jeudi 14 avril 2011

"Les liens d'Alassane Ouattara avec Paris pourraient s'avérer gênants"


"Les liens d'Alassane Ouattara avec Paris pourraient s'avérer gênants"
Laurent Gbagbo a été écarté du pouvoir. Comment Alassane Ouattara va-t-il désormais gérer ses relations avec la France ? Patrick Smith, rédacteur en chef du magazine anglophone "The Africa Report" donne son point de vue à FRANCE 24.
Par Tony TODD (texte)
 
Sans l’aide des forces françaises, le président ivoirien Alassane Ouattara aurait pu ne jamais déloger du pouvoir le président sortant Laurent Gbagbo. Mais les mains qui l’ont aidé pourraient désormais s’avérer gênantes, alors que la moitié de la population ivoirienne considère d’un mauvais œil les relations qu’entretient Ouattara avec l’ancien empire colonial.
Depuis qu’elle a reconnu Alassane Ouattara président de la Côte d’Ivoire en décembre dernier, la France a été accusée de prendre partie dans le conflit post-électoral en Côte d’Ivoire. Aux yeux du camp pro-Gbagbo, ces accusations se sont vérifiées le 4 avril dernier, lorsque le président français Nicolas Sarkozy a accepté de s’engager militairement aux côtés de l’ONU pour "neutraliser les armes lourdes" du camp du président sortant.
Cette opération a abouti à l’arrestation de Laurent Gbagbo lundi.
FRANCE 24 : La participation des forces françaises à la chute de Laurent Gbagbo peut-elle nuire à la crédibilité d'Alassane Ouattara en tant que président ivoirien?
Patrick Smith : Il ne fait aucun doute que l’intervention française aura des conséquences. Tout d’abord, Laurent Gbagbo a toujours accusé Alassane Ouattara de n’être qu’un pion à la solde des intérêts français en Côte d’Ivoire. Il aimait à raconter que lorsque son adversaire était Premier ministre [sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, entre 1990 et 1993], son rôle premier a été de protéger et de promouvoir les intérêts de la France dans le pays.
Gbagbo a réussi à convaincre de cela plus d’un Ivoirien et de nombreux pays africains. Et les images diffusées lundi, sur lesquelles on voit les forces françaises bombarder les forces de Gbagbo, le poussant à renoncer au pouvoir, ne font qu’amplifier cette impression. D’autant qu’en 1990, Alassane Ouattara et Dominique Novion, sa femme française, se sont mariés à Neuilly-sur-Seine devant le maire d’alors, Nicolas Sarkozy.
Ouattara va devoir combattre cette image s’il veut avoir un peu de légitimité. Il va devoir adopter une attitude très ferme au sujet de l'indépendance nationale.
FRANCE 24 : Ouattara va-t-il devoir prendre ses distances avec Paris ?
P. S. : Je ne sais pas comment il peut prendre ses distances avec Paris compte tenu de l’état de l’économie et de la somme d’argent colossale nécessaire pour la remettre sur pied [la France a débloqué 400 millions d’euros d’aide à la Côte d’Ivoire]. L’économie ivoirienne se porte mal depuis 20 ans, elle est en véritable chute libre depuis une dizaine d’années. Elle ne peut pas renoncer à des aides de la France. Il y a énormément de choses à faire en matière d’infrastructure sociale, des écoles, des hôpitaux, des  routes… Des choix économiques difficiles vont devoir être faits.
Et, malgré sa rhétorique anti-français, Gbagbo n’a lui-même jamais vraiment pris ses distances avec Paris. D’ailleurs, une grande partie des investisseurs étrangers en Côte d’Ivoire est française.
Sur le plan intérieur, la Côte d’Ivoire peut déjà compter sur de bonnes infrastructures pour appuyer sa croissance future. Et sur le plan international, la proximité de Ouattara avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI)[Ouattara, un économiste expérimenté, a travaillé en tant que directeur section Afrique au FMI ainsi qu’à la banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest] va certainement lui être utile.
Mais cette proximité est à double tranchant : elle illustre bien le milieu professionnel - bureaucrate et technocrate et non politique - duquel il est issu. Ce n’est pas le plus doué des orateurs. Ça va être difficile pour lui.
FRANCE 24 : Mardi, le ministre français de la Défense Gérard Longuet a annoncé une réduction des effectifs de la force française Licorne, qui passerait d’environ 1 700 hommes à "quelques centaines" de soldats. Est-ce crédible, étant donné le rôle central qu’a joué la France dans la chute de Laurent Gbagbo ?
P. S. : C’est une manœuvre politique. Il y aura une augmentation des effectifs de l’ONU pour contrebalancer une réduction du nombre de soldats français sur le territoire. Il faut également s’attendre à voir s’accroître le rôle de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en Côte d’Ivoire, ce qui serait un signe très important pour Ouattara. Si, en plus, les troupes françaises quittent le pays, il gagnera indéniablement en légitimité.
Et la Licorne serait une cible facile dans le cas d'une insurrection pro-Gbagbo. Dans ce contexte, réduire les forces françaises en Côte d’Ivoire ne serait pas une catastrophe. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire