Peu de voix contestent la condamnation de l'ex-président du Liberia Charles Taylor pour crimes contre l'humanité. Mais le travail de la justice internationale apparaît comme une stigmatisation de l’Afrique.
© Damien Glez, tous droits réservés.
«Coupable». Le verdict est tombé dans le procès du 22e président du Liberia Charles Taylor. Verdict qui a retenu toutes les attentions, tant l’événement est inédit, tant le parcours de l’accusé est abominable, tant le procès a été long et rocambolesque, tant l’Afrique se sent stigmatisée par la justice internationale.
Inédit: c’est la première fois que la justice internationale rend un jugement contre un ancien chef d'Etat.
Abominable: c’est pour crimes contre l'humanité que Charles Ghankay Taylor est jugé dans un Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) délocalisé à Leidschendam, dans la banlieue de La Haye.
Le condamné est considéré comme l’artisan d’une des pires guerres civiles d’Afrique, celle qui fit 120.000 morts en Sierra Leone, entre 1991 et 2001. Taylor fournissait armes, munitions, matériel de communications et de planification aux rebelles sierra-léonais du Front révolutionnaire uni (RUF), en échange de diamants extraits et exportés illégalement.
Crimes contre l'humanité et buzz people
Devant le TSSL, il répond de onze chefs d'accusation de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, dont extermination, assassinats, violences sexuelles, torture et pillage.
Lors du procès, l’abomination a atteint son paroxysme lorsque furent évoqués la conscription d'enfants soldats —certains “généraux” étaient âgés de moins de 15 ans—, les mutilations les plus cruelles et même un présumé cannibalisme attribué à Taylor lui-même.
La liste exhaustive des exactions serait trop longue. Comme fut long le procès: 5 ans de procédure, 94 témoins pour l’accusation, 21 pour la défense avec 81 heures pour le seul témoin Charles Taylor.
Effroyablement indigeste, le procès a aussi connu ses épisodes rocambolesques, ajoutant le buzz people à l’horreur brute, notamment lorsque le mannequin britannique Naomi Campbell et l'actrice américaine Mia Farrow vinrent raconter le déroulement d’un dîner organisé par Nelson Mandela, en Afrique du Sud, en 1997, dîner à l’issue duquel l’accusé libérien aurait distribué des diamants “du sang”.
Le tribunal de Leidschendam a donc tranché ce jeudi 26 avril. Celui qu’on surnommait “superglue”, au début de sa carrière, pour sa tendance à s'accaparer les deniers publics, a été reconnu «pénalement responsable» des atrocités perpétrées par les rebelles de Sierra Leone.
Le président du tribunal, Richard Lussick, a évoqué un soutien «durable et significatif» aux RUF. Stylo à la main, Charles Taylor est resté impassible. La peine à purger sera rendue publique le 30 mai prochain. S’il n’obtenait pas un acquittement en appel, le condamné serait incarcéré au Royaume-Uni.
Blaise Compaoré, «le frère de sang» de Taylor
Sans doute la majorité des Africains est-elle satisfaite de voir arrêtés et condamnés les bourreaux de leur propre peuple. Mais trois pensées les taraudent…
Premièrement, est-il suffisant que le Libérien Charles Taylor ne réponde que de sa responsabilité dans la guerre civile d’un pays limitrophe? Que dire des quatorze ans d’atrocités commises, dès 1989, sur le sol libérien, par la rébellion du Front national patriotique du Liberia (NPFL)? La justice rendue aux victimes sierra-leonaises calmera-t-elle l’amertume des familles des 250.000 morts et des 2,5 millions de déplacés du conflit libérien?
Deuxièmement, peut-on considérer que le conflit de Sierra Leone est aujourd’hui purgé? Bien sûr, huit autres accusés ont déjà été condamnés, à Freetown, à des peines allant de 15 à 52 ans de prison. Mais ne faudrait-il pas continuer les investigations et rechercher d’autres complices haut placés?
Dès le début de l’instruction contre Charles Taylor, l’activiste Noam Chomsky s’indignait que le nom de Mouammar Khadafi ne soit cité à aucun moment, quant bien même il était réputé bailleur de fonds de l’ancien président libérien.
Les intérêts économiques occidentaux en Libye, notamment britanniques, auraient dissuadé le procureur. Kadhafi ne répondra plus de ses largesses. Mais une certaine opposition burkinabè aimerait voir le «frère de sang» de Taylor, Blaise Compaoré, dans le box des accusés.
Les Africains sur le banc des accusés
Troisièmement, si un arrière-goût amer empêche les Africains de se réjouir pleinement de l’issue de ce long feuilleton judiciaire contre Charles Taylor, c’est qu’ils ont, depuis longtemps, le sentiment que la justice internationale ne poursuit que les Africains. À elle de démontrer le contraire.
Pour l’heure, le procès de l’Ivoirien Laurent Gbagbo devrait débuter en juin à La Haye, la procédure patine dans l’affaire du Congolais Jean-Pierre Bemba, le mandat d’arrêt international de la Cour pénale internationale contre le Soudanais Omar el-Béchir court toujours, la traque de l’Ougandais Joseph Kony s’intensifie et l’on réfléchit toujours à la meilleure formule pour un procès du Tchadien Hissène Habré…
Damien Glez
SlateAfrique
© Damien Glez, tous droits réservés.
