute la société. Le milieu social dans son ensemble était devenu un milieu porteur d’espérance : la liberté s’appréhendait comme mythe vital, comme utopie active, comme raison de vivre et de mourir dans un milieu social devenu force d’enfantement d’un monde nouveau. Même si une telle atmosphère avait libéré une certaine idée naïve et fausse de l’indépendance, idée qui fut croire à l’avènement d’une sorte de farniente splendide au lieu de promouvoir l’effort de bâtir vraiment une communauté de destin dans tous les domaines de l’existence, elle a eu sur l’idée de l’élection au Congo un impact littéralement extraordinaire. C’est la mémoire de cette idée qui doit ré-enfanter l’être politique congolais ici et maintenant. Surtout en cette année 2011 où nous n’avons pas droit à l’erreur sur le choix de notre destinée.
- Un travail de lutte contre le sous-développement électoral de notre pays. Sur ce point, Ne nous leurrons pas et soyons francs : électoralement parlant, notre pays est actuellement un pays sous-développé. Entendons par là que les conditions matérielles, psychiques, politiques et humaines d’une élection équitable, transparente et efficace n’y sont pas garanties. Le savoir électoral y est rudimentaire tout comme l’effort d’éducation publique à la responsabilité citoyenne dans e processus d’élections présidentielle, législative ou locale.
Reconnaître cette réalité ne signifie pas qu’il n’y a rien à faire. C’est au contraire affirmer que le défi de cette année 2011 est de construire le savoir électoral adéquat autrement que par la nomination d’une commission avec des représentants des partis politiques. Un tel savoir est à la fois organisationnel et idéologique : il exige une éducation et une formation que les partis politiques, la société civile et les communautés de foi devront organiser et promouvoir pour créer et développer la conscience des vrais enjeux des élections en RC aujourd’hui. Ces enjeux, ce sont ceux de la construction d’une nouvelle société.

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