vendredi 27 avril 2012

Comment sauver le Mali

L’écrivain et universitaire malien Manthia Diawara estime que seule la parfaite cohésion au sommet de l'Etat et l'implication totale du peuple malien, permettront de sortir de la crise.

Le président intérimaire, Dioncounda Traoré et le premier ministre Cheick Modibo Diarra, Bamako, 18 avril 2012 AFP/H. Kouyate
Mise à jour du 26 avril: Opposants et partisans du coup d'Etat militaire du 22 mars qui a renversé le régime du président Amadou Toumani Touré (ATT) au Mali ont désapprouvé mercredi 25 avril le gouvernement du Premier ministre malien de transition Cheick Modibo Diarra.
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L’autre jour, j’étais au téléphone avec Amara Sylla, dit Amsyl, le grand artiste/designer malien.  Il avait tout de suite pris les devants, en me chahutant et m’accusant de ne pas être à Bamako, pour demander audience au Capitane Sanogo afin d’être nommé ministre dans le nouveau gouvernement de Dioncounda Traoré et Cheick Modibo Diarra.
«Tchê, Manthia!» (Mon gars, Manthia!), continua Amsyl, «il fallait être là pour voir tous ces politiciens et intellectuels défiler à Kati, devant le bureau d’Amadou Haya Sanogo.  Tous nos dignitaires et grands intellectuels sont allés se courber devant lui, et serrer sa main, pour avoir des postes de ministres.  C’est pourquoi je me demandais si toi aussi tu ne voulais pas être ministre? Tchê, Manthia, si tu veux, je peux aussi aller à Kati et négocier pour toi!» termina Amsyl, dans un grand éclat de rire dans mon oreille, comme pour me rappeler qu’il était toujours fidèle à lui-même.

S’occuper des vrais problèmes du Mali

Quel contraste avec les appels dans la presse malienne, réclamant au nouveau régime de tout recommencer à zéro, sans les politiciens qui ont les mains salies par leurs participations aux précédents gouvernements d’Amadou Toumani Touré (ATT) et d’Alpha Oumar Konaré. C’est comme si les hommes d’ATT et Konaré avaient le monopole sur la corruption, le népotisme et l’incompétence; et ces nouveaux ministres seraient blanchis, transparents et compétents du simple fait qu’ils seraient choisis par le Capitaine Sanogo!

En ne nous focalisant que sur de telles oppositions manichéennes (qui est corrompu et qui est honnête; qui a les mains sales et qui les a propres), je pense qu’on se trompe de combat et que l’on joue le jeu du putschiste Sanogo et de ses acolytes. Il faut dépasser ces termes simples et élémentaires des discussions de «grins», (lieux où les groupes de même génération se rassemblent pour boire du thé et discuter), pour faire face aujourd’hui à la crise profonde. Une crise demande des solutions urgentes.

Nous faisons face à deux problèmes principaux: l’invasion du Nord du pays par les rebelles touareg et intégristes d’Ansar dine, Aqmi, d’un côté, et la confiscation de la constitution par la junte, de l’autre. 

Ni l’un, ni l’autre de ces deux problèmes ne peut trouver sa solution dans des argumentations futiles sur la corruption. Et chaque jour qui passe nous entraine vers l’échec total de l’Etat-nation tel que nous le connaissions. Chaque jour qui passe nous entraine vers l’échec du Mali.

Unité nécessaire au sommet de l’Etat

Cependant, une lueur d’optimisme vient de naître à Bamako. Malgré nos doutes sur l’efficacité des négociations de Ouagadougou qui ont tendu la carotte à la junte, sans lever plus haut le bâton, la nomination de Dioncounda Traoré, en tant que Président, et de Cheick Modibo Diarra en tant que premier ministre du gouvernement de transition est à saluer. Pour avoir été président de l’Assemblée Nationale, le premier a déjà accumulé une carrière distinguée dans la politique. Le second est un scientifique reconnu, avec à son actif,  une vaste expérience dans la gestion des grandes firmes telles que Microsoft.

Ce dont le Mali a maintenant le plus besoin, c’est une complicité entre ces deux hommes, que personne ne peut affaiblir; ni la junte, ni les jalousies internes des politiciens.  Plus que jamais, l’unité du Mali dépend de l’unité entre ces deux hommes; et il leur incombe de garder toute la lucidité de cette complicité, et de ne pas être tenté par des ambitions personnelles ou la folie de grandeurs.

Le grand danger qui menace cette union sacrée est, bien entendu, le rôle que l’un ou l’autre permettra au Capitaine Sanogo de jouer dans le nouveau gouvernement.  Personne n’est aussi naïf pour croire qu’il est facile de dire non aux militaires qui ne parlent qu’avec leurs fusils. On sait aussi qu’une discordance de voix entre le Président et son premier ministre peut qu’être fatale à la réunification des maliens et servir les plans démoniaques de Sanogo et ses acolytes.

