Le président rwandais ne supporte pas les critiques à son endroit, même sur les réseaux sociaux, à la grande surprise d'un journaliste britannique.
Paul Kagamé au sommet de l'Union africaine à Addis Abeba, Ethiopie, le 8 juillet 2004. REUTERS/Radu Sigheti
Quelle mouche a donc piqué Paul Kagamé? Le président rwandais, l’un des plus connectés d’Afrique, a répondu en personne à des commentaires critiques à son égard sur le réseau social Twitter.
«Ni les médias, ni les Nations unies, ni les groupes de défense des droits de l’homme n’ont l’autorité morale nécessaire pour me critiquer, estime le despotique et délirant Paul Kagamé.»Le jour même, il a été abasourdi de recevoir une réponse de l’intéressé:
«Vous non plus… Aucune autorité morale!»S’en est suivi un échange acerbe entre les deux hommes, le président rwandais se servant de son compte Twitter, qui compte plus de 8.000 abonnés, pour échanger avec son critique. Il a adressé au journaliste britannique un tir fourni d’une douzaine de messages rédigés en langage texto en anglais, tels que «Wrong u r» pour «You are wrong» («Vous avez tort»), dont l’intégralité a été publiée en ligne.
Le chef de l’Etat rwandais a été assisté dans cette riposte par Louise Mushikiwabo, sa ministre des Affaires étrangères. Elle a notamment répliqué à Ian Birrell:
«Vous souciez-vous de savoir ce que 11 millions de Rwandais pensent de Paul Kagamé avant de vous prononcer à son sujet? C’est au-dessus de vos forces?»
L'opposition rwandaise neutralisée
Au pouvoir depuis 1994, réélu en 2010 avec 93% des voix sans véritable opposition, Paul Kagamé prête le flanc à une critique qu’il supporte de moins en moins. Lors de sa dernière campagne électorale, le journaliste Jean-Léonard Rugambage, rédacteur en chef adjoint du journal d’opposition Umuvugizi, a été abattu le 24 juin 2010 devant chez lui, à Kigali, la capitale rwandaise.«Vraisemblablement parce qu’il enquêtait sur les services secrets et leur tentative de meurtre contre un général en exil», relevait Reporters sans frontières.Une tentative d’assassinat contre le général Faustin Nyamwasa, exilé en Afrique du Sud, avait en effet échoué le 21 juin 2010 à Johannesburg.
Un opposant rwandais, André Kagwa Rwisereka, a aussi été retrouvé la tête tranchée en juillet 2010, non loin de Butare. Cet homme était l’un des vice-présidents du Parti démocratique vert du Rwanda (PDVR), une dissidence du Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir) lancée en août 2009, dont voici la profession de foi:
«Notre objectif est de mettre fin à la peur au Rwanda et à un système où les idées d’une seule personne ou d’un seul parti gouvernent. Tout le monde devrait avoir la liberté d’expression, sans craindre d’être traité comme un ennemi public.»Victoire Ingabire, la candidate Hutu des Forces démocratiques unifiées (FDU, opposition), a été placée sous contrôle judiciaire, puis incarcérée en octobre 2010. Son procès, reporté, devrait commencer le 20 juin prochain à Kigali. Cette expert-comptable de 42 ans, d’origine hutue, est poursuivie pour complicité de terrorisme et négation du génocide des Tutsis en 1994. Son tort: avoir préconisé des poursuites contres les responsables du FPR pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, en raison des massacres perpétrés lors de la chasse aux miliciens Hutu après le génocide.
Un rapport de l'ONU qui gêne
Fin août 2010, les fuites sur la version provisoire d’un volumineux rapport du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme semblaient lui donner raison. Cette enquête de plus de 500 pages revenait dans le détail sur les exactions massives, «voire le génocide» perpétré en République démocratique du Congo entre 1993 et 2003 par l’armée rwandaise. Des dizaines de milliers de civils Hutu ayant fui le Rwanda après le génocide des Tutsi ont été massacrés de manière systématique et préméditée, selon le rapport.«Balivernes», avait réagi Kagamé, qualifiant aussitôt le document de «choquant, malveillant et ridicule». Le rapport, qu’il a longtemps cherché à bloquer, a finalement paru sans qu’y figure le mot «génocide», lourd de conséquences pour un régime qui a construit sa légitimité sur le génocide des Tutsi.
Comparée à cette polémique, la dispute de Ian Birrell avec Kagamé paraît aussi révélatrice que dérisoire. Le journaliste britannique peut se targuer d’avoir eu le dernier mot:
«C’est génial que Kagame discute avec un critique comme moi sur Twitter, mais c’est juste dommage qu’il n’autorise pas ce type de débat au Rwanda avec son propre peuple.»Sabine Cessou
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