Jean-Jacques Dikongué|Tribune2lartiste.com
Si le lieu de naissance détermine ou prédestine à un destin hors du commun, alors Loufoutoto, fait bel et bien partie de ces endroits, où il aurait fallu que nous naquissions tous. Tel n’est pas le cas et c’est bien ainsi ! Puisqu’il ne s’agit finalement pas d’un lieu banal. Destin hors du commun pour une naissance pas commune dans un lieu certes commun, ainsi peut-on résumer l’histoire de ce garçon qui voyait donc le jour à Loufoutoto.
Loufoutoto ? Lieu malheureusement disparu depuis lors et pour cause, l’une des plaies du continent: un manque criard d’intérêt pour la mémoire. Néanmoins, lorsqu’elle s’écrira, et espérons par les africains, l’histoire sera obligée de souligner ce lieu. Loufoutoto, c’est La gare qui a servi du lieu de naissance, et à coup sûr, a déterminé le destin et dessiné la trajectoire de Ray Lema.
Avec l’humilité et la pondération qu’on lui reconnaît, il a répondu aux questions que je lui ai posées.
Ma première question à l’homme de culture que vous êtes est : quelle est la place de la culture pour un individu et pour un pays ?
La culture est le socle sur lequel est assis l’individu. C’est sa base, c’est son fondement, c’est ce qui le définit dans ses similitudes et ses différences avec les autres. C’est la culture qui lui donne également son angle de vision personnel pour analyser le monde dans lequel il se trouve.
Pour un pays, de la même façon, c’est la culture qui unit les peuples à l’intérieur d’une nation et qui en reflète les particularités dans le grand concert mondial des nations.
Pourquoi à votre avis, l’Afrique sub-saharienne ne semble pas accorder de l’importance à la culture ? Manque de vision des dirigeants ou alors une population qui n’a pas conscience de ce qu’est la culture ?
La colonisation est un processus où un peuple imprime sa culture sur un autre peuple et le processus inverse prend forcément du temps et beaucoup de réflexion, car il faut démêler plusieurs cultures. Dans nos pays où déjà, nos frontières ont été tracées par des forces étrangères, le processus de création d’une identité culturelle nationale prend du temps, demande de la réflexion, et des actions de la part de ces jeunes Etats, qui sont encore empêtrés dans des processus d’allégeance et de dépendance aux anciens colons.
Quant à nos dirigeants, on constate souvent que ceux-ci se comportent encore comme des chefs coutumiers, fonctionnant uniquement pour leur clan ou leur tribu, et de fait, n’ont pas été éduqués à l’exercice du mandat démocratique, qui est celui donné par un peuple à un gouvernement qui a la responsabilité de mettre en œuvre un programme de développement pour l’éducation, la culture, la santé et l’économie du pays.
La conscience de l’importance de la culture, est avant tout une affaire d’éducation, et je pense qu’en Afrique sub-saharienne notre problème majeur est un problème d’éducation. Cela nous a conduit à l’intérieur d’un cercle vicieux dont nous devons impérativement sortir. Le monde est devenu globalisé et internet véhicule jusque dans les moindre petits recoins de la planète, des cultures et modes de vie majoritairement occidentales. Sans une éducation appropriée qui ramène les personnes aux valeurs et concepts propres à leur société civile, les individus ne peuvent pas avoir les outils intellectuels nécessaires pour analyser, comprendre et défendre leur propre culture.
Si je vous demandais de définir la musique comment la définiriez-vous ?
Si je devais définir en deux mots ce qu’est la musique je dirais tout simplement : le Verbe, stylisé.
Dans une interview accordée à 3A Télésud, vous disiez vous poser la question bien plus tard de savoir je vous cite :’’ Pourquoi j’étais musicien’’. Nous vous la reposons donc pourquoi êtes-vous musicien ? Est-ce parce que vos aptitudes vous y prédestinaient ou parce que vous croyez en une quelconque mission du musicien dans la cité.
Ce sont les deux raisons.
Lorsqu’on est Ray Lema, on a joué sur toutes les scènes du monde, on a enseigné la musique, mais on est toujours impressionné et impressionnable. Est-ce à dire que plus on a la maîtrise de sa science, plus on est humble’’ ou alors est-ce un état d’esprit que l’on a naturellement ?
Effectivement, on ne peut élargir son champs de vue qu’en grimpant dans les hauteurs. En tant qu’instrumentiste, plus on progresse sur l’instrument mieux on visualise le chemin qu’il reste à parcourir. Et ce qu’on voit est tellement énorme !!!!
Vous êtes surement le symbole le plus visible de la ’’réussite’’ d’un artiste d’Afrique sur un Piano, contrairement à d’autres instruments comme la basse. Comment expliquez-vous le peu d’attrait pour cet instrument par les africains ? Cela se résume-t-il simplement à une question de finances ?
Le piano est le seul instrument que l’instrumentiste ne sait ni accorder, ni entretenir, ni transporter. C’est vous dire le nombre de métiers inhérents à cet instrument. De plus c’est un instrument fragile, qui supporte mal la chaleur, l’excès d’humidité ou de sécheresse, qui est encombrant et effectivement coûte encore très cher, car il est d’une manufacture longue et compliquée et il n’y a pas de fabricant de piano en Afrique. Mais je rêve cependant qu’un jour, (à l’instar de la Chine par exemple où l’on compte aujourd’hui 50 millions de pianistes, alors le piano n’est pas plus chinois qu’africain) le piano se démocratise sur tout le continent. Car c’est l’instrument qui possède le plus d’octave permettant ainsi d’entendre toutes les fréquences et les subtilités harmoniques des musiques d’aujourd’hui.
Nous savions que Manu Dibango et vous étiez sur un projet de célébration de la musique de l’Afrique centrale « Bantubeat » ; qu’est devenu ce projet finalement?
Bantoubeat – « beat » de tempo en anglais. Ce projet a tourné pendant 3 ans dans le monde entier. Et puis chacun a repris sa route et ses projets personnels, tout simplement.
De quoi êtes-vous le plus fier dans votre parcours ? Quel est pour vous l’album de votre discographie le plus abouti musicalement parlant ? Et pourquoi ?
Ce dont je suis le plus fier ce sont les rencontres humaines qui ont ponctué ma route. Ce métier m’a permis de croiser des gens extraordinaires, connus ou pas connus, mais qui m’ont beaucoup apporté.
Quant aux albums, ce sont comme des enfants, ce serait impensable pour moi d’exprimer des préférences.
Quelle est votre actualité ? Un disque en vue ? Si oui, quelle sera sa coloration ?
Plusieurs disques en vue. Le plus proche s’appelant ‘99’ – qui sortira en France, en Belgique et en Suisse le 09 mai prochain, et qui est un album de chansons, avec un groupe assez important, que vous découvrirez, et sur lequel majoritairement je suis aux claviers. Celui qui doit suivre dans la foulée, d’ici la fin de l’année, est un CD/DVD enregistré live lors d’un concert avec le Jazz Sinônica de São Paulo (90 musiciens). Je prépare pour l’année prochaine un double album, où je revisite une vingtaine de mes anciens titres, mais dont je ne vous dirai rien de plus en attendant sa sortie ….
A vous le mot de la fin, tout en vous remerciant pour votre disponibilité.
Merci pour vos questions qui sortent de l’ordinaire journalistique et qui montrent une jeune génération africaine dont je me sens fier.
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