Me Abdoulaye Wade à la ville sainte de Touba (Sénéweb)
« Le Sénégal est-il un Etat aussi laïque qu’on le pense ? ». La question vous paraît saugrenue, voire provocatrice ? Et pourtant ! Certes, on savait l’islam religion dominante au pays de la terranga, le recours aux marabouts, un sport national, et les chefs des confréries religieuses, de véritables faiseurs de rois ; bref, la prégnance du divin, plutôt de ses intercesseurs dans le vécu quotidien des Sénégalais.
Mais le spectacle, ô combien surprenant, dont la classe politique vient de nous gratifier ne manquera pas de heurter la conscience des républicains : en effet, après le Mouvement du 23 juin (coalition de partis politiques, de syndicats et d’organisations de la société civile, opposée à une candidature de Wade à la présidentielle de 2012), samedi dernier, ce fut au tour de la CAP21 (Convergence autour des actions du président de la République pour le XXIe siècle) d’aller faire entendre, le lendemain, sa cause auprès du Khalife général des mourides, à Touba.
Divisés, qu’ils sont, autour de la question de la rétroactivité ou non de la réforme constitutionnelle de 2001 limitant le nombre de mandats présidentiels à deux, les protagonistes font feu de tout bois. Au point de pervertir le cadre républicain de résolution du différend, dont l’arbitre, le seul, est le Conseil constitutionnel.
« Nous sommes allés voir le Khalife pour qu’il intervienne, comme il l’a fait le 23 juin pour convaincre Wade de retirer la proposition de réforme constitutionnelle », clame le M 23. « Nous avons voulu assurer au Khalife général des mourides que la candidature de Wade ne va pas déstabiliser le pays », rétorque la CAP 21.
Comme on le constate, dans cette polémique, les protagonistes se trompent outrageusement de champ de bataille et d’arbitre. La pomme de discorde est juridique, et seul le glaive de la justice doit la trancher. C’est vrai que, par le « n’diggël », la consigne de vote, les chefs spirituels musulmans sont des industriels de suffrages qui font et défont le destin des politiques. Les convoitises autours de ces dignitaires ne datent pas d’aujourd’hui. Mais c’est avec actuel chef de l’Etat qu’elles sont devenues un indécent exercice républicain. Il suffit, pour s’en convaincre, de se rappeler la quasi-allégeance faite au maître de Touba par Abdoulaye Wade, premier président mouride du Sénégal au début de son premier mandat.
Mais revenons aux plaidoyers que se sont livrés activistes du M23 et militants de la CAP 21 auprès du guide spirituel.
Dirigeant de la confrérie la plus influente soit-elle, que peut bien faire Cheikh Sidi Al Moukhtar Mbacke dans cette querelle autour de l’interprétation d’une disposition constitutionnelle ? Pas grand-chose. Rendre une fatwa en faveur de l’un ou l’autre camps ? Allons donc, le Sénégal n’est pas un Etat islamique ! Rallier le plus de monde à la cause de l’un ou l’autre groupe de protagonistes ? Peut-être. Seulement, dans un Etat de droit, comme c’est le cas du Sénégal, la majorité ne fonde pas le droit.
Alors, on a envie de crier à l’endroit de ces manifestants tous bords confondus : « Laissez à l’autorité spirituelle ce qui est à l’autorité spirituelle et au pouvoir judiciaire ce qui est au pouvoir judiciaire ».
Par Alain Saint Robespierre
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