samedi 8 janvier 2011

RDC: Les enjeux politiques sur les modes de scrutins en 2011

par J-J. WONDO


KINSHASA - La dynamique politique congolaise est l’une de plus complexes et de plus difficiles à cerner. Le petit exercice de libre réflexion auquel nous nous livrons semble délicat ; dans la mesure où nous ne pourrions partir des postulats scientifiques connus et attestés pour faire cette analyse. L’expérience démocratique congolaise n’en étant qu’à ses balbutiements. Il est de l’intérêt pour TOUS et surtout pour cette jeune DEMOCRATIE qui doit davantage se consolider, d’éviter de changer les règles du jeu en cours de match. 

Le mode de scrutin est fonction de l’histoire des élections et de la dynamique des partis dans un système politique. Or, le système politique démocratique congolais n’est pas encore développé et stabilisé pour permettre d’en faire une évaluation éclairée. Dès lors, Il nous semble indispensable et judicieux de le laisser poursuivre son cheminement actuel pendant au moins quelques législatures avant d’en envisager la révision. Par ailleurs, si nécessité de révision de la Constitution s’impose à tous, majorité comme opposition, la période électorale semble la moins appropriée pour ce faire ; car porteuse des germes de contestations pouvant déboucher sur des violences et ramener notre pays encore 2 décennies en arrière.

S’agissant de l’option prise par le Constituant de 2006 d’opter pour les scrutins présidentiels à deux tours, le souci était et comme le mentionne si bien le professeur Auguste Mampuya : La constitution prévoit que le président de la République soit élu au suffrage universel direct par un scrutin à deux tours. La loi électorale qui organise ce scrutin, précise que l’élection à deux tours a été choisi pour permettre « au futur président de la République d’être toujours élu par

Pour les élections législatives, provinciales, municipales et locales, nous pensons que le scrutinproportionnel au plus fort serait approprié et préférable aux scrutins uninominaux à un ou deux tours. Ces scrutins permettraient en outre d’avoir une bonne radioscopie électorale en termes de représentativité populaire et de poids socio-électoral de différentes formations politiques concurrentes. De plus, il encouragerait le jeu des alliances politiques, symbole de dialogue et de consensus, nécessaire  dans une Démocratie naissante. En dépit du bilan socio-politique et économique fort alarmant de l’actuelle mandature, force est de constater que le peuple congolais n’est pas encore suffisamment  averti et à  même de donner son vote par rapport au programme, il y aussi des indicateurs propres à la politique du CONGO. Nous laissons aux juristes vertébrés et spécialisés en la matière la liberté de supputer sur les implications juridiques.

Pour les présidentielles, et on n’en dira jamais assez, le mode de scrutin à un seul tour est à  proscrire à tout prix car susceptible de résulter d'une politique politicienne et d'un fin calcul électoral au profit de l’actuelle majorité au pouvoir. Le cas du Gabon dont nous évoquerons plus loin en constitue un cas d’école.  En effet, se sachant difficile de rassembler une majorité absolue de voix (= Majorité égale à la moitié des suffrages exprimés plus un si leur nombre est pair ou, si leur nombre est impair, égale à la moitié du nombre pair immédiatement supérieur),  le recours au scrutin uninominal à un tour présente le risque d’encourager l’application de la technique dénommée en sciences politiques de "Centralisme démocratique" utilisée jadis en Ex-URSS et fort bien expliquée par le professeur Mampuya dans sa dernière analyse.