Mais, unis, Dioncounda Traoré et Cheick Modibo Diarra jouiront d’une force qui parlera avec plus d’éloquence que tout l’arsenal des putschistes. Le premier élément de leur grandeur viendra de la confiance que leur donneront les maliens, tous rassemblés derrière eux.  Il est clair que la grande majorité des maliens est contre le putsch; c’est pourquoi la soi-disante conférence nationale avait été avortée.  Il n’y a pas, non plus, de défilés de soutien en grande masse pour le Coup d’Etat, bien que la junte contrôle l’ORTM (Radio et Télévision Malienne).

Les maliens comptent sur l’expertise politique et le savoir-faire du nouveau Président et de son Premier Ministre pour donner une voix à cette majorité silencieuse, plutôt que de tomber dans le piège de ceux qui croient, naïvement, qu’il faut exclure, du nouveau gouvernement, tous ceux qui ont trempé dans la politique des anciens régimes. Contre les putschistes, Dioncounda Traoré et Cheick Modibo Diarra auront aussi besoin d’un soutien clair et net de la Cédéao et de l’Union africaine, en un premier lieu, et de l’Onu, suivie des voix des grandes puissances.

On a bien vu que les putschistes de la Guinée-Bissau on vite fait marche arrière, face à l’intransigeance de la Cédéao. A l’évidence, le Mali non plus ne peut être viable en cas de sanctions économiques et politiques posées par nos voisins de la Cédéao. La junte ne peut nous conduire qu’à une «somalisation» du pays; et soumettre la population à la merci des chefs de guerre d’un côté et les intégristes de l’autre. Seul le soutien de la Cédéao au Président et à son Premier Ministre peut nous mettre à l’abri d’un tel scénario afro-pessimiste, à tous égards.

Crise humanitaire

L’unité entre Dioncounda Traoré et Cheick Modibo Diarra s’avère cruciale aussi pour confronter la crise humanitaire au Nord du Mali. Déjà, on a vu combien le Coup d’Etat de Bamako, avec l’anarchie qu’il a engendrée au sein de l’armée, a bénéficié aux rebelles Touaregs du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et au mouvement Jihadiste d’Ansar dine, qui se sont vite emparés de toutes les grandes villes du Nord, jusqu’aux portes de Mopti.

Ce n’est plus un secret pour personne que les Salafistes Algériens, tels que Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, alliés d’Aqmi, font la loi aujourd’hui à Gao et Tombouctou; et que la Charia est déjà de rigueur dans ces deux villes historiques du Mali. Selon la presse algérienne, il faut également noter dans ces régions la présence de véhicules chargés de toutes sortes d’armements lourds, provenant de l’ancienne armée de Kadhafi, en transit au Niger, pour se rendre dans le Nord.

Le quotidien des maliens du Nord est donc gouverné par une crise humanitaire primaire et sauvage, qui se caractérise par le manque de nourriture, d’eau, d’électricité, la banalisation des vols et viols des femmes, et la soumission de toute la population au régime des intégristes d’Aqmi et Ansar dine.  Les femmes, les enfants et les hommes qui pouvaient fuir ces villes, l’ont déjà fait pour sauver leur vie et se mettre à l’abri dans les pays voisins.  Le nombre grandissant de jour en jour de ces réfugiés atteint près de 300 000 personnes. 

Ils ont laissé derrière eux tout ce qu’ils ne pouvaient pas emporter, dont Tombouctou, notre Athènes. Tombouctou, ville fière qui exhibe son métissage Soudano-Marocain par l’architecture de ses mosquées, ses universités, et ses bibliothèques. Tombouctou, carrefour où se sont croisés nos plus grands théologiens, philosophes, docteurs en médecine, magistrats, géographes, et autres savants et sages.

Tombouctou et ses manuscrits, témoins des grandes civilisations africaines. C’est à se demander, depuis l’invasion et chaque jour, si, Tombouctou et ses manuscrits survivront à l’invasion des intégristes et incultes? Bamako et le reste du monde réalisent-ils combien l’heure est grave?

Le dialogue est-il vraiment possible?

Monsieur Diarra, le Premier Ministre, a prôné le dialogue dans sa première sortie à la télévision nationale.  Le dialogue, oui, mais avec qui?  Iyad Ag Ghaly d’Ansar dine, qui est connu pour ses liens avec les salafistes d’Aqmi et Boko Haram? Ou avec le Secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Acherif, qui dans sa déclaration de l’indépendance de l’Azawad, semble plus utopique que réaliste?