«Coupable». Le verdict est tombé dans le procès du 22e président du Liberia Charles Taylor. Verdict qui a retenu toutes les attentions, tant l’événement est inédit, tant le parcours de l’accusé est abominable, tant le procès a été long et rocambolesque, tant l’Afrique se sent stigmatisée par la justice internationale.
Inédit: c’est la première fois que la justice internationale rend un jugement contre un ancien chef d'Etat.
Abominable: c’est pour crimes contre l'humanité que Charles Ghankay Taylor est jugé dans un Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) délocalisé à Leidschendam, dans la banlieue de La Haye.
Le condamné est considéré comme l’artisan d’une des pires guerres civiles d’Afrique, celle qui fit 120.000 morts en Sierra Leone, entre 1991 et 2001. Taylor fournissait armes, munitions, matériel de communications et de planification aux rebelles sierra-léonais du Front révolutionnaire uni (RUF), en échange de diamants extraits et exportés illégalement.
Crimes contre l'humanité et buzz people
Devant le TSSL, il répond de onze chefs d'accusation de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, dont extermination, assassinats, violences sexuelles, torture et pillage.
Lors du procès, l’abomination a atteint son paroxysme lorsque furent évoqués la conscription d'enfants soldats —certains “généraux” étaient âgés de moins de 15 ans—, les mutilations les plus cruelles et même un présumé cannibalisme attribué à Taylor lui-même.
La liste exhaustive des exactions serait trop longue. Comme fut long le procès: 5 ans de procédure, 94 témoins pour l’accusation, 21 pour la défense avec 81 heures pour le seul témoin Charles Taylor.
Effroyablement indigeste, le procès a aussi connu ses épisodes rocambolesques, ajoutant le buzz people à l’horreur brute, notamment lorsque le mannequin britannique Naomi Campbell et l'actrice américaine Mia Farrow vinrent raconter le déroulement d’un dîner organisé par Nelson Mandela, en Afrique du Sud, en 1997, dîner à l’issue duquel l’accusé libérien aurait distribué des diamants “du sang”.
Le tribunal de Leidschendam a donc tranché ce jeudi 26 avril. Celui qu’on surnommait “superglue”, au début de sa carrière, pour sa tendance à s'accaparer les deniers publics, a été reconnu «pénalement responsable» des atrocités perpétrées par les rebelles de Sierra Leone.
Le président du tribunal, Richard Lussick, a évoqué un soutien «durable et significatif» aux RUF. Stylo à la main, Charles Taylor est resté impassible. La peine à purger sera rendue publique le 30 mai prochain. S’il n’obtenait pas un acquittement en appel, le condamné serait incarcéré au Royaume-Uni.
Blaise Compaoré, «le frère de sang» de Taylor
Sans doute la majorité des Africains est-elle satisfaite de voir arrêtés et condamnés les bourreaux de leur propre peuple. Mais trois pensées les taraudent…
Premièrement, est-il suffisant que le Libérien Charles Taylor ne réponde que de sa responsabilité dans la guerre civile d’un pays limitrophe? Que dire des quatorze ans d’atrocités commises, dès 1989, sur le sol libérien, par la rébellion du Front national patriotique du Liberia (NPFL)? La justice rendue aux victimes sierra-leonaises calmera-t-elle l’amertume des familles des 250.000 morts et des 2,5 millions de déplacés du conflit libérien?
Deuxièmement, peut-on considérer que le conflit de Sierra Leone est aujourd’hui purgé? Bien sûr, huit autres accusés ont déjà été condamnés, à Freetown, à des peines allant de 15 à 52 ans de prison. Mais ne faudrait-il pas continuer les investigations et rechercher d’autres complices haut placés?
Dès le début de l’instruction contre Charles Taylor, l’activiste Noam Chomsky s’indignait que le nom de Mouammar Khadafi ne soit cité à aucun moment, quant bien même il était réputé bailleur de fonds de l’ancien président libérien.
Les intérêts économiques occidentaux en Libye, notamment britanniques, auraient dissuadé le procureur. Kadhafi ne répondra plus de ses largesses. Mais une certaine opposition burkinabè aimerait voir le «frère de sang» de Taylor, Blaise Compaoré, dans le box des accusés.
Les Africains sur le banc des accusés
Troisièmement, si un arrière-goût amer empêche les Africains de se réjouir pleinement de l’issue de ce long feuilleton judiciaire contre Charles Taylor, c’est qu’ils ont, depuis longtemps, le sentiment que la justice internationale ne poursuit que les Africains. À elle de démontrer le contraire.
Pour l’heure, le procès de l’Ivoirien Laurent Gbagbo devrait débuter en juin à La Haye, la procédure patine dans l’affaire du Congolais Jean-Pierre Bemba, le mandat d’arrêt international de la Cour pénale internationale contre le Soudanais Omar el-Béchir court toujours, la traque de l’Ougandais Joseph Kony s’intensifie et l’on réfléchit toujours à la meilleure formule pour un procès du Tchadien Hissène Habré…
Damien Glez
SlateAfrique
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