Les constitutionnalistes africains estiment que l’utilisation du scrutin uninominal à un tour dans des sociétés dominées par le phénomène ethnique présente l’inconvénient d’entraîner l’élection d’un président de la République, d’un député, voire d’un parlement entier par une minorité de ses composantes. Ce mode de scrutin est vivement déconseillé car il est porteur des germes de violence et de débordements susceptibles d’être engendrés suite aux antagonismes ethniques dans un pays où le clivage Ouest-Est semble marqué.  Pour le cas de la RDC, ce mode de scrutin peut en plus permettre au pouvoir de multiplier de faux candidats d'opposition, grassement financés par le pouvoir dans les zones d’ancrage électoral de l’opposition afin de diviser, d’émietter et d’affaiblir l'électorat de l’opposition. Cela pourrait permettre à l’actuel président de rempiler en remportant les élections même avec 17% pour autant que ses poursuivants de l'opposition recueillent par exemple: 16, 14 et 13% …des voix par exemple. L’élection au premier tour d’Ali Ben BONGO avec 40% des voix nationales (minorité) et les troubles qui s’ensuivirent en constituent une bonne  illustration. Ce système présente un autre danger d’éviter le jeu des alliances pour le candidat président de sorte qu’une fois élu, même avec une minorité d’électeurs, il sera le seul maître au pouvoir  et pourra disposer de toute sa latitude pour gouverner de façon monolithique. Or le passé de la RDC nous a suffisamment renseignés sur les dérives dictatoriales des pouvoirs à base monolithique ou monopartiste.

Bref, l’opposition congolaise devra tout mettre en place pour barrer la route à ce mode insidieux de scrutin qui a fait ses  (mauvaises) preuves ailleurs et privilégier un mode de scrutin majoritaire à deux tours pour les présidentielles.

Quant au scrutin uninominal à deux tours, il permet, au second tour, le regroupement des candidats  (jeux des alliances politiques) par tendance ou par sensibilité politique. L’adoption de ce dernier système consolide sans aucun doute le multipartisme au niveau de l’État. Au second tour,  des regroupements s’opèrent et des alliances se négocient. Il s’agit d’un scrutin qui favorise la mise en place de gouvernements de coalition, phénomène très souhaitable en RDC car porteur des valeurs de RASSEMBLEMENT POLITIQUE.

Les experts en sociologie électorale admettent que lorsqu’une société africaine est en période d’alternance politique ou de post-conflit, le scrutin uninominal à deux tours est le mieux indiqué dans la mesure où les chefs des partis politiques d’opposition qui luttent pour l’alternance démocratique n’arrivent presque jamais à s’entendre pour désigner un candidat unique à opposer au candidat de l’ordre ancien (souvent au pouvoir). Par contre, le regroupement, au second tour, derrière le candidat le mieux placé de l’opposition, peut permettre d’obtenir l’alternance.  Nous pouvons citer, entre autres, les exemples du Bénin en 1991 et en 1996, de la République Centrafricaine  en 1992. Les cas les plus parlants sont ceux des dernières présidentielles sénégalaise de mars 2000, du Ghana en fin 2008 et de la Côte d’Ivoire en fin d’année passée qui ont permis respectivement aux candidats issus de l’opposition Abdoulaye WADE, John ATTA-MILLS et Allassane Dramane OUATTARA de s’imposer au second tour des présidentielles.

Comparaison vote Kabila-Bemba et participation 1er et 2e tour en 2006


J.P. BEMBA
  J. KABILA
TAUX DE PART.
PROV
1er TOUR
2ème TOUR
1er TOUR
2ème TOUR
1er TOUR
2ème TOUR







Bandundu
9,71
60,55
2,65
39,45
68,82
50,66
Bas Congo
36,21
74,14
13,91
25,86
76,09
51,59
Equateur
64,26
97,15
1,77
2,85
74,32
84,45
Kasaï-Occ.
31,93
76,7
11,42
23,3
45,46
51,42
Kasaï-Or.
14,66
67,41
36,09
32,59
39,19
42,67
Katanga
3,51
6,24
77,16
93,76
71,49
75,58
Kinshasa
48,3
68,14
14,59
31,86
72,17
58,25
Kivu Nord
0,77
3,55
77,71
96,45
81,03
76,65
Kivu Sud
0,28
1,69
94,64
98,31
90,16
80,06
Maniema
0,34
1,67
89,52
98,33
84,87
80,24
Prov.Or.
5,2
20,52
70,26
79,48
77,59
65,37