Faut-il faire un pacte avec les intégristes contre les rebelles du MNLA dans le seul intérêt de recouvrir les territoires perdus ? Un tel compromis ne nous conduira-t-il pas à une seconde guerre contre l’imposition de la Charia au Mali, comme en Afghanistan, ou en Somalie ?  Ou, nous faudra-t-il parler avec le MNLA, sans l’aide d’Ansar dine et Aqmi?

On nous répondra que négocier avec les rebelles touareg est futile, parce qu’un autre groupe reviendra à la guerre dans 5 ou 6 ans.  Il faut aussi noter que la région dite de l’Azawad ne se limite pas qu’aux frontières maliennes, et ne contient pas que des Touaregs; elle inclue aussi bien des peuples tamacheck, maures, arabes berbères et belas, sans compter les populations issues des métissages venus des échanges commerciaux, de l’islamisations de la région, de la colonisation et de l’indépendance. 

Déclarer la République d’Azawad dans ces circonstances reviendrait à faire un appel pour le nettoyage ethnique. Faudrait-il aussi rappeler que les Touaregs, eux-mêmes ne constituent pas une «ethnicité ou race» homogène qui serait toute prête à abandonner le Mali pour l’Azawad. Finalement, il y a des maliens qui pensent que le MNLA est soutenu par la France, qui a l’œil sur les gisements de pétrole enfouis sous le sable du désert.

Mais ces raisons sont-elles suffisantes pour refuser de négocier avec le MNLA, qui par ailleurs se trouve coincé entre Ansar dine, et ce qui reste de l’armée malienne, d’un côté, et les armées des territoires de la Cédéao, de l’Algérie et de la Mauritanie, de l’autre?  Faudrait-il pousser le MNLA dans les bras d’Al Qaida, en refusant de discuter avec ses leaders?  Ou, faudrait-il attendre que la France et l’Amérique viennent nous en libérer?

Le problème touareg

A mon sens, nier le problème touareg au Mali, ou au Niger, reviendrait à dire qu’il n’y a jamais eu de problème spécifique aux Touaregs dans ces pays. C’est dire que les Touaregs, comme les autres ethnies maliennes, qui ont voulu faire partie de l’identité nationale, ont tous eu leur place égale. Ce serait pointer du doigt le nombre de Touaregs qui ont eu de hauts postes dans les gouvernements et administrations successives depuis l’indépendance du Mali.

Mais il faut aussi reconnaître que les Touaregs, étant des peuples nomades, en général, ont partout subis la discrimination des sédentaires, dont l’identité est fixe. Tantôt, ils sont considérés par ces derniers comme des envahisseurs sans civilisation, des voleurs de bétails, de femmes et d’enfants; tantôt comme des paresseux qui ne font que tendre la main pour recevoir l’aide du gouvernement et des organisations internationales. 

On nous répondra que les Touaregs, se prenant pour «presque des Arabes» sont aussi racistes envers les populations de peau noire, venant du Sud.  Certains diront même que les Touaregs ne sont pas les seuls peuples nomades de la région du Nord. 

Mais il est clair que ni la colonisation française, ni l’indépendance du Mali n’a su trouver une solution de cohabitation avec les Touaregs/Berbères, dont les identités sont nomades et ouvertes: ils sont un jour en Algérie, un autre au Mali, au Niger, ou en Libye.

L’errance des Touaregs, quand elle est le résultat des guerres entre rebelles et nationalistes, peut aussi les conduire dans les grandes villes de l’Afrique de l’Ouest, pour mendier. Depuis plus de 15 ans, maintenant, les rondpoints des villes telles que Ouagadougou, Abidjan, et Accra sont remplis de femmes et enfants Touaregs, qui quémandent pour leur survie.  Ca, c’est une honte pour le Mali et les autres pays voisins d’où viennent les Touaregs.

Aimer le Mali et être nationaliste, c’est aussi dire non à cette diaspora forcée de femmes et enfants touareg, qui est innocente et des fois réduite à la prostitution pour gagner sa vie. Etre nationaliste, aujourd’hui, c’est être à l’écoute des Touaregs qui ont choisi l’identité malienne, pour qu’ils nous aident à mieux comprendre les identités touareg, nomades et ouvertes. C’est peut être aussi de savoir parler au MNLA, même si leur ambition est irréelle.

Peut-être suis-je fou, comme mon ami Amsyl; mais je reste confiant et pense que Dioncounda Traoré et Cheick Modibo Diarra, s’ils ne se laissent pas piéger par la Junte et les intellectuels et politiciens aigris, seront à la hauteur de la tâche.  Il faut aussi faire attention au retour des refoulés, sous la forme des survivants du 1er Coup d’état.

Manthia Diawara
Manthia Diawara. Ecrivain malien et professeur de littérature à l'université de New York. Il a notamment publié Bamako, Paris, New York

Source: SlateAfrique

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