S’agissant de la sociologie électorale spécifique à la RDC, nous pouvons brièvement et d’une façon globale, au départ de seuls éléments objectifs dont nous disposons : les résultats de 2006, émettre des observations qui vont suivre :
·         Les provinces de Kinshasa, Bas-Congo, du Bandundu, de l’Equateur et les 2 Kasaï, dans une certaine mesure, sont des provinces statiquement et électoralement hostiles au président Kabila. Surtout l’Equateur, avec les derniers événements qui s’y sont déroulés, s’enfonce davantage sa non-adhésion pour ce pouvoir en perte de vitesse.  D’autant que l’arrestation de Jean Pierre Bemba à la CPI est perçue par la majorité de ressortissants des provinces de l’Equateur et de Kinshasa comme une manœuvre d’élimination politique d’un adversaire sérieux et un stratagème pour museler l’opposition. La province du Bas-Congo reste également un autre bastion anti-Kabila car elle encore la plaie des massacres de Bundu dia Kongo. Le Bandundu avec la probable retraite politique de Yandi ve (Gizenga), l’affaire Kahemba et la lutte à sa succession politique et électorale que se livrent respectivement Godfroid Mayobo contre Adolphe Muzito et Tryphon  Kin Kiey Mulumba contre Olivier Kamitatu Etsu à Maï-Ndombe, tous membres de la coalition au pouvoir, laissera certainement des plumes favorables à l’opposition. Dans ces contrées, l’AMP éprouvera d’énormes difficultés à convaincre ces opinions statiques contre Kabila.
·         Les deux Kasaï sont invariablement restés opposés à tout pouvoir en place, depuis le 17 janvier 1961 jusqu’à ce jour. Le retour du Père du processus de démocratisation en RDC, le Dr. Etienne TSHISEKEDI dans la course électorale pour 2011, non seulement devra confirmer naturellement cette tendance dans son bastion électoral, mais en plus et surtout la renforcer. Ce, du fait de la mobilisation et de l’enrôlement massifs des électeurs de ces 2 provinces qui ont connu un taux de non participation et d’abstention très en deçà de ce que les estimations les plus réalistes projetaient.
·         L’Est du pays, qui autrefois s’était unanimement mobilisée sous l’impulsion de Vital KAMERHE derrière Joseph KABILA, semble plus que jamais très divisée avec le basculement de l’élu de Bukavu dans le camp de l’opposition. La situation permanente de NON-PAIX qui y règne et la non réalisation des promesses tenues en 2006 de ramener définitivement la paix durable et d’instaurer  l’autorité effective de l’Etat sur cette partie sensible du pays. Cela aura pour conséquence, d’effriter le poids électoral de Kabila dans sa zone supposée de confort électoral. Donc, l’Est qui a voté en masse pour KABILA reste paradoxalement la partie où l’insécurité et le viol des femmes règnent en maitre. Les 2 Kivus risquent de sanctionner sévèrement le président. Et le divorce entre Kamerhe et Kabila laissera certainement des plumes favorables à l’opposition.
·         Le cas de la Province Orientale, quoiqu’ayant voté majoritairement en faveur Kabila, non par conviction mais du fait d’un vote sanction à Bemba suite au comportement d’une partie des militaires du MLC en Ituri et aux événements liés à la guerre des Six Jours à Kisangani entre l'Ouganda et le Rwanda à Kisangani en mai et juin 2000. Or avec un candidat autre que Bemba en 2011, le poids électoral du président sortant risque d’être moins importants que les 79, 48% recueillis en 2006.
·         Le Katanga ne pourra pas non plus offrir 93,78% des voix à Kabila si ce dernier s’affrontait au deuxième tour à TSHISEKEDI pour la simple raison de la composition d’un électorat socio-géographique non négligeable favorable au sphinx de Limete dans cette province de la RDC.

Nous estimons que, dans l’hypothèse d’un deuxième tour des  élections en 2011 entre KABILA et TSHISEKEDI, les  jeux des alliances seront d’une importance capitale. La fracture Est-Ouest pourra jouer et le choix des partenaires sera crucial. Mais à l’allure où évoluent la situation sociopolitique en RDC, rien ne confirme même la présence de Joseph Kabila au deuxième tour des élections avec la percée politique de Kamerhe à l’Est du pays.

Le clivage Est – Ouest  apparu lors des élections de 2006 risque d’être accentué cette fois-ci  à cause du bilan socio-économique, sécuritaire très mitigé du mandat du président KABILA.

Vous serez tous d’accord avec ma petite analyse effectué au départ des données chiffrées qu’on peut créditer d’objectives qu’avec 7 provinces sur 11 très favorables à l’Opposition Politique et l’Est du pays plus que divisé et pas tout-à-fait acquis au Président sortant, tous les ingrédients semblent statiquement et mathématiquement réunis pour la NON REELECTION du président sortant, Joseph Kabange Kabila. C’est à ce niveau ci et à lui seul qu’il faut aller trouver l’anguille qui se cache sous roche dans cette tentative  de projet inique de révision de la loi électorale.

Evoquer les mobiles d’ordre budgétaires me semble davantage non fondés et impertinents dans la mesure où si le projet de révision de la loi électorale ne passe pas le cap du Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis) en ne recueillant pas les voix nécessaires des trois  cinquièmes des membres du congrès, c'est-à-dire les trois cinquièmes des 500 députés et des 108 sénateurs 608 membres en tout), y compris  les empêchés comme Jean-Pierre Bemba, les absents involontaires et volontaires ainsi que les malades et les abstentionnistes, c’est-à-dire 365 voix  (Malgré les autres réserves émises par le Prof Mampuya à propos la prééminence  entre le vote au Congrès et le référendum) ; il faudra alors passer au référendum. Ce qui nécessitera beaucoup plus d’argent car il faudra ensuite penser à organiser les élections à un tour si le référendum est favorable au projet de Kabila ou à deux tours si ce projet est rejeté par le Peuple Congolais Souverain. C’est là que j’invite humblement les stratèges de l’AMP à faire preuve de davantage sens de PATRIOTISME et d’AMOUR de la RDC. Car le prix financier à payer  en cas d’un référendum risque d’être deux fois plus élevé que le maintien de la loi électorale de 2006, qui a été saluée un peu partout en Afrique, comme modèle. Dès lors, tous les arguments budgétaires avancées par les perroquets de l’AMP ne trouvent aucune justification valable, politiquement responsable et démocratiquement fondée.

Au moment où les Cinq Chantiers sont loin d’avoir atteint les objectifs escomptés en termes socio-économiques : création de l’emploi, relèvement du bien-être social des congolais par accès aux besoins sociaux vitaux… Le Peuple Congolais qui vient de passer les fêtes de fin d’année dans la grande morosité aspire-t-il réellement de voir le pouvoir AMP et alliés ouvrir  en cette année électorale très échaudée un 6ème Chantier politique lorsque les seuls résultats des Cinq Chantiers ne restent visibles que sur les panneaux publicitaires qui envahissent les artères de la Capitale ?

Juste un peu de bon sens et un minimum de sursaut patriotique et démocratique, chers apprentis sorciers stratèges de l’AMP. La RDC veut définitivement tourner la page sanglante de son Histoire. Ne soyez pas comme l’écrit le professeur MAMPUYA : ceux dont

J’ai analysé et je m’arrête.

Jean-Jacques WONDO
Analyste politique freelance, spécialisé en matières géostratégiques et militaires.
l’histoire jugera comme elle juge, encore aujourd’hui, ceux qui, en 1940, accordèrent les plein pouvoirs au chef de la dictature de Vichy.
une majorité absolue d’électeurs et, donc, de bénéficier d’une légitimité incontestable. Il est en effet normal et logique que celui qui a les prérogatives importantes de « magistrat suprême », symbole de la nation, garant de la continuité de l’Etat, chef suprême des armées, garant de l’unité nationale, garant de l’indépendance nationale, garant de l’intégrité du territoire, garant du fonctionnement régulier des institutions, garant du respect de la constitution, président « de tous les Congolais » que certains n’hésitent pas à appeler « père de la nation », ait une base la plus large de légitimité. De fait, cette règle de l’élection à la majorité absolue relève de la même logique que le suffrage universel direct lui-même par lequel on a voulu que le chef de l’Etat, à qui toutes ces prérogatives sont reconnues, soit l’élu non d’une caste (dans le système censitaire par exemple), mais de la grande majorité des Congolais, le suffrage universel étant considéré comme fournissant le siège de la légitimité la plus large aussi bien juridiquement que politiquement et sociologiquement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire